LE SYSTÈME JUDICIAIRE PEUT-IL CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT DURABLE?

Collaboration spéciale : L’Affidavit de l’UQAM

Myriam Boucher, co-éditrice en chef et Amandine Andriamampionona


Panorama jurisprudentiel de la Cour Suprême en matière de réparations aux atteintes à l'environnement. 

Le Rapport de 1986 du groupe d’experts du droit de l’environnement de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement (CMED) a défini l’atteinte à l’environnement comme étant :

[t]oute dégradation de la santé humaine, des ressources vivantes, des écosystèmes, des biens matériels, des équipements collectifs ou des autres usages légitimes d’une ressource naturelle ou de l’environnement causée, directement ou indirectement, par l’homme au moyen de substances polluantes, de radiations ionisantes, de bruits, d’explosions, de vibrations ou de toute autre forme d’énergie, de plantes, d’animaux, de maladies, d’inondations, d’ensablements ou d’autres moyens semblables;

Il est important d’établir une nuance entre le préjudice personnel et le préjudice écologique pur. Dans le premier cas, il s’agit du préjudice que subit une personne à la suite d’une atteinte à l’environnement. Dans le second cas, on parle d’une atteinte directe à l’environnement dans sa nature même. À ce jour, le préjudice écologique pur n’est pas encore couvert par les législations canadiennes et internationales.

Ce présent article se propose comme une analyse des réparations accordées par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière d’atteintes à l’environnement. Ces réparations seront ensuite comparées avec celles accordées à l’international dans le domaine. Finalement, un lien entre la position de la Cour en droit de l’environnement et le développement durable sera établi.

Deux prémisses sont nécessaires afin de bien comprendre l’état du droit canadien sur le sujet. En premier lieu, au Canada, il y a absence de codification ou de loi suprême en droit de l’environnement permettant une compréhension claire des possibles réparations dans le domaine. Ce flou juridique, bien que permettant une discrétion de la part des juges en la matière, offre une base instable pour la protection de l’environnement. En second lieu, le droit de l’environnement est un droit nouveau : la Cour suprême ne s’est pas encore positionnée de manière claire et précise sur le sujet. Tout reste donc à bâtir.

L’ÉTAT DU DROIT CANADIEN

Quatre types de réparations seront abordées pour bien représenter un panorama jurisprudentiel : les réparations administratives, les réparations civiles, les « réparations » pénales et les réparations constitutionnelles.

Réparations administratives

Un des arrêts les plus importants dans le domaine est l’arrêt Spraytech dans lequel la ville de
Hudson a réglementé en matière de pesticide. Spraytech, une compagnie d’épandage de
pesticides, souhaitait faire déclarer ultra vires ce règlement afin qu’il soit invalide. La Cour a
conclu que « “devant une situation où la santé et l’environnement sont en jeu”, le conseil municipal “voyait à un besoin de sa collectivité”. »


C’est ainsi que la Cour Suprême a déterminé que la protection de l’environnement était suffisamment importante pour justifier qu’une municipalité puisse édicter un règlement sur le sujet dans l’objectif de protéger la santé de ses citoyens. Ceci est d’une importance majeure puisque, bien souvent, ce sont les initiatives locales qui sont les plus efficaces en la matière : le gouvernement du Canada offre même des fonds pour ce type d’actions.

Réparations civiles

En ce qui a trait aux réparations civiles, Colombie-Britannique c. Canadian Forest fournit un bon exemple. En l’espèce, il s’agit d’une entreprise canadienne qui a causé un feu de forêt dans la province. Dans cette décision, la Cour affirme son devoir de décider sur la question des réparations qui, comme vu précédemment, n’a pas encore été prévue par le législateur : « [j]e n’accepte pas l’idée que les “dommages-intérêts environnementaux” soient à ce point particuliers que notre Cour ne puisse examiner cette question. »


Pour demander l’indemnité, il faut se « bas[er] sur une théorie cohérente des dommages, sur une méthode permettant d’évaluer ces dommages et sur une preuve suffisante. » Le fardeau de preuve appartient à celui qui demande compensation et la méthode appropriée de calcul est laissée à la discrétion des experts en première instance. La Cour avoue en revanche qu’une méthode adéquate d’évaluation des dommages reste difficile à déterminer. De ce flou résulte des réparations à caractère trop arbitraire ou trop simpliste. Ainsi, le système judiciaire n’est pas arrivé à un stade suffisamment mature pour réparer de façon intégrale les atteintes à l’environnement.

« Réparations » pénales

Dans R. c. Wholesale Travel Group Inc., un arrêt phare en droit pénal, la Cour n’exclut pas la
possibilité d’une peine d’emprisonnement pour les auteurs d’une infraction réglementaire : y compris les atteintes à l’environnement prévues dans différents règlements. Certaines atteintes à l’environnement seraient considérées si graves, que cette peine serait justifiée par le principe de proportionnalité. Elle cite en exemple plusieurs catastrophes environnementales « telles Bhopal, Tchernobyl et Exxon Valdez. »On voit ici une claire intention de la Cour suprême de dissuader les Canadiens d’enfreindre ces règlements et ainsi de protéger l’environnement.

Réparations constitutionnelles

Finalement, bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur le sujet des réparations constitutionnelles environnementales directement, il est possible d’établir un lien avec ces réparations et celles en droit autochtone. En effet, dans plusieurs arrêts marquants, tels que l’arrêt Sparrow, l’arrêt Delgamuukw et l’arrêt Nation Tsilhqot'in, la Cour a établi que la Couronne ne pouvait violer le droit autochtone sans répondre au test de justification où « la justification de la conservation et de la gestion des ressources ne Finalement, bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur le sujet des réparations constitutionnelles environnementales directement, il est possible d’établir un lien avec ces réparations et celles en droit autochtone. En effet, dans plusieurs arrêts marquants, tels que l’arrêt Sparrow, l’arrêt Delgamuukw et l’arrêt Nation Tsilhqot'in, la Cour a établi que la Couronne ne pouvait violer le droit autochtone sans répondre au test de justification où « la justification de la conservation et de la gestion des ressources ne soulève cependant aucune controverse. » On peut même parler d’une certaine constitutionnalisation du développement durable : « Le gouvernement doit donc agir d’une manière qui respecte le fait que le titre ancestral est un droit collectif inhérent aux générations actuelles et futures. »


Cet exemple de réparations constitutionnelles offrant une protection à la violation des droits des autochtones et une certaine protection à l’environnement permet d’extrapoler sur une possible réparation en vertu de la Charte canadienne. En effet, la protection à la vie, à la sécurité et à la liberté accordée à l’article 7 de cette Charte pourrait offrir un recours en invalidation de législation ou de réglementation qui irait à l’encontre de l’environnement.


La place du Canada vis-à-vis le droit international

Le Canada ne fait évidemment pas partie des pays les moins à jour en ce qui concerne les réparations environnementales, mais il n’est pas non plus le modèle à suivre. À l’international, un rapport du MEDEF (syndicat des employeurs en France) met en lumière l’avant-gardisme de la législation en termes de réparations environnementales. En effet, la responsabilité peut dorénavant être de type avec ou sans fautes sur des dommages qui sont réalisés ou sur le point d’être réalisés. Il s’agit d’une codification du principe de prévention prévu en droit international de l’environnement qui est une avancée majeure dans le domaine. De plus, ce rapport explique que la réparation des dommages environnementaux se ferait exclusivement en nature. Ceci faisant, on priorise la restauration et la protection de l’environnement à la compensation pécuniaire.


Le Canada n’est pas, par contre, le seul à faire face à ces défis : à l’international, la « question de la réparation du préjudice écologique “pur” reste [...] posée. » De plus, il est prévu que « [Le droit environnemental international] s’est orienté vers une facilitation de la mise en cause de la responsabilité, ainsi que vers un élargissement de la définition du dommage réparable. » En ce domaine, l’État satisfait bien les critères internationaux en permettant une codification large.

La Cour suprême du Canada et le développement durable

Le développement durable se veut une réponse aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs dans un équilibre entre le pilier économique, le pilier social et le pilier écologique.

Au Canada, plusieurs décisions mettent de l’avant l’importance de l’environnement comme valeur sociétale fondamentale. On parle même d’un « objectif public d’une importance supérieure ». Le système judiciaire possède donc un pouvoir d’interprétation en faveur de l’environnement qui porte à penser, qu’à l’avenir, la Cour pourrait jouer un rôle plus important. Malgré cela, le flou juridique créé par unemultiplicité des possibilités de réparations dans le domaine ainsi que par l’absence de codification claire sur le sujet offrent un plancher instable pour la contribution, sur le plan judiciaire, à un véritable développement durable : le pilier écologique ne profite pas, encore aujourd’hui, d’une protection adéquate pour faire contrepoids aux forces économiques.