LORSQUE LE CITOYEN DEVIENT LÉGISLATEUR

Roxanne Lefebvre
Directrice à l'information

Source : http://mrsrobertsmedia.com/

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De mémoire d’homme (et de femme), le droit criminel et la limitation des droits et libertés individuels ont toujours su soulever les passions populaires. Entre couverture médiatique fragmentaire et information tristement biaisée, les tiers ne peuvent souvent fonder leur opinion que sur une perception faussée des enjeux.  C’est toutefois en réponse à cette opinion populaire que reposent bien des modifications aux corpus législatifs québécois et canadien. Brève réflexion sur le ménage à trois juridique qu’est la relation entre médias, opinion publique et législateur.

Les derniers mois nous ont amené leur lot de projets de lois et de règlements à saveur hautement politique ; qu’il nous suffise de mentionner le ô combien médiatisé Règlement sur les pitbulls de Montréal. En prenant garde de ne pas nous enfoncer dans l’aspect polémique de ces enjeux, il est indéniable qu’une bonne partie des textes législatifs québécois et canadiens sont adoptés à la hâte, en réaction à une crainte populaire immédiate et souvent davantage émotionnelle que rationnelle. 

On le sait, les médias, dans un esprit de sensationnalisme, ont tendance à mettre de l’avant les crimes graves et violents, ainsi que les faits d’actualité les plus choquants. Effectivement, bien que beaucoup plus importants en nombre que les crimes violents, les infractions contre la propriété, tels que les vols, par exemple, ne font que rarement les manchettes. Il en découle notamment une impression faussée et stéréotypée de la criminalité, laquelle entraîne à son tour un sentiment de crainte, qui doit par la suite être adressé par la loi et les tribunaux. 

Cette crainte, souvent plus émotionnelle que rationnelle, a tendance à engendrer des mesures punitives et restrictives, plutôt que préventives. Peines plus sévères, interdictions pures et simples, on crée, controverse après controverse, un droit rigide, sans discernement et souvent assez mal adapté à la réalité sociale. 

Il importe donc de faire la distinction entre une législation visant à adresser un problème urgent, et une législation précipitée et émotive, voir opportuniste. En effet, un droit juste ne devrait-il pas être posé et réfléchi plutôt que complaisant ?  

Éric Bélisle, «Les médias et la justice, L’impact des médias sur l’opinion publique en matière de criminalité et justice pénale», Groupe de défense des droits des détenus de Québec, 2010.

LE QUATRIÈME POUVOIR ET SON IMPACT CONSTITUTIONNEL

Marie-Philipe Lévesque

 

Dans les semaines précédentes, entrées par effractions suivies d’agressions sexuelles aux résidences de l’Université Laval. Il y a plusieurs mois, procès pour agressions sexuelles d’un journaliste résultant par un acquittement. À l’hiver, un jeune homme de 17 ans, coupable d’attouchements sexuels sur une mineure, sa petite amie de 13 ans. L’an dernier, l’affaire Turcotte et son nouveau procès. Ce sont quelques dossiers qui ont fortement attiré l’attention des médias et du grand public dernièrement. Ils ont fait vivre de fortes émotions aux citoyens et aux institutions. Évidemment, le pouvoir judiciaire a eu beaucoup de travail à faire dans ces dossiers.

Mais, le quatrième pouvoir a-t-il pris sa juste place?

Pour nous, étudiants en droit, la séparation des pouvoirs est bien facile à comprendre. Le pouvoir législatif vote les orientations et écrit les lois. Le pouvoir exécutif veille à l’application des lois notamment par la rédaction des règlements. Le pouvoir judiciaire contrôle l’application des lois et en sanctionne le non-respect. Telle est la séparation des pouvoirs selon Montesquieu, présente dans les régimes démocratiques représentatifs. 

LE QUATRIÈME POUVOIR

Cependant, on dit qu’un quatrième pouvoir existe aussi depuis de bien nombreux siècles. Celui-ci semble même être plus fort que jamais, aujourd’hui en 2016. Les médias : tel est le quatrième pouvoir. La presse écrite, les nouvelles télévisées et la radiodiffusion sont depuis bien longtemps des vaisseaux de communication qui ont pour fonction première d’acheminer l’information aux citoyens. À cela s’ajoutent les réseaux sociaux, surtout ceux qui permettent de partager des idées comme Facebook et Twitter. 

Non seulement les moyens de communication sont foisonnants, mais en plus ils sont accessibles facilement, partout et par tout le monde. Dès qu’un événement se produit, il est diffusé à la vitesse de la lumière sur tout le globe. Les journalistes sont toujours à l’affût des surprises en tout genre. Il est aujourd’hui plus facile pour un citoyen ordinaire de partager ses opinions via un texte long. Les plateformes sont ouvertes à tous. Le journalisme amateur prend de l’ampleur. Tout le monde amène son opinion sur tout. Tout le monde critique tout. 

Il est vraiment beau de voir toute cette effervescence d’idées, ces partages de visions et ces débats d’idées. Cependant, je crois qu’il faut remettre les choses en perspective. Ce n’est pas pour rien que l’on appelle les médias le quatrième pouvoir. Puisque nous vivons dans un État de droit, le gouvernement, en son sens large, dicte les marches à suivre. Les lois indiquent ce qui est « bien » et ce qui est « mal ». Puis, les médias montrent ce qui est « scandaleux ». Ce qui se retrouve dans les médias a un réel impact sur le fonctionnement d’une société. 

LES DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS

Par exemple, prenons l’un de nos piliers constitutionnels qu’est la Charte canadienne des droits et libertés et son article 24. 

« 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. 

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. »

Comme nous vivons dans un État de droit, certains de nos droits sont jugés fondamentaux et sont consacrés dans une charte à valeur constitutionnelle. Au premier paragraphe de l’article 24, on prévoit une réparation discrétionnaire du tribunal en cas de négation des droits et libertés protégés par la Charte, peu importe par quel moyen il y a eu violation. Au second paragraphe, on prévoit une réparation plus précise lorsque ce sont des éléments de preuve qui ont été obtenus, comme le dit le paragraphe premier, en négation des droits et libertés protégés par la Charte. Pour ces éléments de preuve, s’il y a violation, la réparation convenable et juste serait le rejet de la preuve. 

Source : www.devoir-de-philosophie.com

Cependant, on ajoute une condition qui est plus qu’importante. L’élément de preuve est écarté « s’il est établi […] que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. » Autrement dit, lorsqu’un élément de preuve est obtenu et qu’il viole les droits protégés par la charte, il se pourrait qu’il soit tout de même admis en preuve. De l’autre côté, en présence d’un élément de preuve qui a été obtenu en violant les droits garantis par la Charte, on le rejettera si son utilisation avait pour effet de salir l’image de la justice. La « considération » de l’administration de la justice joue donc un rôle majeur dans le système de droit canadien. 

LA CONSIDÉRATION DE LA JUSTICE

Maintenant, il faut réfléchir à ce qu’est la « déconsidération de l’administration de la justice ». Si on a de la considération pour quelqu’un, c’est qu’on a de l’estime pour elle. Ce sera le même principe pour l’administration de la justice ou, autrement dit, pour le système de justice canadien. Selon ma lecture, le constituant a voulu que l’opinion publique ait un impact concret sur le système de justice. Bien que nous sommes dans un État de droit, il faut que les citoyens aient confiance en leur système de justice. 

Comme mentionné précédemment, les réseaux sociaux et les médias traditionnels communiquent l’opinion publique. On n’a qu’à penser au verdict initial de l’affaire Turcotte et à la forte réaction publique. Certains citoyens et journalistes ont vraiment vu d’un mauvais œil cette décision. Le verdict du second procès a curieusement calmé les foules. C’est pour cette raison que les médias portent le titre du quatrième pouvoir. Ils ont une force et un impact suffisamment importants pour influencer l’organisation de notre société. En somme, il faut en avoir conscience et demeurer alerte face au quatrième pouvoir. La juste information doit être favorisée. 

 

 

 

 

LE PROGRÈS ENTRAÎNE-T-IL LA PARESSE ?

Émile Marcoux

 

Le progrès. L’innovation mène au progrès parce que l’ambition humaine parle contre la paresse. Nos possibilités semblent infinies, parce que l’innovation est le propre de l’intelligence humaine. Si je vous demande de peindre la paresse, vous dessinerez probablement les traits d’un être qui évite tous les efforts. Cependant, si je vous présentais le portrait d’une personne qui évite tous les efforts inutiles, y verriez-vous de la paresse ou de l’intelligence

L’innovation permet à l’être humain de faire plus avec moins. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple de l’outil. L’outil nous permet d’effectuer un même travail plus rapidement en fournissant un moindre effort. Ainsi, son introduction a entrainé une croissance de notre efficacité. Il en découle une augmentation de notre productivité et une diversification de nos activités. L’innovation entraine donc le progrès. Pour arguer qu’elle se conjugue à la paresse, encore faudrait-il en faire la preuve. En d’autres mots, démontrer que vous et moi nous ne retirons rien du gain d’efficacité qui découle de l’innovation. Qu’en est-il ?

Étudier l’effort consacré par l’homme du 20e siècle pour combler ses besoins primaires permettrait de répondre à cette question. Nous réaliserions que nous satisfaisons ces mêmes besoins avec beaucoup moins d’efforts aujourd’hui. Comparer l’effort que nos grands-parents mettaient au champ avec celui que nous mettons aujourd’hui sur les bancs d’école permettrait de constater que l’innovation n’entraîne pas la paresse. En effet, l’effort reste le même, il est simplement investi dans d’autres domaines. Ceci étant dit, puisqu’il s’agit d’un raisonnement purement cérébral, voire quelque peu endormant, procédons autrement. 

Aujourd’hui, je vous annonce que dorénavant, grâce à une innovation X, 4 h de sommeil vous suffiront pour refaire le plein d’énergie. Réfléchissez. Qu’allez-vous faire des 4 heures qui s’ajoutent à votre journée active ? Rien ? Paresser ?  Non. La plupart d’entre vous vont prendre un client de plus, certains vont sortir leurs souliers de course, alors que d’autres prendront ce temps pour le passer avec leurs enfants.

Le dernier siècle a été témoin de plus d’innovations que tous ceux qui l’ont précédé réunis. Nous avons fait des progrès inimaginables. Mais regardez les chiffres : regardez et vous verrez aussi que l’on travaille plus que jamais. Il n’existe donc aucun lien tangible entre la notion d’innovation et la paresse. Au contraire, enchaînés à nos ambitions qui sont nourries par l’innovation, ne sommes-nous pas rendus prisonniers du travail ? Où se trouve la limite entre l’actualisation de soi et l’obsession de la perfection ?

Quand vous y réfléchirez, gardez simplement en tête que l’innovation mène au progrès parce que l’ambition humaine parle contre la paresse.

Le dernier siècle a été témoin de plus d’innovations que tous ceux qui l’ont précédé réunis. Nous avons fait des progrès inimaginables. Mais regardez les chiffres : regardez et vous verrez aussi que l’on travaille plus que jamais. Il n’existe donc aucun lien tangible entre la notion d’innovation et la paresse. Au contraire, enchaînés à nos ambitions qui sont nourries par l’innovation, ne sommes-nous pas rendus prisonniers du travail ? Où se trouve la limite entre l’actualisation de soi et l’obsession de la perfection ?

Quand vous y réfléchirez, gardez simplement en tête que l’innovation mène au progrès parce que l’ambition humaine parle contre la paresse.

Pourquoi le sais-je ? Parce que cette idéologie du toujours plus est socialement valorisée. En fait, l’innovation se conjugue avec le progrès parce que l’idée de « toujours faire plus » est socialement construite, tout comme celle de « toujours faire mieux ».

L’idéologie du « toujours mieux » s’enracine dans notre société axée sur la performance. L’humain a ce fantasme de dominer son environnement ; ce besoin de se sentir à l’origine des choses pour éviter de subir.  Donc, notre ambition guide l’innovation vers le progrès. Elle s’assure que l’on évite de tomber dans le confort de la paresse. Dès l’école primaire, on enseigne à nos enfants à identifier des pistes pour améliorer leur travail, sans égard au résultat obtenu. Le message est clair : « tu peux faire mieux ; tu pourras toujours faire mieux ». Pour prendre un exemple plus près de nous, pensons aux étudiants qui refont volontairement des cours déjà réussis dans le but d’obtenir de meilleurs résultats. Il s’agit d’une illustration concrète de cette quête de perfection dans sa dimension individuelle, cette chimère du « toujours mieux ». Chimère parce que l’innovation nourrit notre ambition d’atteindre l’inatteignable. 

Le dernier siècle a été témoin de plus d’innovations que tous ceux qui l’ont précédé réunis. Nous avons fait des progrès inimaginables. Mais regardez les chiffres : regardez et vous verrez aussi que l’on travaille plus que jamais. Il n’existe donc aucun lien tangible entre la notion d’innovation et la paresse. Au contraire, enchaînés à nos ambitions qui sont nourries par l’innovation, ne sommes-nous pas rendus prisonniers du travail ? Où se trouve la limite entre l’actualisation de soi et l’obsession de la perfection ?

Quand vous y réfléchirez, gardez simplement en tête que l’innovation mène au progrès parce que l’ambition humaine parle contre la paresse.