Les arrêts de la Cour suprême

Roxanne Lefebvre

 

Le 9 septembre dernier s’est tenue la 13e conférence Claire L’Heureux-Dubé, cette année présentée par l’Honorable Clément Gascon, juge à la Cour suprême du Canada depuis juin 2014.  Intitulée « Avoir le dernier mot…? Mythe ou réalité…? », la conférence avait pour but de démystifier le processus décisionnel de la plus haute cour du pays, processus d’ailleurs tristement mal connu de la communauté juridique et des justiciables. Surlignés, annotés, parfois mal-aimés mais plus souvent salués, les arrêts de la Cour suprême sont au cœur du raisonnement juridique de tout initié ou professionnel du droit, de l’étudiant jusqu’au magistrat. Néanmoins, rares sont ceux qui peuvent prétendre être familier avec les différentes étapes du processus décisionnel se déroulant au 301 Wellington Street à Ottawa. L’honorable juge Clément Gascon nous en offrait, le mois dernier, un bref aperçu.

 

La Cour suprême du Canada, à Ottawa — Photo Getty Images

Rares sont les dossiers qui terminent leur parcours dans le système judiciaire à la Cour suprême. Celle-ci pourra être saisie de plein droit dans deux situations particulières, soit par renvoi d’un gouvernement ou, en matière criminelle, lorsqu’il y a dissidence en Cour d’appel sur une question de droit. Ces situations demeurent toutefois rares et, dans tous les autres cas, une autorisation devra être accordée par la Cour pour se pourvoir devant elle.

Quelques 50 à 70 autorisations seront accordée à chaque année, sur dossier, sans audience, sur la base d’une appréciation discrétionnaire de la Cour.

« La Cour suprême n’est pas une cour d’erreur. Nous ne sommes pas là pour réviser le travail des cours d’appel. »

— L'honorable Claire L'Heureux-Dubé

Pour obtenir une autorisation d’appel, les dossiers doivent généralement « avoir une envergure qui dépasse le seul intérêt des parties. » Ainsi, celle-ci se penchera principalement sur des questions d’interprétation de lois fondamentales, telles que les chartes des droits de la personne, ou qui sont l’objet de conflits jurisprudentiels devant les cours d’appel.

Monsieur le juge Gascon insiste d’ailleurs sur le fait que le rôle de la Cour suprême n’est pas de réviser les jugements des cours d’appel; le rejet d’une demande d’autorisation ne signifie donc en aucun cas que la Cour est d’accord avec la décision dont on souhaite appeler. Parfois, la Cour estime seulement que le débat soulevé n’en est pas un qui se prête intervention.

« AVOIR LE DERNIER MOT : PAS SUR TOUT »

Toute décision rendue par la Cour suprême, de l’autorisation jusqu’au jugement, est issue d’un processus collégial au cours duquel est ac­cordée une très grande importance à la discussion et au choc des idées.

La décision d’autoriser ou de rejeter une demande d’autorisation sera prise par un panel de 3 juges. S’il y a accord, les 6 autres juges en sont informés et peuvent alors demander que la question soit discutée, en présence de tous les juges, lors d’une conférence mensuelle. Si les 3 juges sont plutôt en désaccord sur l’opportunité d’entendre l’affaire, la question sera aussi référée à la conférence mensuelle. Lorsqu’il y a désaccord, il suffit que 4 juges souhaitent entendre l’affaire pour que l’autorisation soit accordée.

Pour ce qui est de la décision sur le fond, celle-ci est prise à 5, 7 ou 9 juges. Bien que la Cour tente d’être unanime, elle ne l’est que dans 65 à 70% des affaires qu’elle entend. Monsieur le juge Gascon insiste d’ailleurs sur l’importance de la dissidence pour une société démocratique, exprimant l’avis que « la dissidence confirme et renforce l’indépendance et l’impartialité individuelle de chaque juge », forçant la majorité à être redevable et à améliorer la qualité de ses propres motifs. 

Le juge termine son exposé en invitant les juristes, aussi bien que les magistrats, à faire preuve de civilité, de respect et de modération dans la pratique de leur profession. Réitérant l’importance d’un système judiciaire transparent et ouvert, celui-ci rappelle que l’opinion des juges de la Cour suprême ne triomphe pas toujours, puisque « le dernier mot appartient à la société canadienne, qui doit pouvoir compter en tout temps sur un pouvoir judiciaire indépendant, compétent et à l’écoute. »

* Note : sauf indication à l’effet contraire, les citations sont de l’hon. Clément Gascon.