Du Témis à Thémis

Par Jordan Mayer, publié le 24 mai 2021

Crédit photo : Josiane Bruneau

Crédit photo : Josiane Bruneau

PORTRAIT | Je dois avouer qu’il m’a pris du temps pour faire de l’ordre dans mes idées avant d’écrire sur mon patelin, ma région natale, de façon aussi personnelle. Est-ce le fait que, étant adolescent, je prenais en quelque sorte pour acquis ce qui m’entourait, les grands espaces magnifiques qui n’ont rien à envier à ailleurs, les gens chaleureux et surtout cette ambiance de tranquillité et de sérénité si familière? Probablement. Est-ce parce que j’adorais - et j’adore toujours - explorer plusieurs centres d’intérêt à la fois pour découvrir le monde? Sûrement. Est-ce finalement à cause du dilemme identitaire que j’éprouve parfois lorsque je me remémore mes souvenirs du Témiscamingue? Assurément.

Les gens qui me connaissent savent que j’affectionne de parler du « Témis ». Pas de l’Abitibi! Nous, Témiscamiennes et Témiscamiens, reconnaissons notre région sœur et l’apprécions, mais nous nous distinguons grandement de celle-ci sur le plan géographique (notre climat est plus chaud et doux!), sociologique, culturel, bref, sur le plan de notre identité (1).

Je vous propose de brosser un bref portrait de ma région, suivi de quelques réflexions entourant les enjeux régionaux, personnels comme collectifs.

Le trésor méconnu du Québec

Cette expression, que j’ai entendue à plusieurs reprises, est bien représentative du Témiscamingue. J’en cite une autre (histoire d’aborder la question comme il se doit) dite par notre députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, lors de son élection en octobre 2018 : « On peut sortir la fille du Témiscamingue, mais on ne sort pas le Témis de la fille! (2) ».

Crédit photo : Tourisme Témiscamingue

Crédit photo : Tourisme Témiscamingue

Parce que cette région de 19 744 km2, soit 19 fois la superficie de l’île de Montréal, regorgeant de 7500 rivières et lacs, pour une population d’environ 16 000 habitants répartis en plus d’une vingtaine de municipalités et quatre communautés de la nation algonquine Anishinabeg*, est sans conteste un détour inoubliable (3)! La villégiature, la chasse, la pêche, la visite de musées (4), le plein-air, le tourisme culinaire, ou encore la visite du plus récent parc Opémican de la Sépaq, ne sont que quelques exemples parmi tant d’activités et de possibilités lors d’un séjour en région (5). 

J’ai manifestement encore un parti pris et un grand attachement pour les municipalités de Lorrainville et de Rémigny, d’une part le village d’origine de mon père, ma sœur et moi et, d’autre part, celui de ma mère. Du côté maternel de ma famille, mes grands-parents y sont arrivés en tant que colonisateurs, originaires de la région de Lanaudière, pour avoir une vie meilleure face aux conditions arides de la grande crise de 1929 (6). Je suis conscient qu’eux aussi devaient avoir l’impression d’être déracinés de leur milieu par moments, même s’ils ont fait du Témis leur maison, à la force de leurs bras et de leur cœur. 

Partir ou rester?

La plupart des jeunes traversent cette épreuve un jour ou l’autre. Beaucoup entament des études à l’extérieur et y reviennent après quelques années, d’autres restent dans les grands centres urbains, souvent à cause de leur emploi.

D’un point de vue personnel, mes intérêts juridiques et d’emploi penchent plus pour la décision de rester en ville. Malgré tout, cette décision est la suite d’un long processus de questionnements et de doutes. Ce n’est pas simple d’opposer ses intérêts avec son attachement pour son milieu de vie. J’ai l’impression que ce dilemme identitaire nous suit longtemps, même si le bonheur et l’épanouissement n’est pas exclusif à quelque endroit que ce soit (6).

Crédit photo : France Vallée

Crédit photo : France Vallée

Autonomie régionale

Dans les années 60, les disparités économiques entre les centres urbains et les régions du nord québécois sont telles que des représentants de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-Est de l’Ontario font campagne sur l’idée de la création d’une 11e province (8). En pleine montée de la tension politique suivant les attentats du Front de libération du Québec (FLQ), la Gendarmerie royale canadienne (GRC) enquête même sur ce projet sécessionniste, qui se veut plus régionaliste que nationaliste. 

Cette situation est emblématique du contexte actuel – projet de sécession en moins – quant à l’autonomie régionale. L’administration est grandement centralisée, les sphères décisionnelles avec elle dans bien des cas. Toutefois, le Québec est une immense province, par conséquent la réalité de ses régions n’est pas la même partout. 

Et si les « régions », selon une volonté de décentralisation, avaient plus de pouvoir décisionnel, afin de favoriser une prise de décision locale? Au temps de la prise de conscience du « consommer local », de la solidarité pour nos concitoyens, entrepreneur(e)s, professionnel(le)s, artisans, visionnaires du monde de demain… la question se pose.

Par ailleurs, plus le citoyen est près de l’instance décisionnelle, moins il y a logiquement de chance de voir le cynisme prendre d’assaut la société…

En guise de conclusion

Peut-être que vous aurez remarqué que j’utilise souvent le « nous » en parlant de ma région natale. C’est que, même si je n’y habite plus, et même si je n’y retournerai pas comme visiteur avant quelque temps, contexte sanitaire oblige et mes parents n’y résidant plus, je m’y sentirai toujours chez moi. Parce qu’au final, ce n’est pas un contexte géographique actuel qui nous définit, c’est bien plus que cela. Et je serai toujours immensément fier de revendiquer mon appartenance au Témis.

Notes

* Une première version de cet article ne mentionnait pas l’existence des membres des Premières Nations présents sur le territoire. L’équipe de rédaction du Verdict s’en excuse.

[1] Je m’inspire ici de l’intervention de notre préfète sur la place publique à la suite d’un article de La Presse parue en décembre dernier. Bien que cet article fît part de la résilience des gens de la région de l’Abitibi-Témiscamingue face à la Covid-19, le Témiscamingue n’y était point mentionné. C’est d’exclure par défaut un tiers du territoire d’une réalité qui se veut représentative… Je vous laisse lire le nouveau titre de l’article. Suzanne Colpron, « Abitibi : le village gaulois », La Presse+, sect. ACTUALITÉS (5 décembre 2020), en ligne : <https://plus.lapresse.ca/screens/c4461027-5fcb-4307-a665-29cdce642321__7C___0.html> (consulté le 2 avril 2021).

[2] Catherine Lévesque, « Émilise Lessard-Therrien: «On peut sortir la fille du Témiscamingue, mais…» », HuffPost Québec (25 octobre 2018), en ligne : <https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/10/25/emilise-lessard-therrien-quebec-solidaire_a_23570912/> (consulté le 2 avril 2021).

[3] Allez voir ce site!: « Vivre au Témiscamingue », en ligne : <https://vivreautemiscamingue.com/> (consulté le 2 avril 2021).

[4] Voici un parti pris pour deux sites touristiques où j’ai travaillé, soit le Domaine Breen et la centrale hydroélectrique de la Première-Chute. En ligne : http://www.domainebreen.com/ et http://www.hydroquebec.com/visitez/abitibi/chute.html

[5] Voir en ligne : https://www.tourismetemiscamingue.ca/

[6] J’ai une grande admiration pour le courage des pères, mères et enfants qui arrivaient avec très peu de biens et moyens en forêt. Leur courage ne rivalisait qu’avec leur force de caractère et leur ténacité. Voir « Adoption d’une loi provinciale encourageant la colonisation », en ligne : <http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/20874.html> (consulté le 2 avril 2021).

[7] Je vous recommande sans équivoque le fabuleux documentaire d’une Témiscamienne d’origine qui retrace avec beaucoup d’acuité ces sujets qui me sont chers : François Lévesque, « Sarah Baril Gaudet: l’été où tout peut changer », Le Devoir, en ligne : <https://www.ledevoir.com/culture/cinema/596726/cinema-sarah-baril-gaudet-l-ete-ou-tout-peut-changer> (consulté le 2 avril 2021).

[8] Outre l’intérêt constitutionnel du projet, on y dénote un sentiment d’aliénation par rapport aux décisions prises dans les centres urbains, qui se prêtent beaucoup plus à leurs propres enjeux locaux qu’à ceux des « régions » : « “[…] on ne peut pas se développer comme on le souhaite, alors, autant se séparer et se gouverner nous-mêmes”, paraphrase Vincent Rousson […] [a]utrefois étudiant à la maîtrise du Département d'histoire et de sciences politiques de l'Université de Sherbrooke. M. Rousson a consacré son mémoire au projet de la 11e province en 2001. Zone Politique- ICI.Radio-Canada.ca, « Quand l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-est ontarien voulaient devenir la 11e province | Abitibi-Témiscamingue inusitée », Radio-Canada.ca, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/765313/11e-province-abitibi-temiscamingue-nord-est-ontario> (consulté le 2 avril 2021).