Au cours des derniers mois, les dénonciations d’inconduite sexuelle en milieu de travail se sont exponentiellement multipliées, provoquant une conscientisation mondiale à l’égard de la violence sexuelle envers les femmes, qui est souvent permise en toute impunité. Bien que la couverture médiatique du harcèlement et de l’agression sexuelle soit sans précédent, rappelons-nous qu’il s’agit d’un phénomène qui n’est ni rare, ni nouveau. Ainsi, la question se pose : Le mouvement #MoiAussi, bien que pionnier en son genre, est-il suffisant pour changer la donne?
En fait, l’inconduite sexuelle est profondément enracinée dans notre société; c’est un produit de l’inégalité genrée, qui dépend et coexiste avec les autres injustices auxquelles les femmes sont assujetties. D’ailleurs, les études démontrent qu’il existe une importante corrélation entre le harcèlement sexuel et l’iniquité salariale, qui le favorise et le perpétue.
Le tout récent Global Gender Gap Report 2017 indique que les Canadiennes gagnent en moyenne 76,9 % du revenu des hommes. Bien que cet écart puisse être attribuable à un bon nombre de facteurs, le harcèlement sexuel au travail y est intrinsèquement lié. En effet, le harcèlement sexuel semble créer une ségrégation occupationnelle des femmes dans les secteurs plutôt masculins, celles-ci se redirigeant vers des emplois principalement occupés par les femmes. Selon les sociologues McLaughlin, Uggen et Blackstone, les femmes qui vivent du harcèlement sexuel au travail sont six fois plus enclines à quitter leur emploi que celles qui ne le sont pas[1]. Une de leurs études a également établit que 80 % des femmes qui sont harcelées sexuellement au travail quittent leur emploi à l’intérieur de 2 ans, ce qui anéantit virtuellement toutes leurs chances d’être promues et de grimper dans leur domaine[2]. Bien que plus sécuritaires, les emplois envers lesquels les femmes se tournent, d’ordinaire, sont également moins épanouissants et moins payants. Ainsi, le fait de fuir un environnement aussi nocif créé souvent de véritables barrières dans la carrière des femmes.
Essentiellement, le harcèlement sexuel est une forme de discrimination, qui devrait être traitée comme telle par nos tribunaux. La longue tolérance des employeurs à l’égard de telles pratiques se traduit par le fait qu’il est toujours permis de traiter les femmes différemment en raison de leur genre. Quand les femmes sont ouvertement dégradées dans le milieu professionnel, l’inégalité économique des genres ne peut qu’être maintenue. Cette inégalité qui, à la base, provient d’une mentalité selon laquelle les femmes servent aux hommes; que leurs pensées, idées et accomplissements sont secondaires à leur apparence physique et à leurs capacités reproductrices.
Inversement, l’iniquité salariale est également la raison pour laquelle de telles inconduites subsistent en milieu de travail, ayant pour effet de maintenir les femmes dans une position subordonnée à celle de leur agresseur. Lorsque les femmes sont ignorées, sous-estimées et qu’elles se voient systématiquement empêcher ou indument refuser la possibilité d’obtenir une promotion, elles demeurent sous le contrôle des hommes qui les harcèlent et ceux-ci bénéficient d’une liberté vastement plus écrasante. Lorsque les femmes sont payées moins cher que les hommes pour le même travail, éventualité qui survient chez le quart des femmes[3], l’idée qu’elles sont inférieures et économiquement sacrifiables est renforcée. D’ailleurs, lorsque les femmes sont dépendantes de leur agresseur, ou qu’elles ne se voient pas accorder la même valeur économique, elles sont manifestement plus susceptibles d’être punies, voire même congédiées, si elles portent plainte.
Ainsi, il semblerait que l’inégalité homme/femme soit une problématique dont « le harcèlement sexuel est le fil d’or et l’iniquité salariale est le fil d’argent ». Tant et aussi longtemps que les femmes gagneront une fraction du revenu des hommes, elles demeureront dans une position où la menace d’inconduite sexuelle est imminente. Après tout, comment pouvons-nous être respectées sexuellement si nous ne le sommes pas dans tous les aspects de notre existence?
La route vers la justice est longue. Enfin, on commence à marcher.
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[1] Rebecca GREENFIELD et Laura COLBY, «Sexual Harassment Could Play a Part in Gender Pay Gap», The Toronto Star, 5 janvier 2018.
Heather MCLAUGHLIN, Christopher UGGEN et Amy BLACKSTONE, «The Economic and Career Effects of Sexual Harassment on Working Women», Sage Journals, Vol. 31, No. 3, 2017.
[2] Id.
[3] Kim PARKER et Cary FUNK, «Gender Discrimination Comes in Many Forms for Today’s Working Women», Pew Research Center, 14 décembre 2017.