Au-delà des résultats de sondage: il faut s’inquiéter pour les étudiants

Par Kevin Garneau, publié le 20 février 2021

Crédit photo : @eliottreyna

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OPINION | La façon de prodiguer un enseignement et la façon d’apprendre est profondément différente à l’université depuis le 16 mars 2020. Ça fera bientôt un an. Les étudiants de première année auront connu presque exclusivement les cours en ligne lors de leur première année. Quel bilan en tirer ? Perspectives sur une situation qui s’étire dans le temps.

Malgré tout, ça se déroule relativement bien compte tenu des circonstances. C’est le constat général. Les témoignages reçus par Le Verdict et les informations transmises aux étudiants par l’Université Laval corroborent ce fait. Dans les circonstances, en général, les cours sont convenables. On fait ce qu’on peut, peut-on lire entre les lignes. 

Est-ce réellement suffisant ? La réalité est que l’apprentissage n’est pas aussi bon que si les activités se déroulaient en classe. De plus, il y a des limites importantes et des questions sérieuses à se poser en raison du contexte. Les formes utilisées pour enseigner sont-elles adéquates? Un an plus tard, ça va toujours de la lecture autonome jusqu'au cours Zoom en groupe de plus de 70 personnes. Les étudiants avec des difficultés ou des troubles d’apprentissage ont-ils les moyens de réussir leurs études ? Que fait-on des étudiants qui n’ont pas d’environnement adéquat pour étudier? Un couvre-feu obligeant tout un chacun à rentrer à la maison pour 20 heures est en vigueur actuellement. Que fait-on des étudiants qui passent des journées entières concentrés devant un écran d’ordinateur ? Il faut s’inquiéter pour les étudiants. Il faut se préoccuper de leur apprentissage. Il ne faut pas se contenter de solutions qui permettront de dire que, dans les circonstances, en général, c’est convenable. 

Malheureusement, cette inquiétude ne semble pas être primordiale pour l’université. Du moins, elle n’est pas transformée en actions concrètes. L’université a utilisé un controversé sondage (Radio-Canada n’a pas pu avoir accès à ce sondage, d’ailleurs), qui affirme que 77% des répondants ont signifié que leur session s’était bien ou très bien passée, comme argument pour justifier trop longtemps le refus d’autoriser un ajustement de la notation, avant de finalement changer d’idée. Elle laisse cette nauséabonde impression que d’avoir une université fonctionnelle qui permet d’offrir des cours et d’évaluer ses étudiants est, en soi, suffisant. À ce titre, le fait que plusieurs étudiants ont dû faire pression pour avoir des évaluations à distance alors que la situation sanitaire ne justifiait absolument pas la tenue d’examens en présentiel à la session d’automne laisse croire que la priorité n’est pas la santé des étudiants. Éviter que la probable minorité de tricheurs sévisse est plus important que la santé de la population étudiante et l’effort collectif exigé ?

D’ailleurs, la seule solution n’est pas la tenue des examens en présentiel. Il y en a d’autres. J’imagine que des personnes à la Faculté des sciences de l’éducation doivent avoir des solutions à offrir. Il est inacceptable que des décisions importantes soient justifiées sur la base d’un sondage de satisfaction dont les résultats n’indiquent nullement l’état des choses. La consultation de personnes dans le domaine des sciences de la consommation aurait permis de constater qu’un tel résultat n’indique rien du tout étant donné la tendance des gens à attribuer des notes à la hausse dans les sondages. Le 77% (ou le 7 en ce qui à trait au sondage réalisé auprès des étudiants en droit) n’indique pas que c’est satisfaisant. Cependant, c’est une belle donnée pour dire que, dans les circonstances, en général, c’est convenable. N’est-ce pas ?

Dans la situation actuelle, il faut prendre conscience de l’équilibre précaire dans lequel nous nous trouvons et il est nécessaire de relever la barre. Nul doute que la plupart des gens sont remplis de bonnes intentions, font preuve de compréhension et veulent passer à travers en collaborant. Les étudiants, les enseignants, le personnel de l’administration font preuve de résilience et font ce qu’ils peuvent. N’empêche que, certains, par leurs actions, viennent anéantir les efforts de bien d’autres. Le refus d’écouter les étudiants et de proposer des solutions innovantes et intéressantes l’est aussi. Accepter l’inacceptable est aussi honteux.

De plus, il devient difficile de conserver l’équilibre lorsqu’on lit des témoignages où des professeurs ne font que partager des lectures à faire à leurs étudiants, ne sont pas présents ou disponibles pour les élèves, ne respectent pas les échéanciers qu’ils ont eux-mêmes fixés, conçoivent des évaluations injustes ou refusent toute adaptation dans une situation qui l’exige. Ils sont une minorité, mais ils ont un impact suffisant pour briser les liens que d’autres s’évertuent à créer. C’est aussi révoltant que la triche, qu’on soit en situation de pandémie ou pas. Tout le monde est au courant, rien ne se fait. 

Au-delà des résultats scolaires et du contexte d’apprentissage, l’échec se situe au niveau de la santé mentale des étudiants. C’est effectivement un problème urgent et connu [1]. Un « cri du cœur » de la communauté étudiante de l’Université Laval trouvait écho dans les médias [2] en NOVEMBRE dernier. Que trop peu soit fait est incompréhensible. La détresse psychologique des étudiants était bien présente au sein de la Faculté de droit avant même que tous les facteurs aggravants résultant du confinement et de l’enseignement à distance s’ajoutent. Résultat ? On se dirige  vers une session d’hiver en tout point similaire à celle d’automne. Plusieurs étudiants vivront, au cours de la session, de la détresse psychologique à différents niveaux et à différents moments. Mais, au moins, la session se déroulera de bon train, j’imagine. Ce n’est pas suffisant.

La solution passe par un changement de culture et c’est une série de gestes qui permettront de rétablir une vie étudiante saine. Les initiatives dans ce domaine sont saluées. Cependant, offrir du soutien à des élèves qui souffrent en raison, notamment, des conditions scolaires très difficiles imposées est ironique. Les étudiants croulent sous la charge de travail imposée, la culture de performance et de compétition perfide qui plane au-dessus de leur tête. La pandémie ne fait qu’aggraver les problèmes. 

En cette année d’enseignement à distance, le constat est simple. On offre les services nécessaires aux étudiants et un enseignement relativement bien aux étudiants dans la grande majorité des cas. Mais ce n’est pas suffisant, les problèmes existaient avant et ils sont amplifiés maintenant. L’Université Laval, animée par la recherche d’excellence, par un esprit d’innovation et qui affirme son engagement à relever les grands défis de la société [3], doit s’établir comme leader, relever les barres en entrainer l’ensemble de la communauté universitaire dans ses efforts. Rien de moins.

Note: Les étudiants en droit ont reçu un courriel de la part du directeur de programme Daniel Gardner et un courriel de l’Université avisant de l’octroi de la mention succès ou échec. Je tiens à remercier personnellement les personnes qui font preuve d’ouverture, de compréhension de la situation et qui prennent le temps d’expliquer aux étudiants la réalité actuelle. Des ajustements bienvenus sont déjà visibles dans certains cours. Pour le reste, les problèmes demeurent et ils sont prévisibles. Des conditions imposées et leurs effets ne sont pas acceptables. La liberté presque absolue des professeurs dans le choix des approches et des évaluations entrainera des dérives dans certains cas. Les étudiants seront victimes de détresse psychologique. On répètera le scénario. 

Note 2: Si vous rencontrez des problèmes avec un professeur, la meilleure solution est de contacter l’association étudiante afin de centraliser les communications et de profiter de l’expertise et des contacts de vos représentants et d’assurer une communication respectueuse. Il faut relever le niveau, ouvrir la discussion et trouver des solutions. C’est valable pour tous. Il faut préserver l’équilibre.

Notes

[1] UNIVERSITÉ LAVAL, « Notre université », [En ligne], [https://www.ulaval.ca/notre-universite].

[2]Ariane KROL, « La détresse plus criante chez les jeunes adultes », La Presse, le 14 janvier 2021, [En ligne], [https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2021-01-14/sante-mentale/la-detresse-plus-criante-chez-les-jeunes-adultes.php].

[3]Émilie PELLETIER, « Détresse psychologique : « cri du cœur » de la communauté étudiante », Le Soleil, 8 novembre 2020, [En ligne ], [https://www.lesoleil.com/actualite/education/detresse-psychologique-cri-du-cur-de-la-communaute-etudiante--a370f1f6802c251255b40d6c04b09ef3].