Avant de débuter ce texte, je tiens à préciser que je suis un homme, un homme conscient des privilèges qu’il possède au sein de cette société patriarcale par le fait même d’être un homme. Je suis hétérosexuel, ainsi mon épanouissement personnel et sexuel au sein de cette société, qui est hétéronormative, n’est pas obstrué, mais plutôt encouragé. Je suis un étudiant en droit à l’Université Laval, ainsi ma scolarité facilite mon accès à des opportunités d’emplois bien rémunérés et prestigieux. Sans vouloir étaler le reste de mes privilèges, cet exercice m’a permis de mieux comprendre le rôle que je peux avoir dans la construction d’une société égalitaire, mais aussi les comportements qui renforcent l’inégalité entre les personnes et le maintien du patriarcat. Je tiens à dire aussi que je ne suis pas spécial ou avant-gardiste par mes positions et les valeurs que je défends. Je suis un être humain qui a appris qu’il possède un avantage sur un autre basé sur quelque chose qui ne relève pas de son choix. Je suis né homme, je m’identifie à mon genre et je suis hétérosexuel. La question que je me pose est la suivante : comment un homme peut aider la lutte féministe et non lui nuire ?
Selon Christine Delphy, sociologue française, les hommes doivent faire une introspection sur la façon dont ils perçoivent la lutte féministe, s’interroger sur les comportements sexistes qu’ils ont ou que leur entourage pratique, et finalement, éviter de juger ou de parler au nom des femmes et des féministes [1]. Ainsi, les hommes doivent s’engager dans un processus de disemporwerment, c’est-à-dire que l’homme doit entreprendre un processus où il doit réduire le pouvoir qu’il exerce sur la femme et les femmes [2]. Quand je dis « la femme », je fais référence aux interactions individuelles, par exemple dans une relation académique, amoureuse ou amicale. Quand je dis « les femmes », je fais référence aux interactions collectives, par exemple la perception qu’on peut avoir par rapport à un aspect du mouvement féministe ou son ensemble.
Pour mieux comprendre le processus de disemporwerment de l’homme, il est important de définir le processus d’emporwerment des femmes véhiculé par le féminisme. L’empowerment signifie le développement de l’autonomie des femmes et de leur capacité à faire ce qu’elles veulent, pour cesser d’être un objet inférieur à l’homme et devenir un sujet, c’est-à-dire être son égal. Ainsi, l’emporwerment des femmes n’est pas d’enlever à un pour le donner à l’autre. C’est simplement être traité équitablement. Donc le disempowerment des hommes ne signifie guère la perte de leur capacité d’agir en tant qu’êtres humains, mais signifie simplement de minimiser le pouvoir qu’ils exercent en tant qu’hommes sur les femmes [3] afin que ces dernières soient nos égales. Par exemple dans un travail d’équipe, l’étudiant ne doit pas réduire son existence au sein du groupe parce qu’il y a une étudiante. Il ne doit pas rester silencieux de peur d’être pointé du doigt. Il doit simplement être conscient qu’il n’est pas le seul membre de l’équipe qui veut faire part de son opinion. Ainsi, donner la parole à tous les membres de l’équipe, n’enlève pas à l’étudiant son droit de parole, mais redonne à tous le droit d’exprimer équitablement leur opinion.
Dans cette optique, quelles sont les actions que doivent entreprendre les hommes en processus de disemporwerment. En vertu du Petit guide du « disempowerment » pour hommes proféministes de Francis Dupuis-Déri, ils doivent, tout d’abord, s’informer sur le mouvement féministe, mais surtout étudier des œuvres se penchant sur l’analyse féministe afin qu’ils soient conscients des dynamiques psychologiques et interpersonnelles du patriarcat. Nous devons comprendre quelles sont les dynamiques d’oppression que vivent les femmes dans notre société afin d’éviter de les reproduire. Je ne suis pas né proféministe, j’ai appris à l’être. Ce processus, qui n’est pas encore terminé, s’est construit autour d’expériences personnelles, d’une curiosité intellectuelle, mais surtout par le soutien et le travail de femmes de mon entourage. Comprendre, mais surtout se faire dire, que certains de nos comportements sont sexistes n’est pas facile, mais c’est essentiel. Reconnaître un problème permet de mieux le comprendre afin d’éviter qu’il ne se reproduise.
Deuxièmement, l’homme qui souhaite participer activement dans le mouvement féministe doit se mettre en retrait ou limiter son implication à celui d’auxiliaire [4]. En effet, il est important qu’en tant qu’homme proféministe, nous acceptions que le processus décisionnel au sein du mouvement féministe appartienne exclusivement aux femmes. Donc, il ne faut pas crier au meurtre lorsqu’un collectif féministe souhaite tenir une rencontre ou un événement non-mixte. Il faut simplement respecter ce choix. Prenons par exemple un collectif de latinos qui souhaite tenir un événement exclusivement pour des latinos autour du sujet de leur identité au sein du Québec. Faut-il critiquer cet événement comme étant discriminatoire envers les non-latinos ou simplement comprendre que cet événement souhaite contrôler le public afin que les participants se sentent à l’aise de partager leurs vécu et ressenti. Ainsi, la non-mixité ne vise pas exclure des individus, mais vise plutôt créer un espace sûr pour encourager l’échange.
En outre, l’homme proféministe, lorsqu’il veut faire une déclaration ou une action pour la cause féministe, doit obtenir l’approbation des féministes [5]. Cette reddition de compte ne tire pas sa source du fait qu’un homme ne comprendra jamais la situation de la femme ou que son opinion ne vaut rien, mais plutôt que l’homme proféministe n’est pas le sauveur de la femme. Il ne parle pas au nom des femmes. L’homme proféministe défend la cause féministe avec les féministes et non pour elle. Cette nuance est vitale, car il ne faut pas croire que les hommes émanciperont les femmes simplement en renonçant à leurs pouvoirs et privilèges [6]. C’est un travail collectif dirigé par les femmes, mais appuyé par les hommes.
Finalement, les hommes ne doivent pas être des agents passifs. Nous, en tant qu’hommes, nous pouvons prendre des actions concrètes, particulièrement face aux comportements misogynes et sexistes des hommes. Ce postulat ne signifie pas qu’il faut s’engager dans une croisade contre tous les hommes. Le concept de boys watch propose que les hommes rompent avec la solidarité masculine en se surveillant entre hommes pour repérer et contrer les comportements et les paroles misogynes ou sexistes [7]. Pour moi, le concept de boys watch s’applique dans mon cercle d’amis. Lorsqu’un ami fait des commentaires déplacés envers une personne, je ne fais preuve d’aucun geste validant ce commentaire. Et par la suite, je l’amène à se questionner par rapport à ce commentaire, particulièrement en le mettant dans une situation où une personne externe aurait pu avoir des commentaires déplacés envers sa personne. Être confronté peut-être déboussolant, mais c’est important pour comprendre la nature déplacée de certaines paroles ou gestes. J’ai déjà exprimé des commentaires déplacés envers des femmes et lorsqu’on m’a confronté, particulièrement par mes amies, je l’avoue, j’ai été déboussolé, mais ce geste m’a permis de faire une introspection sur ma personne et m’a permis de renforcer les valeurs et idéaux que je défends actuellement. Ainsi, les actions concrètes contre le sexisme peuvent simplement commencer en désapprouvant un commentaire ou un geste d’un ami proche.
Conclusion
En somme, il est important que les hommes accordent la priorité au processus de disempowerment [8] en s’informant sur le féminisme, en acceptant leur rôle d’auxiliaire dans le mouvement féministe et en posant des actions concrètes contre les commentaires et les gestes sexistes de leur entourage. Le disempowerment de l’homme vise à aider et non à nuire au mouvement féminisme. Le féminisme ne doit pas être perçu comme un concept étranger ou ennemi de l’homme. Bien au contraire, le féminisme est également bon pour les hommes. En effet, le féminisme permet aux hommes de se libérer du patriarcat qui les aliène en les enfermant dans leurs rôles masculins [9]. L’homme n’est pas un individu sans émotion qui utilise les autres, et particulièrement les femmes, comme des objets jetables afin d’obtenir ce qu’il veut. Dans cette optique, il faut travailler de concert avec les féministes pour créer une société réellement égalitaire.
[1] Francis Dupuis-Déri, « Les hommes pro-féministes : Compagnons de route ou faux amis », Recherches féministes, vol. 21, no. 1, 2008, par 6.
[2] Ibid, par 7.
[3] Ibid, par 10.
[4] Ibid, par 11.
[5] Ibid, par 11.
[6] Ibid, par 12.
[7] Ibid.
[8] Ibid, par 23.
[9] Ibid, par 25.