SEPTEMBRE 2017
Avoir 20 ans
Par Eve Gaumond
Certains attendent avec impatience de célébrer leur dix-huitième anniversaire, ce ne fut pas mon cas. J’entrevoyais même ma majorité avec une certaine appréhension. Je voyais beaucoup moins d’avantages que d’inconvénients au fait d’être adulte. Or, au jour demes vingt ans, les choses étaient toutes autres. Au tournant de ma troisième décennie, j’avais l’impression que la vie m’offrait les clefs de mon destin et qu’un monde de promesses s’ouvrait à moi.
Avoir 20 ans, c’est être à l’aube des chemins. C’est être encore suffisamment naïf pour avoir des rêves et c’est être assez outillé pour mettre en œuvre leur réalisation.
Avoir 20 ans, c’est avoir toutes les possibilités ouvertes devant soi et c’est avoir le luxe de se tromper et de réessayer.
Avoir 20 ans, c’est vivre la vie sans compromis, c’est travailler fort et festoyer d’autant plus fort, c’est avoir des valeurs qui nous sont chères et être prêt à se battre sans concession pour celles-ci.
En cet automne 2017 qui marque le 20e anniversaire du Verdict, c’est cette même fougue vingtenaire que je souhaite retrouver à travers les pages de notre journal facultaire.
Je souhaite que l’on se permette ici de rêver ensemble à un avenir meilleur par le biais de textes d’opinions et de prises de position rigoureuses et éclairées. J’espère que le Verdict deviendra la tribune par excellence des sujets qui nous tiennent à cœur collectivement.
Nous nous sommes également donné cette année le mandat de devenir témoin de la vie facultaire, par des entrevues, des photos-reportages ou de quelconque autre manière que ce soit. J’espère que tous les étudiants sauront se reconnaitre dans le Verdict et l’adopteront comme étant leur journal.
Cette année, pour son 20e anniversaire, nous offrirons au Verdict notre travail acharné et notre audace pour en faire un produit à la hauteur de sa réputation! Un journal académiquement rigoureux qui sait également embrasser son côté politisé, cultivé et festif.
Enfin, je profite de l’occasion pour vous inviter à vous joindre à nous pour réaliser cette mission que nous nous sommes donnée ! Deux postes d’exécutants seront ouverts en élection dans les prochaines semaines et nous sommes toujours à la recherche de journalistes également. Vous avez carte blanche sur le sujet.
Au plaisir!
MOT DU PRÉSIDENT
Par Simon Gadbois
Je tiens tout d’abord à mentionner que je suis fier, en tant que président et représentant de l’AED, d’appuyer le Verdict qui commence sa 20e année d’existence. C’est un accomplissement très impressionnant pour un journal étudiant d’être toujours aussi pertinent et intéressant après autant d’années. L’Association est déterminée cette année encore, à rester un collaborateur important du Verdict. En effet, ce journal qui débute sa deuxième décennie d’existence publie édition après édition des articles passionnants d’étudiants de la Faculté. Ainsi, je vous invite tous chers lecteurs à lire religieusement ce journal étudiant et peut-être même à envoyer vos propres articles à ce comité qui reflète les avis et valeurs de chacun d’entre nous.
Pour ma part, j’avais de grands souliers à chausser en succédant à Marc-Antoine Patenaude. En effet, celui qui fut à la fois un modèle et un ami pour moi a réussi à merveille à incarner tout ce qu’un bon président d’association étudiante devrait représenter. La barre est donc haute pour moi afin d’offrir la même qualité de président que peuvent s’attendre, avec raison, les étudiants de notre belle Faculté. Étant moi-même dans l’Association l’an passé, c’était donc avec un petit serrement au cœur que je laissais partir une superbe équipe remplie de gens incroyables qui parsemèrent ma dernière année de moments forts en émotions et en souvenirs. Cet ancienne AED me permit d’en apprendre beaucoup sur moi-même non seulement grâce à la passion et au professionnalisme de chacun en tant qu’exécutant, mais également pour leur amitié, leur amour et leur camaraderie tout au long de la dernière année.
Toutefois, je me console en voyant la formidable relève que forme l’exécutifpour l’année 2017-2018. En effet, je suis fier de l’équipe que j’ai l’opportunité de diriger. J’ai pleinement confiance en chaque nouvel exécutant et je sais que nous saurons faire face aux défis que peut apporter la gestion d’une association étudiante. Je peux déjà vous promettre que chacun d’entre eux est plus motivé l’un que l’autre à rendre cette année universitaire la plus incroyable possible et ainsi former un environnement permettant aux étudiants de développer un fort sentiment d’appartenance à notre belle Faculté. Je tiens maintenant à présenter un peu mon équipe et ma vision pour notre exécutif au courant de l’année en cours.
Notre mandat cette année en est un de transparence et d’ouverture. En effet, nous désirons être le plus accessibles et disponibles possible pour tous les étudiants de la Faculté. Que ce soit moi même, Dany Desrosiers, Sophie Thériault, Jessie Dumais, Camille Castonguay-Allard, Mélina Roche, Juliette Reny, Steven Brassard ou Vincent Anglehart, nous désirons être à votre image et vous représenter au meilleur de nos capacités.
Également, cette année pour la toute première fois, il y a un conseil d’administration qui s’assure que notre équipe respecte son mandat. Je vois cela d’un très bon œil, car cela permettra une plus grande transparence. Finalement, comme je l’ai déjà mentionné, je veux être et je serai disponible pour vous même en dehors du cadre de mon mandat. Ne soyez pas gêné de venir me poser vos questions ou de me transmettre vos idées. Je vous répondrai au meilleur de mes connaissances dans le premier cas et vous écouterai d’une oreille attentive dans le deuxième. Je félicite également une fois de plus le Verdict pour 20 années de pertinence et de travail constant.
Dany Desrosiers est difficile à manquer. Il parle beaucoup, s’implique d’autant plus et cette année il sera aussi ici vice-président au sein de l’association étudiante. Vous le croiserez tantôt un casque d’écoute enfoncé sur la tête déambulant dans les souterrains et plus tard accoudé au bar en train de distribuer de grands verres de lubrifiant social. Dans ce premier entretien d’une série de rencontres avec les membres de l’AED, nous discuterons notamment de Dany du passé et de Dany du futur afin dedécouvrir Dany présent, étudiant de deuxième année en droit et vice-président aux affaires socioculturelles de l’association étudiante de droit.
Pourquoi as-tu choisile droit ?
Le droit a toujours été en filigrane dans ma tête, j’ai toujours aimé discuter, et argumenter. Je me rappelle de deux projets marquants au secondaire et au cégep où l’on devait préparer des débats. Je me souviens avoir été tellement allumé que j’en ai travaillé des heures et des heures sans même m’en rendre compte. Or, j’adorais aussi la science, et j’avais peut être des préjugés face aux sciences molles, alors je me suis dirigé vers un bac en biochimie moléculaire à l’Université de Montréal.
Par contre, je me suis rendu compte, en cours de route, que 40 ans dans un laboratoire pour quelqu’un d’hyper actif comme moi, ce n’était pas gagnant. C’est à ce moment-là que le droit est ressurgi. Je me suis donc inscrit à l’Université Laval.
Dans 10 ans, que vas-tu retenir de ton passage à l’Université Laval? Quel est ton plus beau souvenir ?
Les gens que j’ai rencontrés, mes collègues d’étude, des professeurs qui ont un peuchangé ma vision, qui m’ont transmis un peu plus que simplement de la matière, ils m’ont transmis leur manière de voir le droit.
Je pense par exemple à une fameuse phrase entendue en classe : « Les avocats qui disent avec fausse humilité qu’ils sont payés tellement cher qu’ils n’auraient pas les moyensde se payerleur propre service, moi dans ce temps-là j’ai juste envie de les claquer ». Ça m’a frappé parce que ça concordait avec mes valeurs. J’ai trouvé rafraîchissant, il nous présentait la réalité du droit avec honnêteté, mais aussi ce qu’on pouvait faire pour la changer. Ça a modifié ma vision de ce que c’était d’être avocat.
Si tu devais convaincre Dany du passé de choisir l’Université Laval, que lui dirais-tu ?
L’ambiance est vraiment cool, c’est un énorme campus où tous là services sont rassemblés! Puis, Québec est vraiment belle, moins multiculturelle que Montréal, mais plus propre et plus soignée.
L’esprit général est plus sain aussi : il y a moins de compétition. Ici on se dit que, tous ensembles, on va réussir. On partage nos notes, on donne un coup de main quand quelqu’un a plus de difficulté et on reçoit aussi quand on en a besoin. Ailleurs, c’est souvent plus sauvage, c’est plutôt au plus fort la poche.
Comment entrevois-tu ton avenir? Quelles sont tes aspirations? Comment ton passage à l’Université Laval va te servir à réaliser tes futurs défis?
J’aimerais beaucoup être notaire. Finalement, j’ai réalisé que s’obstiner c’est bien, mais que c’est encore plusle fun de bien s’entendre. Donc ce que j’aimerais ce serait d’être le notaire d’un petit village où tout le monde me connaîtrait et puis d’avoir la chance de servir la communauté et d’être heureux. Je crois que l’université va m’avoir bien préparé sur le plan académique, mais aussi sur le plan humain.
Par exemple, en tant que vice-président aux affaires socioculturelles, je vais aussi avoir la chance de servir la communauté étudiante, d’aiderles gens à socialiser, à s’intégrer et à régler leurs problèmes.
Disons que je suis une étudiante de première année, je ne t’ai vu que pendant la semaine d’initiation et maintenant j’ai une question à te poser, mais je suis un peu gênée, qu’est-ce que tu me dis ?
De prime abord, je pense que je dirais juste : « Salut Ça va ? » Le simple fait de saluer les gens dans les corridors ça brise un certain tabou, et puis la communication c’est la clef pour tout! Enfin, je peux promettre que je n’aurai pas la grosse tête, j’ai vu des gens s’enfler la tête aussitôt qu’ils avaient un tant soit peu de pouvoir et je peux vous promettre que je vais faire attention pour que ça ne soit pas mon cas !
En tant que VP Socio, quel est le projet qui t’enthousiasme le plus ? À quel évènement as-tu le plus hâte?
D’abord, je dirais que je suis vraiment content des initiations! Le rôle d’initié me plait! C’est beaucoup plus simple, tu deviens ami avec les gens qui vivent les mêmes problèmes que toi et tu te serres les coudes. En tant qu’initié fantôme, j’ai un peu l’impression de prendre le rôle de grand frère, de dire : « Hey les jeunes! C’est l’fun l’université, profitez-en, amusez-vous! On n’est plus dans un monde de cool kid où les gens vont vous juger ».
J’ai aussi envie d’organiser des beer’Olympiques, une espèce de compétition amicale où on se challenge sur toutes sortes d’épreuves éthyliques.
Qu’est-ce qui surprend généralement le plus les gens à ton sujet ? Pourquoi ?
Je dirais que c’est ma sensibilité, il m’arrive quand même souvent de pleurer dans les films ou de juste laisser aller mes émotions. Ce qui me touche surtout c’est la beauté des relations humaines et comment des fois les évènements fortuits de lavie peuvent venir tout briser.
Quelle question aurais-tu aimé que je te pose aujourd’hui ?
Comment ça se fait que t’es aussi bon au Beerpong ?
C’est de la pratique ! Parce que l’université oui, c’est des cours, oui ce sont de longues soirées d’étude, mais c’est aussi sensé être la plus belle période nos vies. Il faut profiter de l’université pour s’amuser. Le principe, c’est que la vie étudiante t’en donnera autant que tu vas lui donner. Alors, profitez-en ! Impliquez-vous!
Le silence honteux d’Aung San Suu Kyi envers le génocide au Myanmar
Une icone de la paix complice de crimes contre l’humanité
Par Sarah Burke
Ultimement, notre but devrait être de créer un monde libéré des déplacés, des sans-abris et de ceux qui ont perdu espoir, un monde où chaque racoin est un véritable sanctuaire où les habitants auront la liberté et la capacité de vivre en paix.
Notoirement proclamés par la Dame Aung San Suu Kyi lors de sa réception du Prix Nobel de la paix, ces mots semblent aujourd’hui être dépourvus de leur sens. Applaudie par la communauté internationale pour sa résistance pacifique envers la dictature militaire birmane en 1991 et plainte pour les quinze années d’assignation à domicile forcée auxquelles elle a été condamnée par la suite, Suu Kyi était autrefois un véritable emblème de la lutte pour la démocratie; une sorte de Nelson Mandela asiatique. Aujourd’hui dirigeante de facto de l’État démocratique du Myanmar, son indifférence quant au massacre de la minorité musulmane du Myanmar par l’armée birmane, s’apparentant de plus en plus au génocide, suscite une déception mondiale. Une pétition pour qu’Aung San Suu Kyi soit contrainte de remettre son Prix Nobel au Comité Nobel circule même sur le web, ayant actuellement plus de 400 000 signatures.
En l’espace de deux semaines, 421 Rohingyas, musulmans originaires de l’État de Rakhine, au Myanmar, ont été déclarés morts, systématiquement tués par les autorités bouddhistes armées. Selon les Nations Unies, le nombre de victimes se rangerait plutôt autour de 1 000 personnes. Cet apparent nettoyage ethnique semble être une réponse à l’attaque de stations de police et d’une base militaire par des militants rohingyas le 25 août dernier. Depuis ce temps, approximativement 270 000 Rohingyas ont fui le pays pour le Bangladesh. Parce que les journalistes n’ont pas accès à la région de Rakhine, il est difficile d’obtenir des chiffres exacts sur la situation actuelle. Néanmoins, tous s’entendent pour dire que la situation des Rohingyas en est une de détresse extrême. Selon les témoignages des réfugiés, un nombre écrasant de musulmans ont vu leurs maisons brûlées, leurs femmes violées et leurs enfants tués, et ce, aux mains des autorités birmanes.
Appelés « Bengali » par la majorité bouddhiste au Myanmar, les Rohingyas sont considérés comme étant parmi les peuples les plus persécutés au monde. En effet, même s’ils habitent le Myanmar depuis plusieurs siècles, la citoyenneté Birmane des Rohingyas est par le gouvernement, qui les considère comme étant des terroristes et des immigrants illégaux venant du Bangladesh. Plusieurs d’entre eux sont confinés dans des camps de concentration, vivant dans des conditions dangereusement similaires à celles de l’apartheid.
L’armée et le gouvernement étant deux pouvoirs distincts au Myanmar, le nettoyage ethnique commis par les forces armées birmanes ne ressort pas des ordres de Mme Aung San Suu Kyi. Les critiques à l’égard du récipiendaire du Prix Nobel de la paix parviennent plutôt du fait qu’en tant que chef d’État, elle n’ait pas dénoncé les atrocités commises envers son peuple. En effet, Suu Kyi continue de nier l’existence d’un nettoyage ethnique au Myanmar, allant même jusqu’à blâmer les organisations internationales qui, selon elle, ne font que contribuer à un « iceberg de désinformation ». Depuis son entrée en politique, celle-ci semble également avoir fermé les yeux quant aux conditions de vie des Rohingyas, n’ayant pas levé les restrictions relativement à l’aide humanitaire dans leur région. Certains craignent même qu’Aung San Suu Kyi appuierait les idéologies promues par l’armée extrémiste, ayant déjà suscité de la controverse lors d’une entrevue avec BBC Today en 2013, où elle aurait affirmé : « Personne ne m’a dit que j’allais être interviewée par un musulman. ».
N’ayant qu’été libérée par la junte armée en 2010, les défendeurs de la « Dame de Rangoun » pourraient soutenir que son silence est stratégique, et qu’il est dans le meilleur intérêt de Suu Kyi de maintenir de bonnes relations avec l’armée birmane. Ces explications me semblent largement insuffisantes. Le Prix Nobel de la paix n’est-il pas un honneur qui ne récompense que ceux qui savent faire preuve de courage devant le visage haineux de la tyrannie? Un défendeur de la paix n’est-il pas quelqu’un qui dédie sa vie à la lutte pour la paix et à la sauvegarde des droits et libertés fondamentales de la personne? Autrefois un symbole de courage et d’espoir, Aung San Suu Kyi semble aujourd’hui avoir succombé à la lâcheté pour maintenir sa position de pouvoir, ou pire, s’être rangée du côté des bouddhistes nationalistes, extrémistes et islamophobes.
Malgré le silence regrettable du Suu Kyi sur le massacre des Rohingyas, la confiscation de son Prix Nobel est peu probable. Selon l’Institut Nobel, il est impossible de dépourvoir un lauréat de son prix. Seules les actions commises par un récipiendaire préalablement à sa réception du Prix Nobel sont prises en compte, et il n’y a aucun doute que la reconnaissance de la résistance pacifique d’Aung San Suu Kyi était, à l’époque, méritée.
Aux protestations générales contre Suu Kyi se sont ajoutés plusieurs de ses collègues également récipiendaires de Prix Nobels de la paix, dont Malala Yousafzai et Desmond Tutu, qui l’implorent de finalement dénoncer les atrocités qui prennent place sous son nez et d’utiliser sa plateforme pour à nouveau défendre les valeurs de paix et de liberté qui lui tenaient tant à cœur. « Ces dernières années, j’ai condamné ce traitement tragique et honteux à plusieurs reprises », a écrit la jeune Malala, «J’attends encore que ma collègue la Lauréate Nobel Aung San Suu Kyi fasse de même. Le monde entier attend et les musulmans Rohingyas attendent. ».
CANNABIS AU CANADA
UN TOUR D’HORIZON
Par Francis Blais-Lord
À l’automne 2015, en pleine campagne électorale fédérale, le Parti libéral du Canada a fait une pléthore de promesses électorales : au-delà de 200. Parmi celles-ci, la promesse de la parité homme-femme au conseil des ministres, rétablir le formulaire long au recensement, réduire l’âge de la retraite et le taux d’imposition des familles de la classe moyenne, modifier le processus de nomination des juges des cours supérieures des provinces, des cours fédérales et de la Cour suprême du Canada, etc. Or, celle qui a retenu le plus l’attention des Canadiens est sans doute celle de la légalisation du cannabis avant les prochaines élections générales. Alors que le gouvernement fédéral a dévoilé sa première mouture du Projet de loi C-45 : Loi sur le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois le 13 avril 2017, et qu’il est encore débattu en Chambre, de quoi s’agit-il concrètement ?
Cadre légal
Le gouvernement fédéral intervient en la matière par le biais de sa compétence constitutionnelle exclusive
en matière criminelle, et dans une moindre mesure sa compétence en matière de trafic et de commerce. Cependant, force est d’admettre que le projet de loi actuel dépasse ces deux impératifs, empiétant possiblement sur les pouvoirs des provinces et leur forçant la main sur quelques aspects. Les provinces, disposant d’une compétence exclusive en matière de propriété et droits civils, seront quant à elles responsables de la vente et de la distribution du cannabis. En conséquence, d’épineux conflits opérationnels et légaux pourraient survenir quand la loi fédérale ainsi que les lois provinciales accessoires entreront en vigueur le 1er juillet 2018, si tout se déroule comme prévu. Il sera intéressant de porter un regard attentif à ces potentiels conflits, et les recours judiciaires qui en découleront.
Objectifs
Il serait beaucoup trop long et ennuyeux de faire ici un compte-rendu exhaustif de tout ce que prévoit le projet de loi C-45. En voici donc un bref aperçu.
Le projet de loi actuel est résolument axé sur la sensibilisation du public aux risques de la consommation du cannabis et l’encadrement strict de sa production, sa distribution, sa vente et de la possession de cannabis au Canada, à l’instar de la Loi sur le tabac. En conséquence, toute personne de moins de 18 ans ne pourra pas consommer de cannabis et il sera interdit à toute personne de vendre du cannabis à un mineur, de lui en donner, ou d’utiliser une personne mineure afin de commettre une infraction criminelle en lien avec le cannabis. Tous ces actes seront passibles d’amendes, voire de sanctions pénales plus sévères selon la gravité des infractions. Le Code criminel sera également modifié afin de criminaliser les manquements à certaines dispositions de la Loi sur le cannabis – vente, production, possession en vue de la vente ou de la distribution, assistance d’un jeune, etc. Le régime actuel de production, de distribution et d’accès au cannabis à des fins médicales devrait être conservé après la légalisation du cannabis récréatif, sous réserve des adaptations nécessaires.
Afin d’atteindre ces deux objectifs de sensibilisation et d’encadrement, les produits du cannabis devront respecter des standards élevés de qualité. Les emballages et la publicité seront réglementés de manière similaire à l’industrie du tabac : publicité dans les lieux où les mineurs sont interdits, renseignements informationnels seulement, comme la teneur en THC, emballage neutre, etc.
« Tant de risque que le gouvernement fédéral ne semble pas vouloir trop considérer, pressé qu’il est d’accomplir une autre promesse électorale avant les élections de l’automne 2019. »
Il est prévu que toute personne majeure pourra cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis dans sa maison d’habitation, chaque plan ayant une hauteur maximale de 100 cm. Cependant, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il prévoit interdire toute culture du cannabis à domicile sous prétexte que les forces de l’ordre ne pourront efficacement s’assurer que cette limite soit respectée par tous. Les consommateurs québécois devront donc continuer de s’approvisionner auprès de sources externes. Il est cependant encore trop tôt pour dire si ce sera la Société des alcools du Québec («SAQ»), les pharmacies ou alors d’autres fournisseurs privés qui devront assumer cette tâche. Notons que l’Ontario a récemment annoncé que la Liquor Control Board of Ontario («LCBO») vendra les produits du cannabis dans des succursales produites à cet effet.
Les personnes physiques ou morales désireuses de cultiver du cannabis au-delà de la limite prévue, de distribuer aux tiers ou d’importer du cannabis, devront se prémunir d’une licence, comme pour les producteurs et distributeurs de cannabis à usage médical. Les détenteurs actuels d’une licence de production et de distribution du cannabis à usage médical se verront remettre automatiquement une licence pour la production et la distribution du cannabis à usage récréatif.
Critique
Rappelons que d’ici à ce que je la Loi sur le cannabis entre en vigueur, toutes les infractions criminelles de possession de stupéfiants, de consommation, de production et de trafic, pour ne nommer que celles-ci, demeurent en vigueur. Il aurait été judicieux de prévoir des mesures transitoires afin de décriminaliser au préalable certaines infractions
et permettre aux citoyens canadiens de s’adapter à la nouvelle réalité avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis. Également, le projet de loi n’en est qu’à l’étape de la deuxième lecture et du renvoi à un comité à la Chambre des communes. Ainsi, de nombreux amendements peuvent être apportés avant son acheminement au Sénat, là où les libéraux ne sont plus seuls maîtres à bord, et où plusieurs pans de la loi pourraient être amenés à changer. Il n’est donc pas certain que le projet de loi sera adopté avant la date butoir du 1er juillet 2018, et sa forme finale est d’autant incertaine.
De plus, les provinces, dont le Québec, accusent un certain retard quant aux préparatifs préalables à la mise en place de la Loi sur le cannabis. Qui prendra en charge la vente? Quelles seront les limites provinciales? Les normes sur la publicité et l’emballage seront-elles aussi sévères que celles concernant le tabac? Comment rendre le cannabis non attrayant aux jeunes, déjà aux prises avec certains problèmes de consommation, alors que sa libéralisation entraînera probablement un gain de popularité? Quels seront les coûts de cette prévention, et quel sera l’impact sur les coûts du système de santé? Tant de réponses que le gouvernement du Québec ne semble pas pressé de donner. Et tant de risque que le gouvernement fédéral ne semble pas vouloir trop considérer, pressé qu’il est d’accomplir une autre promesse électorale avant les élections de l’automne 2019.
Récit d'un incrédule
Par Frédérick Quézel-Poirier
Il nous arrive tous un jour de dire, ça n’arrive qu’aux autres … jusqu’à ce que ça nous arrive.
On ne croit jamais que le malheur peut frapper à notre porte et nous rentrer dedans comme un tank. On est rarement préparé à ce genre de situation, tant psychologiquement que pratiquement. Des évènements tragiques amènent leur lot de colère, de déception, de tristesse et surtout d’incrédulité : «Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi je n’ai pas prévu tout ça ?» Il est surtout rare que les gens prévoient qu’une catastrophe puisse arriver et donc, ils se retrouvent pris au dépourvu lorsque cela survient. La très grande majorité des gens se reconnaîtront d’une manière ou d’une autre dans cette histoire.
Par un beau matin d’été, une petite famille se prépare pour aller passer la journée à l’aquarium. Les deux petits garçons sont joyeux : grand-maman et grand-papa sont venus en visite pour la semaine !!! Tout plein d’activités sont prévues et du plaisir à profusion en vue pour nos deux petits amours, papa, maman et les grands-parents. Notre petite famille rejoint grand-papa et grand-maman à leur hôtel afin de préparer l’expédition de la journée : petits sandwiches, collations et jus, tout est fin prêt. Notre petit bonhomme de deux ans est très content, il s’amuse avec grand-papa pendant que grand-maman cajole le plus jeune. Soudainement, grand-maman se plaint d’une douleur à la tête, elle nous avait dit avoir mal dormi. Elle dit à notre plus vieux d’aller jouer avec grand-papa, elle va s’assoir afin de faire passer son mal. Le mal s’intensifie et tout d’un coup, elle se prend la tête à deux mains et hurle à s’en déchirer les poumons !! C’est un cri qui glace le sang. Convulsions, fortes difficultés respiratoires, absence de réponse … puis plus rien. Rien dans le regard, respiration absente et battements introuvables. Toute une famille déchirée et impuissante.
Un ambulancier (un ange) arrive et réanime grand-maman. Vite à l’hôpital !!
L’histoire nous apprendra qu’elle a eu une rupture d’anévrisme : mal difficilement décelable, assassin dormant et subtil, qui peut frapper à tout moment. Qui l’aurait su ?
Intervention, chirurgie, coma provoqué et faibles chances de survie, rien de rassurant. L’artère atteinte est cruciale pour le cerveau et est difficilement opérable.
Grand-papa voit la femme de sa vie s’éloigner tranquillement et par-delà sa tristesse, sa rage et son incompréhension, une question : qu’est-ce que je fais maintenant ? Grand-maman s’est toujours occupée des comptes bancaires, des fournisseurs de services, du paiement de l’hypothèque. Il ne connait rien des mots de passe, des informations bancaires et des dates de paiements. Heureusement, ils ont notarié leur testament afin de se protéger l’un l’autre et leurs enfants en cas de décès, mais qu’arrive-t-il maintenant ?
Si elle s’en sort, sera-t-elle invalide, impotente, lourdement handicapée ? Aucun mandat de protection mise en place, aucune procuration. A-t-elle une assurance-vie, une assurance invalidité ou encore une assurance salaire ? Qu’arrive-t-il avec le paiement d’hypothèque ?
Nombre de questions se sont bousculées dans l’esprit de cet homme dévasté. Et si ??
L’histoire comporte toutefois une fin heureuse : grand-maman est une guerrière, une battante et une survivante. Elle a fait comprendre que ce n’était pas son heure et qu’elle avait encore beaucoup d’années durant lesquelles elle cajolerait ses petits-enfants, ses enfants, ses amis, sa sœur et son frère. Elle voulait vivre !! Toutefois, le futur n’est pas toujours ensoleillé, des nuages planeront toujours au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès, leur rappelant constamment que la vie est fragile, mais que la vie continue.
Cette histoire nous apprendra également qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Que la vie nous réserve toutes sortes de surprises, bonnes et mauvaises et que certaines situations peuvent être prévenues en se prémunissant efficacement, non pas en tombant dans le scepticisme, mais en n’oubliant jamais que la vie continue pour d’autres.
Et si notre héroïne ne s’en était pas sortie ou en seulement qu’partie ?
C’est ici que le droit entre en jeu. Le mandat de protection permet pallier à ce genre de situation. Il est mis en place afin de protéger la personne malheureuse frappée par un mal inattendu. Que ce soit comme notre héroïne qui aurait pu s’en sortir avec de lourdes séquelles permanentes qui l’aurait incapacité dans l’exercice de ses droits civils ou encore une personne qui est frappée d’Alzheimer et qui ne se souvient même plus de son propre nom.
Dans le récit qui nous occupe, ce mandat aurait permis au mandataire de la représenter civilement, encore pour être en mesure de vendre la maison dont l’hypothèque est conjointe. Il lui aurait également permis d’assurer de la meilleure prise de décision possible quant aux soins à prodiguer à long terme et dans le meilleur intérêt de notre héroïne. Surtout, le mandat de protection est construit par le mandant, soit grand-maman. Durant ses moments de pleine lucidité, elle choisit son mandataire, les limites de son mandat et les pouvoirs qu’elle veut bien lui déléguer en cas d’inaptitude totale, partielle, permanente ou encore temporaire (auquel cas, lors de sa réhabilitation jugée adéquate par le tribunal, le mandat serait échu et sans effet). Le mandat permet également aux familles d’être mieux outillées advenant un évènement tragique en établissant à l’avance les volontés des personnes inaptes et les limites de leurs demandes. Cet outil juridique est bien nouveau et trop peu connu et pourtant fait partie des outils les plus précieux du droit québécois, car il offre un éventail presque infini de possibilités afin de protéger les personnes les plus vulnérables.
Non seulement le mandat offre une protection juridique aux personnes inaptes, mais il les protège parfois également de leur propre famille. Et si grand-papa avait profité de la situation pour vendre tous les actifs de grand-maman, de vendre la maison sans son consentement ou encore de la déposséder de ses biens les plus précieux ? C’est pourquoi le choix du mandataire est à la discrétion du mandant et qu’il peut être changé au besoin par le tribunal lors de l’homologation. C’est une autre des protections que permet le mandat.
Pour l’avenir, grand-papa et g prévoir ce genre de situation et s’outiller en conséquence. Un mandat de protection ainsi qu’une procuration bancaire et juridique seront mis en place en cas afin que grand-papa puisse prendre soin de grand-maman si une telle situation survient de nouveau. Nous ne sommes jamais trop prudents.
Le droit est partout dans nos vies et permet de pallier aux imprévus. Car, tant ceux d’entre vous qui en êtes à votre première année à la faculté, que ceux qui se retrouvent en fin de parcours ou même certains de nos enseignants qui sont de vieux routiers juridiques savent bien que l’on ne peut jamais tout prévoir.
Le domaine juridique touche nos vies tous les jours. Il nous permet de faire valoir un droit, un privilège, mais également de se protéger devant une multitude de situations. Ce conte de fées est bien réel et la fin de celui-ci est joyeuse et miraculeuse … mais s’il en avait été autrement ?
À suivre.
AU-DELÀ DES BONNES INTENTIONS
Par Phillippe Maltais-Guibault
C’est au moment du premier débat en français que la question nationale s’est invitée dans la course à la direction du Nouveau parti démocratique du Canada (NPD). Sans grande surprise, l’ensemble des prétendants ont rapidement réaffirmé leur adhésion aux principes de la Déclaration de Sherbrooke, document phare du parti en matière de relations Canada-Québec.
Rédigé en 2005, ce document se démarque par la reconnaissance du caractère national du Québec et par la prétention que ce caractère puisse trouver son expression à l’intérieur du contexte canadien. D’emblée, cette vision s’inscrit en contradiction avec la doctrine majoritaire de l’époque, menée par le Parti libéral du Canada (PLC).
Rappelons que la rédaction de la Déclaration s’inscrit dans une période où les relations entre Québec et Ottawa sont plutôt tendues. En effet, dans les années précédentes, les libéraux de Jean Chrétien provoquaient une nouvelle cassure avec le Québec, tentant d’étouffer les pulsions souverainistes par une série de manœuvres qui seront, plus tard, mises en lumière par la Commission Gomery sur le scandale des commandites.
Alors que le reste du Canada réagit de façon épidermique à la question québécoise, le NPD opte pour une position plus conciliante. À cet effet, l’objectif de la direction du parti est clair. Elle fait le pari qu’une flexibilité à l’égard des Québécois se traduira éventuellement en gains électoraux. Les plus optimistes rêvent même d’un retour du Québec dans le giron constitutionnel canadien.
Une vision idyllique du fédéralisme canadien
Sans surprise, la Déclaration de Sherbrooke défend le cadre fédéral tel qu’il est défini par la Loi constitutionnelle de 1867. Elle propose cependant une révision des façons de faire afin d’améliorer rapport entre Québec et Ottawa. « La question de la place du Québec dans le Canada sera résolue par la bonne foi, la flexibilité et la reconnaissance et non par des programmes imprégnés de corruption ».
Sommairement, la Déclaration fait la promotion d’un fédéralisme à la fois coopératif et asymétrique. Ce fédéralisme coopératif s’opposerait à une vision dualiste et accueillerait favorablement les chevauchements entre les ordres de gouvernements. Tout deviendrait alors une question de dosage. L’asymétrie vis-à-vis le Québec viendrait contrôler cette nouvelle dynamique. Elle s’exprimerait notamment par le contrôle du pouvoir fédéral de dépenser. Si les dépenses devaient être assorties de conditions, le Québec devrait bénéficier d’un droit de retrait avec compensation. Le consentement préalable est donc ici présenté comme une avenue privilégiée au respect des compétences constitutionnelles du Québec.
En clair, la Déclaration de Sherbrooke offre une vision idyllique du cadre fédéral actuel, supposant qu’un simple changement d’attitude règlerait la question québécoise. Nul besoin de se lancer dans un périlleux processus de réforme constitutionnelle si bonne entente règne.
Les limites de la coopération
En réalité, la fédération canadienne a déjà considérablement évolué au profit d’une conception plus coopérative des relations entre les paliers de gouvernement. En effet, par l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, la Cour suprême du Canada a fait un exposé étoffé des principes fédératifs en matière de partage des compétences.
En cas de chevauchement législatif, pour qu’une norme valide soit déclarée inapplicable, il ne suffit plus qu’elle produise simplement n’importe quel type d’effet sur des activités, des personnes ou des choses qui relèvent de la compétence de l’autre ordre de gouvernement. L’arrêt BCO indique que les effets doivent entraver la réalisation d’un élément essentiel pour que la norme soit déclarée invalide. En assouplissant ainsi le critère, on témoigne donc d’une plus grande tolérance à l’égard des chevauchements législatifs, caractéristique du fédéralisme coopératif.
En principe, cette nouvelle interprétation du cadre constitutionnel est la bienvenue, diminuant le nombre de conflits potentiels et offrant une plus grande marge de manœuvre à chacun des ordres de gouvernement. Cependant, on remarque plusieurs limites opérationnelles aux principes du fédéralisme coopératif.
Par exemple, si nous étions en présence de deux normes valides et portant sur le même sujet, il y aurait prépondérance de la norme fédérale et inopérabilité de la norme provinciale si elles devaient entrer en conflit. Autre exemple : la doctrine de l’intérêt national. Ici, le fédéral présume de l’incapacité provinciale pour s’approprier une compétence qui n’est pas la sienne.
Bref, bien que la fédération ait évolué en faveur d’une conception coopérative, le cadre constitutionnel et la jurisprudence qui en découle laissent entendre que les relations fédéral-provinciales relèvent moins du partenariat que de la relation d’autorité.
Dans les dernières années, les principes du fédéralisme coopératif ont d’ailleurs été mis à rude épreuve. On pense notamment à la cause sur l’abolition du registre des armes d’épaule. Après avoir encouragé la coopération dans l’exercice des compétences, la Cour était appelée à se prononcer sur la constitutionnalité d’un acte visant à mettre fin unilatéralement à une collaboration bien établie. Malheureusement, en rejetant la thèse du fédéralisme coopératif invoquée par le procureur général du Québec, la décision laisse plutôt entendre un fédéralisme à sens unique, favorable aux prétentions du gouvernement fédéral.
Pour une réouverture du débat constitutionnel
Finalement, la Déclaration de Sherbrooke, présente certains aspects intéressants pour améliorer les relations Québec-Canada. Cependant, sa conception du fédéralisme coopératif se heurte à son refus de rouvrir la constitution et de l’adapter aux réalités d’aujourd’hui. Ainsi, les réformes proposées ne tiendraient que de la bonne volonté et pourraient ne durer que le temps des roses.
Comme nous venons de le voir, le cadre constitutionnel actuel tend à favoriser les aspirations du fédéral. Du coup, il porte atteinte aux principes fédératifs qui l’ont créé et à la conception d’un véritable partenariat entre le fédéral et les provinces.
La volonté du NPD de relancer la discussion est tout à fait louable. Cependant, nous devons aller au-delà des bons sentiments. La question de la place du Québec dans le Canada mérite qu’on s’y attarde avec sérieux. Il est temps de rouvrir la Constitution ou sinon d’envisager de nouvelles options.
Le fruit est rendu mûr.
Incompréhension de l'entente Kadhr
Par David Boire-Schwab
En juillet dernier, la longue saga judiciaire d’Omar Khadr est revenue à l’avant-plan médiatique. Dernier développement, un règlement hors cour met fin à la poursuite de Khadr contre le gouvernement canadien. Le gouvernement a accepté de lui verser 10,5 millions $ et de lui fournir des excuses officielles. La réponse des critiques de l’entente, notamment le Parti conservateur du Canada, ne s’est pas fait attendre. Lorsqu’ils étaient au gouvernement, les conservateurs de Stephen Harper ont opposé une résistance constante à la reconnaissance des droits de l’adolescent détenu à la tristement célèbre prison américaine de Guantanamo Bay. Menés par leur nouveau chef Andrew Scheer, ils s’opposent à ce que le Canada paye 10,5 millions $ de l’argent des contribuables à un «terroriste » plutôt qu’à la femme du sergent Speer, qu’il aurait prétendument tué en lui lançant une grenade. C’est de très basse qualité.
Rappel des faits
Dans le cadre d’une opération militaire américaine en Afghanistan en 2002, une grenade tue le sergent Speer et blesse grièvement un autre soldat. Suivant cela, les soldats américains prennent les lieux d’assaut, voient Khadr et lui tirent dans le dos. Il est capturé et suivant sa guérison, il est transféré au camp américain d’emprisonnement de Guantanamo. Étant située à l’extérieur du territoire officiel des États-Unis, cette base permettait à l’époque de traiter les prisonniers sans se soucier des lois américaines. La prison est maintenant notoire pour ses abus de droits humains et ses méthodes d’interrogation et d’emprisonnement qui sont considérées comme de la torture. Khadr a passé les huit années suivantes de sa vie dans cet endroit. Il n’avait que 15 ans lorsqu’il y a été transféré.
Khadr est né au Canada, il a été amené en Afghanistan par son père, un membre d’Al Qaeda, pour se battre dans la guerre. Étant citoyen canadien, il avait droit à la protection du gouvernement canadien et c’est l’enjeu de la bataille législative qui s’est poursuivie jusqu’en Cour suprême.
En 2004, des agents du SCRS ont interrogé Khadr à Guantanamo alors qu’il avait été privé de sommeil pendant trois semaines. C’est une méthode qui est censée réduire la résistance des détenus lorsqu’on les interroge. C’est aussi une méthode qui va à l’encontre du droit international et que nos tribunaux, notamment la Cour d’appel fédérale, ont reconnue comme étant une pratique grossièrement abusive. Les agents du SCRS ont par la suite fourni les données de leur interrogatoire aux autorités américaines.
Promenade en Cour suprême
Ces évènements ont donné lieu à deux arrêts importants de la Cour suprême. Dans un premier temps, en 2008, la Cour a statué que les citoyens canadiens à l’étranger bénéficient seulement des protections de la Charte canadienne des droits et libertés s’il y a une participation des autorités canadiennes à des activités étrangères qui sont contraires aux obligations internationales du Canada envers les droits de la personne. Puisque la Cour suprême américaine a statué qu’il y avait eu abus de droits humains à Guantanamo, il était clair que la Charte devait s’appliquer au cas de Khadr.
Dans le deuxième arrêt, en 2010, la Cour suprême du Canada a établi qu’il y avait effectivement eu abus du droit à la liberté de Khadr protégé par l’article 7 de la Charte. La violation provenait du fait que l’interrogatoire abusif du SCRS suivant un manque de sommeil forcé a contribué à son emprisonnement. En réparation pour ce manquement du gouvernement canadien, Khadr demandait à être rapatrié au Canada. C’est ici que la Cour n’a pas accédé à la demande de Khadr. La liberté d’agir à l’international est un pouvoir inhérent de l’exécutif canadien. Afin de respecter le partage des pouvoirs qui est un fondement de notre système, la Cour suprême a statué que le judiciaire ne peut contraindre l’exécutif à agir d’une façon spécifique. Ainsi, suivant cet arrêt, la Cour a le pouvoir de condamner un geste international de l’exécutif, mais elle ne peut pas forcer celui-ci à agir d’une façon particulière. La Cour a donc décidé qu’elle ne pouvait pas forcer le gouvernement à rapatrier Khadr.
Le gouvernement conservateur de Stephen Harper aurait quand même pu décider de rapatrier Khadr, mais il a catégoriquement refusé de rapatrier ce « terroriste» de maintenant 23 ans. Khadr a donc passé une entente de règlement selon laquelle il avouait sa culpabilité et en échange il passait huit autres années en prison, une autre année à Guantanamo et le reste dans une prison canadienne. En 2012, après deux autres années à Guantanamo, il est finalement rapatrié dans une prison canadienne.
Développements récents
En mai 2015, Omar Khadr a 28 ans. Il est libéré sous caution et vit désormais chez son avocat. Or, le gouvernement de Stephen Harper a fait appel de la décision de le libérer. La procédure étant encore en cours au moment de l’élection fédérale de 2015, le nouveau gouvernement libéral a pu l’abandonner. Omar Khadr a ensuite poursuivi le gouvernement canadien pour 20 millions en dommages et intérêts et pour obtenir des excuses officielles. Il a finalement obtenu 10 millions et ses excuses.
Ces lignes ne sont pas destinées à faire l’éloge du Parti libéral pour l’entente qu’il a accordé à Khadr. Il ne faut pas oublier que Stephen Harper est arrivé au pouvoir en 2006 et que les évènements ayant mené à cette longue bataille judiciaire ont eu lieu sous les gouvernances successives de Jean Chrétien et de Paul Martin. Néanmoins, la réaction conservatrice à cette entente fait preuve d’un manque de rigueur intellectuelle frappant et d’un populisme désolant.
Rappelons que la culpabilité de Khadr pour la mort du sergent Speer n’a jamais été prouvée, il a avoué le crime dans le cadre d’une entente pour sortir de Guantanamo et revenir au Canada. Après qu’il ait passé sa jeunesse dans cet endroit, il est parfaitement compréhensible qu’il fût suffisamment désespéré pour accepter d’avouer sa culpabilité, qu’elle soit réelle ou non.
Toutefois, l’enjeu n’est pas là, peu importe sa culpabilité, tout être humain a des droits. Si un membre d’un gang de rue de 15 ans est arrêté pour meurtre, l’État n’a pas le droit de le torturer ou d’ignorer ses droits protégés par la constitution. Si l’enquête est menée en manquant outrageusement de respect à ses droits et que cela mène à un emprisonnement de plusieurs années, il aura le droit de poursuivre le gouvernement pour se faire dédommager. C’est une des bases de notre système, le gouvernement ne peut pas agir en toute impunité.
Il n’est, par ailleurs, pas nécessaire de faire une étude juridique approfondie pour comprendre l’ampleur du dédommagement demandé par Khadr. À cause des gestes du gouvernement, il a passé une bonne partie de son adolescence et une majorité de sa vie adulte dans une prison. Pas dans une prison normale pour délinquants juvéniles et ensuite pour adultes avec des droits, mais dans l’horreur de Guantanamo.
Peut-être qu’en disant que l’argent aurait dû aller à la veuve du sergent Speer, les conservateurs essayent de dire qu’il faudrait appuyer davantage nos vétérans et leurs familles en les dédommageant pour leurs souffrances. Ce serait une position très légitime, sauf que lorsqu’ils étaient au gouvernement, ils ont coupé les pensions des vétérans, ils ont fermé des bureaux d’aide aux vétérans, ils ont coupé drastiquement le personnel d’aide aux vétérans et ils ont négligé de dépenser 1.1 milliard qu’ils devaient investir pour les anciens combattants. Inutile de dire que les 10,5 millions de Khadr ne suffiraient pas à réparer l’insulte conservatrice aux anciens combattants.
MON VOYAGE EN NOUVELLE-ÉCOSSE
LA FOIS OÙ UNE AGENTE DE SÉCURITÉ A VU QUE J’APPORTAIS UNE PELUCHE DANS MES BAGAGES
Par Jessica Lalancette
L’été touche à présent à sa fin. La routine commence à se réinstaller tranquillement. Si vous êtes comme moi, vous avez sans doute profité des vacances estivales pour prendre du repos et du soleil. Vous avez peut-être même réservé un billet d’avion pour partir en voyage, histoire d’oublier, l’espace d’un instant, que l’université recommencera sous peu et qu’il vous faudra à nouveau vous plonger la tête dans vos livres. Cela dit, avant de grimper dans cet avion qui vous mènera à destination, il est impératif de vous soumettre à une panoplie de mesures de sécurité qui peuvent parfois être inconfortables. Toutefois, peut-on affirmer que ces dernières portent atteinte à notre droit à la vie privée ?
Pour vous mettre en contexte afin que vous puissiez suivre mes réflexions, je suis allée en Nouvelle-Écosse cet été avec des amies et comme nous avions l’opportunité de séjourner là-bas à moindre coût, nous avons décidé de nous payer une folie : réduire le temps nécessaire pour nous y rendre en prenant l’avion ! Bien que nous ne sortions pas du pays, nous devions passer par la sécurité de l’aéroport pour les vols internes. Alors que nous attendions dans la file mes amies et moi, nous avons commencé à parier, afin de savoir laquelle d’entre nous serait sélectionnée pour une fouille aléatoire. Je me suis alors mise àpenser que je devrais également éventrer mes bagages soigneusement rangés dans le but d’en sortir les appareils électroniques, les liquides et la monnaie, ce qui m’a fait penser au fait que l’agente de sécurité verrait qu’unefille de vingt ans apporte une peluche dans son sac. Futile, vous direz, mais même si je vis très bien avec cette situation, celle-ci m’a fait réfléchir quant à la dualité qui existe entre le concept de vie privée et celui de sécurité publique lorsqu’on prend l’avion. En d’autres mots, je me suis demandé si une fouilledans un aéroport pouvait porter atteinte à la vie privée ?
D’abord, le concept de vie privée est décrit comme étant « la notion [qui] tend à protéger la paix et la tranquillité de la vie personnelle » . Il comprend trois sphères qui ont été identifiées par la Cour suprême : la sphère spatiale, la personne elle-même et la sphère dite informationnelle et trois composantes : le droit à l’anonymat et à l’intimité, le droit à l’autonomie ainsi que le droit au secret et à la confidentialité . Ces sphères ont reprises par l’article 35 Code civil du Québec qui offre notamment une protection contre les atteintes à la vie privée et par l’article 36 qui regroupe plusieurs situations qui pourraient être considérées comme étant des atteintes à notre droit à la vie privée : par exemple, le fait de surveiller quelqu’un par quelque moyen que ce soit ; ou intercepter volontairement une communication privée sont des actes proscrits. Toutefois, la question que l’on doit se poser est la suivante : est-ce que les fouilles dans les aéroports constituent également des atteintes à la vie privée ?
En théorie, l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (ci-après Charte canadienne) offre une protection en énonçant que « chaque personne a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Or, en pratique, il peut être parfois difficile de distinguer une fouille abusive d’une fouille qui ne le serait pas. C’est alors que la jurisprudence entre en jeu. En effet, elle peut nous aider à saisir les conditions nécessaires pour qu’une fouille puisse porter atteinte au droit garanti par l’article 8 de la Charte canadienne. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Collins, les juges majoritaires se sont mis d’accord pour dire qu’une fouille n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi qui l’autorise n’est pas abusive et si la fouille elle-même se déroule de manière non abusive. Ainsi, compte tenu ce qui précède, il serait très peu probable qu’une fouille de contrôle dans un aéroport soit jugée abusive au sens de la loi, à moins, que, par exemple, celle-ci se fasse dans un contexte de profilage racial ou encore qu’un agent décide de s’acharner sur un voyageur à un point tel que ce dernier puisse se sentir ridiculisé ou humilié et que l’on porte ainsi atteinte à sa dignité ou à sa réputation.
Toutefois, il va sans dire que la protection contre les fouilles abusives n’est pas absolue. En effet, l’article 7 de la Charte canadienne introduit une autre limite dans son libellé en indiquant que le législateur peut porter atteinte au droitgaranti à l’article 8 à condition que celle-ci soit conforme aux principes de justice fondamentale. Il peut donc devenir très ardu pour une personne qui invoque une atteinte à son droit contre les fouilles abusives d’obtenir gain de cause puisque le fardeau de preuve est très lourd : le demandeur doit prouver qu’il s’agit là d’une fouille abusive et doit également soutenir que celle-ci n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, qui eux, ne sont codifiés nulle part…
Il faut également garder en tête que les aéroports et les avions sont des endroits où la sécurité publique est primordiale. Naturellement, on ne voudrait pas que notre compagnon de vol ait apporté des explosifs ou des matières radioactives dans ses bagages. Ainsi, il est tout à faire normal pour les agents de sécurité de vérifier le contenu de chaque valise qui se présente à l’aéroport afin que les voyageurs se sentent en sécurité. De plus, il est important de mentionner que les agents ne s’en tiennent généralement qu’aux questions concernant des articles de voyage qui puissent sembler suspicieux.
À la lumière de ces informations, la vie privée d’une personne ne pourrait donc pas réellement être atteinte si l’on ne fait que jeter un coup d’œil à ses bagages lors de son passage à la sécurité de l’aéroport. Je tiens toutefois à rappeler que la situation pourrait être différente dans le cas d’une fouille déraisonnable, tel que mentionné ci-haut.
En conclusion, le droit est partout et c’est lorsqu’on l’étudie que l’on s’en rend le plus compte. Chaque sphère de notre vie est régie par des lois qui peuvent parfois sembler complexes. Toutefois, rassurez-vous lors de votre prochain voyage : au moment de passer les douanes ou la sécurité, vous pourrez être tranquilles et vous dire que même si les agents de sécurité à l’aéroport ont accès au contenu de vos valises en entier, il ne s’agit pas là d’une intrusion à votre vie privée qui soit digne d’un procès à la Cour suprême !