Préservons notre campagne!


Par Francesca Lefebvre, publié le 18 juin 2021

Crédit photo : Francesca Lefebvre

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ANALYSE | Alors que l’étalement urbain est de plus en plus présent dans les campagnes et qu’il risque d’augmenter grâce à notre récente découverte des joies du télétravail (merci Covid!), j’ai cru important de rédiger cet article au sujet de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (1) (ci-après, la « loi » ou « LPTAA »). En tant que jeune femme ayant eu la chance de grandir en plein cœur du milieu agricole, j’ai pu constater, lors de mon arrivée dans la capitale nationale, que ce n’est pas tout le monde qui comprend l’importance de l’agriculture et pourquoi elle se doit d’être protégée : je vous offre donc un petit tour d’horizon de cette loi clé du domaine.

Objet

Défini à son article 1.1, le régime de la LPTAA a pour but de conserver la « pérennité d’une base territoriale pour la pratique de l’agriculture et de favoriser, dans une perspective de développement durable, la protection et le développement des activités et des entreprises agricoles dans les zones agricoles dont il prévoit l’établissement ». C’est la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) qui est responsable du respect de cette loi et qui en surveille l’application. Elle est chargée de traiter toute demande d’autorisation qui lui est soumise pour « l’utilisation, [le] lotissement ou [l’]aliénation d’un lot » ainsi que toute demande d’inclusion ou d’exclusion d’un lot dans une zone agricole. Elle doit aussi délimiter les zones agricoles sur les territoires municipaux et délivrer des permis d’exploitation pour retirer le sol arable (art. 3). 

Établissement du zonage

Avant de protéger le territoire, il faut déterminer son étendue et sa position géographique, mais plusieurs étapes sont nécessaires avant d’en arriver là. 

1. D’abord, le gouvernement détermine par décret des « régions agricoles désignées » (art. 22). À partir de ce moment, tout territoire qui se trouve dans ces zones est soumis à plusieurs restrictions, soit des interdictions d’utiliser ces lots pour des fins autres qu’agricoles (art. 26) ou sylvicoles (art. 27) à moins d’obtenir une autorisation de la CPTAQ à cet effet. 

2. Le ministre dépose ensuite un « plan provisoire » de ces « régions agricoles désignées » pour déterminer les « aire[s] retenue[s] pour fins de contrôle », auxquelles resteront applicables les restrictions (art. 34 et 40). 

3. Ces restrictions sont temporaires puisqu’après le dépôt des plans provisoires, le ministre en envoie une copie à la CPTAQ ainsi qu’aux municipalités concernées (art. 35 al. 1). Jusqu’à l’entrée en vigueur d’un décret de zonage agricole, ces plans sont considérés comme les délimitations des zones agricoles (art. 42).

Crédit photo : Francesca Lefebvre

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4. La CPTAQ et les municipalités touchées s’entendent par la suite sur les limites finales des zones agricoles (art. 47). Bien sûr, toute personne intéressée peut donner son avis et la municipalité est dans l’obligation de tenir une assemblée publique à cet effet (art. 47 al. 2 et 3). 

5. À l’entente de tous les intéressés (art. 48 al.1), la CPTAQ rédige les plans définitifs de zonage et les soumet au gouvernement pour approbation et adoption du décret (art. 49 et 50). 

6. Entrée en vigueur du décret! À ce moment, toutes les restrictions qui s’appliquaient dès le début de l’opération de zonage ne sont opposables qu’aux parties du territoire qui se trouvent dans les zones agricoles. Résultat : une magnifique zone protégée où seule l’agriculture peut être pratiquée sans demande d’autorisation quelconque (art. 54 à 56)!

Bien entendu, certaines exceptions sont possibles : les agriculteurs ainsi que les personnes morales et sociétés d’exploitation agricole ont le droit de construire leur demeure ainsi que celle de leur actionnaire dont la principale occupation est l’agriculture dans ces espaces desquels ils sont propriétaires sans devoir demander la permission à la CPTAQ. Cette autorisation s’élargit également pour permettre aux enfants de l’agriculteur ou actionnaire et à un employé d’avoir la même opportunité (art. 40). Il est aussi possible pour la municipalité et certains autres organismes d’effectuer les travaux d’utilité publique ou les travaux municipaux identifiés par règlement sans avoir à obtenir une permission (art. 41). 

Modifications

Mais qu’arrive-t-il si on veut faire autre chose que de l’agriculture? Tel qu’expliqué, tout ce qui ne satisfait pas à une exploitation agricole ou sylvicole dans ces zones doit faire l’objet d’une demande spéciale à la municipalité concernée ainsi qu’auprès de la Commission (art. 58 al. 1). C’est en fait la municipalité qui doit évaluer cette demande et transmettre une recommandation à la Commission. Cet avis tient compte de plusieurs critères, notamment le fait de savoir si d’autres portions du territoire de la municipalité concernée ne pourraient pas satisfaire à cette demande, « le potentiel agricole du lot et des lots avoisinants ; les possibilités d’utilisation du lot à des fins d’agriculture ; les conséquences [de cette] autorisation sur les activités agricoles existantes » ainsi que leur existence et leur possible développement, etc. (art. 58.2 et 62). Justement, le fait qu’une autre portion du territoire de la municipalité puisse satisfaire la demande peut constituer un motif de refus par la Commission, en plus de considérer si ce changement « répond à un besoin et à un objectif de développement de la municipalité » (art. 65.1 al. 1). Une municipalité ou une communauté peut aussi effectuer une demande afin de connaître les conditions et les cas qui permettraient « de nouvelles utilisations à des fins résidentielles » de ce territoire (art. 59 al. 1). 

Il est aussi possible pour la municipalité de faire une demande de révision du zonage agricole : ainsi, s’il y a entente entre la municipalité et la Commission quant au nouveau territoire qui fera partie de la zone agricole, cette dernière prépare les nouveaux plans, qui seront soumis au gouvernement pour approbation et entrée en vigueur par la suite (art. 69.1 à 69.3). 

Crédit photo : Benjamin Davies

Crédit photo : Benjamin Davies

Pourquoi toutes ces règles?

Avec l’exposé que je viens de faire de toutes ces restrictions, obligations et complications, il est facile de se demander pourquoi toutes ces règles sont présentes. Non seulement peuvent-elles faire peur aux nouveaux habitants, mais aussi aux projets d’envergure que peut avoir la municipalité concernée, son développement économique et tout le reste! 

La réponse est simple : pour éviter les problèmes! L’exploitation d’une entreprise agricole inclut beaucoup de facteurs qui ne sont pas toujours pris en compte par les nouveaux résidents, ces derniers ayant plus tendance à s’attarder à la région et à la tranquillité qu’à tout le reste. En effet, il y a du bruit, des odeurs et de la poussière : l’article 79.17 LPTAA prévoit justement que dans ces zones, « nul n’encourt de responsabilité à l’égard d’un tiers en raison des poussières, bruits ou odeurs qui résultent d’activités agricoles, ni ne peut être empêché par ce tiers d’exercer de telles activités » si elles sont exercées dans le respect de certaines dispositions, bien entendu. Si une personne reste tentée d’exercer un tel recours, elle doit « prouver que la personne qui exerce ces activités » le fait en contravention des dispositions déterminées (art. 79.18). 

Même chose si une résidence ou un commerce est établi tout près de la limite de zonage : si l’agriculteur d’à côté avait, antérieurement à ces nouvelles constructions, obtenu le droit d’agrandir son entreprise, il ne sera pas possible pour le résident ou le commerçant d’intenter un recours à l’encontre de l’agriculteur pour les mêmes motifs que ceux énoncés plus haut, tant que ce dernier respecte les conditions de son autorisation (art. 100). 

Ainsi, en ayant des zones désignées où les activités autres qu’agricoles ne sont autorisées qu’après un examen très minutieux de la CPTAQ, imaginez simplement la quantité de recours qui sont évités! Et c’est une situation gagnant-gagnant, autant pour les producteurs agricoles que pour les gens qui veulent tout simplement profiter de la vie à la campagne! 

Est-ce encore véritablement utile aujourd’hui?

Pour les raisons énoncées au point précédent, il est certain que oui. Le Québec possède beaucoup de magnifiques terres agricoles et perdre le droit de les exploiter au profit de la construction d’immeubles résidentiels ou d’usines n’est pas souhaitable. Il est aussi question de notre autonomie alimentaire et de la pénurie de masques chirurgicaux au printemps dernier (un exemple parmi tant d’autres), qui me confortent dans l’idée que cette loi est certainement l’une des plus essentielles pour notre société. Sans oublier la beauté des paysages et le charme de nos régions, que seraient-ils sans l’étendue des sublimes terres vertes qui couvrent leurs horizons durant tout l’été? La prise de conscience collective aura ses effets. Bientôt, nous nommerons les communautés. Nous pourrons identifier des modèles provenant de chacune des communautés sans avoir besoin de faire des recherches approfondies sur les moteurs de recherche. La diversité dans les médias permettra à chacun de s’identifier à des personnes qui apportent à leur société.


Notes

(1) Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1