Colloque FEDQ : récit d’un débat légendaire
Par Paul-David Chouinard
ACTUALITÉS | «La vie, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber.»
Cette phrase prononcée par un certain Forest Gump est à l’image de la dernière journée du Colloque 2020 de la Fédération des étudiants en droit du Québec (FEDQ). Nous étions au lendemain d’une soirée bien arrosée. Pour clore notre fin de semaine à Sherbrooke, un débat était organisé entre les différentes universités. Nous devions débattre du bien-fondé de la nouvelle loi sur la laïcité du Québec, contre les étudiants de McGill, une tâche qui s’annonçait corsée, mais pas insurmontable.
Un seul détail posait problème et pas le moindre : aucun étudiant de Laval n’avait préparé de texte. La pire humiliation de l’histoire de la fac se profilait dangereusement à l’horizon. Après concertation, on décida à l’unanimité de revenir à Québec. Tant pis pour le décorum et la politesse.
Les organisateurs de Sherbrooke tentèrent par tous les moyens de nous faire participer au débat. Aucun argument ne réussit à convaincre les étudiants entêtés que nous sommes à revenir sur notre décision. C’était avant que les fins esprits de la fac de Sherbrooke ne décident de sortir leur argument béton : «1000 $ de pizzas vous attendent». Il n’en fallait pas plus pour convaincre nos ventres affamés.
Nous nous rendîmes donc au pavillon des sciences pour manger ladite pizza. Quelle ne fut pas notre surprise de voir un auditorium plein à craquer avec un panel d’experts en droit. Bref, tout était en place pour commencer le débat. Nous décidâmes de rebrousser chemin, mais les étudiants de Sherbrooke avaient pensé à tout. Ils avaient averti notre chauffeur d’autobus d’attendre la fin du débat avant de partir.
Ils nous avaient tendu un piège! Nous étions sans issue. Après quelques moments de tergiversation, nous nous résignions à assister aux autres débats, sans avoir la moindre idée de la manière avec laquelle nous allions nous sortir de ce pétrin.
Les autres débats débutèrent. À peine eut-on entendu les premiers arguments de l’Université de Montréal que nous savions notre sort scellé. Nous n’avions aucune chance de faire tête aux discours étoffés des autres universités. Notre moral était au plus bas. L’honneur de notre faculté allait être entaché à jamais.
Mais alors que nous ne nous faisions plus aucun espoir, deux étudiants de Laval — Frédéric Côté et Dominique Gobeil — décidèrent de prendre les choses en main. Ils allaient participer à ce débat contre McGill un point c’est tout. L’honneur de notre université était en jeu!
Armé de son assiette en carton tachée de sauce à pizza sur laquelle il avait écrit les grandes lignes de son discours, Fred arriva sur scène avec la confiance d’un jeune avocat à sa première plaidoirie. Dominique l’accompagnait, munie de quelques notes gribouillées sur un morceau de papier dans les minutes précédant le débat.
Pas besoin d’avoir la tête à Einstein pour comprendre que nous n’étions pas dans une situation idéale pour l’emporter.
L’atmosphère était tendue. Les cœurs de tous les étudiants de l’Université Laval présents battaient au même rythme que ceux de nos deux fiers représentants.
Le débat débuta par une présentation impeccable des étudiants de McGill qui, fidèles à leur réputation, faisaient étalage de toute leur éloquence.
Puis vint le tour de l’Université Laval. Dominique lança les hostilités avec cette boutade : «On s’excuse si notre présentation semble improvisée... Ça vous rappellera peut-être un reproche fait à la CAQ, c’est-à-dire d’avoir im- provisé la loi sur la laïcité». Tonnerre d’applaudissements! Les étudiants de McGill étaient bouche bée! Les visages mi- surpris mi-offusqués des juges valaient le détour.
Dominique se lança ensuite dans une longue tirade. Elle présenta ses arguments de manière claire et concise. Personne n’aurait pu prévoir que ce discours avait été préparé quelques minutes auparavant.
Puis vint le tour de Fred. Conscient du peu d’arguments dont il disposait, il décida d’adopter l’approche humoristique. Son anecdote sur son enseignante à l’école primaire qui portait un signe religieux, une dénommée Marie- Marthe, fit rire toute l’assistance.
Fred, voyant l’engouement créé par son premier argument, décida d’en remettre une couche : «Tant qu’à lui enlever son voile, on ne va pas aussi lui demander de se couper une main». Il n’en fallait pas plus pour créer un éclat de rire général. Tant les étudiants de Sherbrooke que ceux de Montréal s’esclaffaient bruyamment.
Les étudiants de McGill revinrent avec leur contre-argument tout aussi bien structuré que l’était leur introduction. Lorsque l’étudiante de McGill fit mention de l’argument basé sur Marie-Marthe, Fred ne se gêna pas pour lui couper pour la parole en plein discours afin de corriger sa prononciation du prénom.
Dominique conclut le débat avec brio, en résumant l’ensemble de ses arguments avec justesse et clarté.
Les étudiants de toutes les universités applaudirent à la fin de ce débat, qui fut on ne peut plus divertissant.
Lorsque les juges allèrent en délibéré, personne ne se faisait d’espoir sur les chances de succès de l’Université Laval. Pourtant, tous les étudiants avaient le sourire aux lèvres : nos deux courageux venaient de nous sauver d’une humiliation quasi inévitable. Ils avaient parfaitement remonté la barre et nous ne pouvions que nous en réjouir. Mieux, ils avaient diverti 200 étudiants en droit de toutes les universités au Québec.
Ce dîner pizza réserva donc son lot de surprises. Bien qu’au final, les juges accordèrent la victoire à McGill, ils tinrent à souligner la résilience et le courage de Dominique et Frédéric. De quoi finir le colloque sur une bonne note.
Forest Gump avait raison : quand on ouvre une boîte de chocolat, on n’est jamais certain de ce qu’on va découvrir. Dans notre cas, la boîte de chocolat nous fit passer par toute la gamme des émotions certes, mais de belles émotions. Elle nous permit de révéler au grand jour le courage et la détermination de deux personnes dévouées pour leur faculté.
C’est un débat dont on parlera encore dans les mois, voire les années à venir. Mais je suis certain qu’on en parlera pour les bonnes raisons. C’est ce qui en fait un événement mémorable.