Entre deux mondes

LA CONCILIATION DES ENTREPRISES D’ÉCONOMIE SOCIALE ET DES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS

Par Simone Pilote

Crédit photo : Canva

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DOSSIER DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE | L’entreprise à profit traditionnelle perd petit à petit en popularité maintenant que l’impact social semble nécessaire à sa survie. En effet, une lutte entre deux courants se faufile à travers l’administration des entreprises. D’une part, l’un porté principalement par les jeunes souhaite un changement social, et l’autre, représenté par les générations plus âgées, continue à avoir comme premier objectif de maximiser les profits. Comment peut-on alors réunir ces deux écoles de pensées? Pourtant, la conciliation de ces deux objectifs apparaît maintenant possible.

«On réfléchit aux entreprises d’économie sociale et entreprises traditionnelles comme deux silos, deux gestions et idées complètement différentes. Toutefois, les lignes entre les deux commencent à devenir réellement floues», avance le professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université Laval, Ivan Tchotourian. 

Selon la Loi sur l’économie sociale (RLRQ, chapitre E-1.1.1), l’entreprise d’économie sociale exerce des activités économiques à des fins sociales, c’est-à-dire qu’elle vend ou échange des biens et services non pas dans le but de faire du profit, mais plutôt dans celui de répondre aux besoins de ses membres ou de la communauté qui l’accueille. Elle prend la forme de coopératives, de mutuelles ou d’organismes à but non lucratif exerçant des activités marchandes. 

Depuis quelques années, le concept d’économie sociale opère de nombreux changements au niveau juridique. En 2013, Industrie Canada a consacré un chapitre entier à la «structure de constitution en société pour les entreprises socialement responsables» dans sa réforme future de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Au Québec, la Loi sur l’économie sociale a reconnu la contribution de l’économie sociale au développement socioéconomique du Québec et a affirmé promouvoir et soutenir le développement de l’économie sociale. Finalement, le gouvernement provincial a publié son Plan d’action gouvernementale en économie sociale pour 2015-2020.

Au Québec, on compte 11 200 entreprises d’économie sociale réparties dans tous les secteurs d’activités. Présentes partout dans la province, elles génèrent annuellement 47,8 G $ de revenus , lesquels sont réinvestis dans leur mission et dans la communauté. Elles emploient 220 000 personnes. 

L’économie sociale est une façon d’entreprendre qui rejoint beaucoup la jeunesse, et ce, pour ses valeurs. Selon un sondage sur l’entrepreneuriat chez les moins de 35 ans au Québec réalisé par Léger pour le Chantier d’économie sociale, 82 % des Québécois âgés de 18 à 34 ans jugent important d’évoluer dans une organisation qui répond aux besoins de ses membres ou de la communauté, améliore la société et donne le droit de vote à ses membres. 

Ce mode de gestion innovateur entraîne toutefois son lot de questionnements. Sommes-nous prêts à faire des sacrifices importants quant à la mission des sociétés par actions, soit de réaliser du profit et de les distribuer à leurs actionnaires?

Selon M. Tchotourian, il faut arriver à concilier l’entreprise d’économie sociale et l’entreprise traditionnelle. «Pour qu’une entreprise marche et attire de nombreux actionnaires, il faut nécessairement un certain objectif lucratif. Il s’agit en fait de trouver l’équilibre entre raisonnable et responsable. Le système capitaliste n’est pas à jeter à la poubelle, mais à faire évoluer. Tout cela semble possible grâce à un capitalisme renouvelé», fait part le professeur, qui aborde les affaires et la gouvernance des entreprises dans ses recherches. 

Certaines actions ont déjà été mises en place afin de favoriser l’impact social des sociétés par actions. Par exemple, les entreprises certifiées B Corp sont des entreprises bénéfiques sur le plan social. Leur objectif ne se limite pas à générer des profits, elles cherchent aussi à créer de la valeur pour la société. Elles respectent des normes élevées en matière de transparence et de responsabilité et génèrent des gains sociaux et environnementaux positifs. 

Cependant, le vrai changement doit provenir des administrateurs de sociétés par actions. Ces derniers sont responsables de la supervision et de la gestion générale des activités d’une société. Ils détiennent donc le pouvoir de modifier les orientations de l’entreprise, en distribuant des dividendes à organisme communautaire par exemple. 

«Il n’y a présentement aucune jurisprudence au Québec qui présente des actionnaires qui se sont retournés contre leurs administrateurs après que ces derniers aient pris des décisions visant un impact sociétal tout en sachant que ces décisions auraient une répercussion sur les profits de la société», déclare M. Tchotourian. La Cour suprême a affirmé en 2008, dans BCE Inc. c Détenteurs de débentures de 1976, que : «[…]en agissant au mieux des intérêts de la société, les administrateurs peuvent être obligés de considérer les effets de leurs décisions sur les parties intéressées […]. C’est ce qu’on entend lorsqu’on affirme qu’un administrateur doit agir au mieux des intérêts de la société en tant qu’entreprise socialement responsable».

En définitive, en tant qu’étudiant et membre d’une jeune génération, nous avons un rôle à jouer dans l’économie. En priorisant des produits issus d’entreprises «sociales», les autres devront à leur tour adopter un type de gestion qui ressemble davantage à nos valeurs.