Entrevue avec Mme Anne-Marie Laflamme, doyenne de la Faculté de droit
Une session synonyme d’innovation
Par Dominique Gobeil Rédactrice en chef
«L’université, c’est le lieu de la créativité et de l’innovation. S’il y a bien un endroit où nous pouvons relever le défi causé par la pandémie de la COVID-19, c’est ici. Il faut être imaginatif!»
En vidéoconférence avec Le Verdict au début du mois d’août, la doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval Anne-Marie Laflamme affichait un bel optimisme vis-à-vis la rentrée 2020. Même si «beaucoup d’incertitudes» persistent en l’attente de nouvelles mesures ministérielles et que l’offre des cours se retrouve majoritairement à distance, pour une première fois officiellement.
D’entrée de jeu, la doyenne souligne l’importance de multiplier les occasions de s’adresser aux étudiants en droit, alors que l’accès restreint au campus limite les échanges spontanés. Au moment de l’entrevue, qu’elle a promptement acceptée, les professeurs avaient accès à leur bureau. Ils pouvaient rencontrer des étudiants sur place, lorsque la distanciation physique était possible. Il n’était pas encore confirmé si des réunions pour des travaux d’équipe, par exemple, allaient pouvoir se dérouler au pavillon Charles-De Koninck, ni dans quelles circonstances.
«Nous sommes devant une situation inédite, mais il faut composer avec ça. L’ensemble du personnel a travaillé très fort cet été. Au printemps, nous avions été pris de court, mais nous avons cette fois l’avantage du temps. Les bouchées doubles ont été mises afin que l’interaction entre les enseignants et les étudiants soit favorisée le plus possible», indique Mme Laflamme, qui mentionne «l’étroite collaboration avec l’association étudiante» à ce sujet.
Un baccalauréat conçu en présentiel
Une chose est claire pour la doyenne: il n’est pas question d’offrir une formation de juriste totalement en ligne lorsque les risques sanitaires seront écartés.
«Le programme du baccalauréat en droit a été conçu pour être enseigné en présence, avec une importante place consacrée aux échanges entre les étudiants. Ce n’est pas notre intention à court ou moyen terme de migrer vers un enseignement complètement à distance», assure la doyenne. Aucun risque, donc, que le baccalauréat présentement en ligne ressemble subitement au certificat en droit à distance, de seulement 30 crédits, dont l’objectif n’est pas de former de futurs juristes, ajoute-t-elle.
Enseignant elle-même en droit du travail, Mme Laflamme voit un avantage en cette période de crise: «revoir ce qui est vraiment important dans les cours». Plusieurs enseignants font l’exercice de se consacrer à l’essentiel en adaptant leur contenu totalement en ligne, afin que l’information transmise aux étudiants sur l’état du droit soit la plus claire possible. Les lectures peuvent être plus ciblées et la matière, davantage schématisée, entre autres.
«Nous avons conservé un horaire de cours fixe, car il est bénéfique de garder une routine, explique la doyenne. Ça ne veut pas dire que les étudiants devront être connectés trois heures en ligne pour écouter leur professeur parler de la matière.»
Cette dernière formule est «loin d’être une panacée», de l’avis de Mme Laflamme, qui refuse «de se laisser abattre». Les conséquences de la crise sanitaire représentent pour elle «un défi supplémentaire à relever et une corde de plus à l’arc des étudiants».
«Il ne faut pas se décourager, c’est temporaire.»
Les novices priorisés sur le campus
Même si les premiers cours en droit ne sont pas considérés comme des cours pratiques au sens entendu par le gouvernement provincial, la Faculté de droit a décidé de favoriser la présence des étudiants de première année sur le campus pour certains cours souvent jugés plus ardus, comme Obligations I ou Droit administratif I. Cela devrait permettre une meilleure adaptation.
«Si jamais les restrictions sanitaires diminuent en cours de route, nous ajouterons des options en présentiel le plus possible», soutient Mme Laflamme. Malgré tout, la présence physique aux cours demeurera toujours facultative pour l’automne.
La Faculté doit aussi composer avec les directives de l’Université Laval, «une grosse machine» dont les marges de manoeuvre sont inversement proportionnelles à la complexité de l’organisation. Le mot-clé pour le retour dans les murs lavallois? «Graduel»...
L’enjeu de la santé mentale
Ayant rédigé sa thèse de doctorat sur la santé mentale en milieu de travail, la doyenne Anne-Marie Laflamme est bien consciente de cet enjeu, qui se transpose presque pareillement en contexte étudiant, et qui peut être encore plus problématique en temps de confinement (ou de déconfinement supervisé).
«Je suis très sensible au bien-être de nos étudiants. Nous avons un nouveau comité sur la santé mentale et le bien-être des personnes étudiantes de la Faculté de droit. Il sera très actif dès le début de la session», affirme Mme Laflamme. Notons qu’une dizaine de
comités existent au sein de la Faculté, selon son règlement sur les structures internes. Des étudiants y siègent aussi pour donner leur avis.
La doyenne souligne de plus le travail des mentors du Centre de soutien des étudiants en droit, dont l’équipe passe de six à onze étudiants mentors, motivés à conseiller leurs pairs sur les cours présentiels, comodaux, synchrones ou asynchrones (un article complet sur le Centre est publié plus loin dans ce numéro).
Des modes d’évaluation à déterminer
Traditionnellement, les évaluations en droit se résument à un examen de relais et un examen final, valant chacun entre 35% et 65% des points de la session, concentrées dans environ deux semaines. De quoi mettre beaucoup de pression sur les épaules des étudiants. Parfois, un travail d’équipe remplace un examen ou s’ajoute à la liste de tâches.
«Nous laissons beaucoup de latitude aux enseignants. Les méthodes d’évaluation sont un sujet au coeur de la révision du programme qui est en cours, confirme Mme Anne-Marie Laflamme. Le comité est à pied d’oeuvre pour que la révision soit en place à l’automne 2021. Des évaluations en continu, la formation par l’expérience, la mesure des compétences écrites et orales… ce sont toutes des avenues explorées. Les cours à distance nous obligent aussi à adopter des formules d’évaluation plus variées. La session d’automne 2020 peut être une belle occasion de les tester!»
Des formations sur les méthodes pédagogiques en ligne sont offertes en continu au personnel enseignant sur une base volontaire. L’Université Laval a également acheté des licences avantageuses pour des plateformes comme Zoom ou Teams.
La COVID-19 apporte aussi son lot de pressions financières, alors que le financement public supplémentaire se fait attendre. Notamment, le matériel technique acheté par les professeurs, pour enregistrer des capsules par exemple, doit être remboursé par l’employeur, comme le prévoit une lettre d’entente avec le syndicat signée le 1er mai 2020.
Une source de fierté
Que ce soit concernant les professeurs chercheurs, les chargés d’enseignement, les chargés de cours (qui pratiquent souvent encore le droit en parallèle), le personnel administratif travaillant généralement depuis leur résidence ou les «dynamiques» étudiants, la doyenne se montre généreuse en bons mots pour la communauté facultaire.
«On peut tirer une grande fierté de l’expérience du printemps, même si tout n’était pas parfait, conclut la doyenne Anne-Marie Laflamme. Tout le monde a été capable de s’adapter à très court terme, tout le monde y a mis du sien. L’université, c’est une expérience beaucoup plus importante que les notes obtenues à la fin du parcours. Les étudiants peuvent être fiers de ce qu’ils ont réalisé à l’hiver.»
Et sans doute, de ce qu’ils réaliseront dans les prochaines semaines.