Entrevue avec Olga Farman - Parcours d’une avocate en pratique privée

Par Florence Provencher, publié le 15 décembre 2021

ENTREVUE | Associée-directrice chez Norton Rose Fulbright, Olga Farman est une femme particulièrement inspirante, tant en raison de son parcours professionnel que personnel. 

Née à Rivière-du-Loup au sein d’une famille immigrante d’origine iranienne, elle a étudié en droit à l’Université Laval et a complété son Barreau à Québec avant de compléter une maîtrise en administration des affaires. N’ayant aucune connaissance à ce sujet en sortant de son baccalauréat, elle considère que de compléter cette maîtrise a fait une grande différence dans sa carrière, puisqu’elle y a acquis des notions de base en gestion et appris à connaître la communauté d’affaires. Spécialisée en droit de la santé et en droit des sciences de la vie, Me Farman fait partie de l’équipe de Norton Rose Fulbright depuis neuf ans. Elle est aussi avocate en droit commercial, en propriété intellectuelle et en protection des renseignements personnels. Dans sa pratique, elle représente majoritairement des centres de recherche et effectue beaucoup de gouvernance et de gestion de crise en matière d’organismes à but non lucratif. 

Découvrez l’entrevue d’une femme ambitieuse, travaillante et passionnée, dont la carrière est des plus inspirantes et motivantes.

Question 1. Quel est, selon vous, le plus gros obstacle que vous ayez rencontré en tant que femme dans votre parcours?

« Au début, il y a l’obstacle de la jeunesse, qui va au-delà de l’obstacle du féminin. C’est vraiment un enjeu de crédibilité. Être avocate, c’est conseiller des clients, et ce que je trouvais le plus difficile dans les premières années de pratique, c’était de me convaincre et de convaincre les autres que j’avais toutes les aptitudes et toutes les connaissances pour bien les conseiller. Et en plus, on rajoute à cela l’obstacle du féminin, car il y a 20 ans, j’étais en effet une femme dans un monde essentiellement d’hommes, et il n’y avait pas encore de volonté des cabinets d’impliquer beaucoup de femmes dans la direction et parmi les associés. Il a donc fallu que j’apprenne à faire ma place à ma façon. Il arrive qu’il y ait une approche très masculine dans la pratique du droit, mais personnellement, j’ai toujours refusé d’embarquer là-dedans. J’ai donc accepté très jeune que j’allais devoir accompagner mes clients à ma façon. Ainsi, j’ai transformé cet obstacle en opportunité, et c’est devenu une sorte de marque de commerce pour moi. J’ai décidé que j’allais être authentique et que j’allais choisir des clients qui me ressemblent et qui respectent mes valeurs. »

Question 2. Y a-t-il eu des moments où vous avez douté de vos capacités, et si oui, comment avez-vous fait pour vous relever?

« Je doute à tous les jours. Avec l’âge et l’expérience, la complexité des mandats et des situations augmentent, et donc ce n’est plus le même doute que quand on est stagiaire. Toute notre vie en tant qu’avocat, on a beau devenir de plus en plus expérimenté et confiant, il demeure qu’on est toujours hanté par ce doute d’offrir les bons conseils et d’être à la hauteur. J’ai donc apprivoisé le doute et le stress qui viennent avec la vie d’avocate. J’accepte que cela va toujours être là, que je n’aurai pas toujours la réponse aux questions, qu’un client peut être insatisfait. Une fois que tu apprivoises ce doute, et une fois que tu te donnes les moyens pour te rediriger vers la bonne réponse, pour mieux communiquer et aller chercher de l’aide, cela enlève un énorme fardeau de sur les épaules. Ce doute est fondamental pour nous permettre de rester bien enraciné dans notre mandat auprès d’un client. »

Question 3. Comment avez-vous su concilier le travail et la famille dans les dernières années? Vous êtes-vous déjà senti comme si vous ne pouviez pas avoir les deux en raison de votre statut de femme?

« Non, personnellement, je ne me suis jamais sentie comme ça, car je l’ai tout simplement imposé à mon environnement professionnel. Je ne me suis jamais posé de questions, car je savais que je voulais un enfant. Je sais par contre que pour certaines jeunes avocates autour de moi, cela demeure un enjeu, surtout avec la pression sociale qui l’entoure. Si j’ai un conseil à donner, c’est de bien déterminer ce qu’on veut, quelles sont nos limites, et de reconnaître que la pratique privée est une carrière intense. Personnellement, je recherchais cette intensité et cette complexité dans ma carrière. Il faut aussi définir nos priorités, et pour moi c’est mon fils, donc si j’ai le choix entre un appel et mon fils, je vais choisir mon fils. Il arrive qu’il y ait de réelles urgences qui ne peuvent pas attendre, donc en effet, c’est un équilibre qui est difficile à atteindre, mais personnellement, j’ai décidé que pour passer au travers de ma carrière, il fallait que je trouve cet équilibre. »

Question 4. Quels sont, selon vous, les plus gros enjeux dans les années à venir concernant l’égalité des hommes et des femmes dans le monde du droit?

« La rémunération en est un. Il n’y a plus d’enjeu de discrimination au niveau de la rémunération des jeunes avocats et avocates à travail égal, mais c’est encore un enjeu au niveau de la rémunération des femmes qui sont associées. Il y beaucoup d’enquêtes pancanadiennes à ce sujet afin de sensibiliser les cabinets d’avocats à cet enjeu, afin de les inciter à vouloir donner des postes de direction aux femmes et à vouloir qu’elles deviennent associées, et afin de s’assurer qu’elles soient rémunérées de manière équitable par rapport à un collègue masculin associé qui a la même performance. Pour moi, cela demeure un enjeu fondamental. Il y a aussi l’enjeu de la conciliation travail et famille, et l’enjeu de la rétention des femmes en pratique privée. En ce moment, il est difficile de trouver comment convaincre les femmes d’avoir le goût de vivre l’intensité qu’apporte la pratique privée et de ne pas abandonner au bout de quelques années, une fois qu’elles ont eu leur famille. Cela va donc être un enjeu pour le Barreau et les cabinets de trouver la manière de s’assurer que les femmes continuent de vouloir évoluer dans ce monde qui est difficile, stressant, chargé, mais tellement stimulant. »

Question 5. Avez-vous des conseils pour les jeunes femmes du baccalauréat qui souhaitent suivre un parcours similaire au vôtre? 

« De bien déterminer ses valeurs, car c’est ce qui va nous guider tout le long de notre carrière. Très jeune, je connaissais les valeurs qui allaient me guider. Encore aujourd’hui, quand je suis devant une situation complexe et quand j’ai beaucoup de pression sur les épaules, je me recentre toujours en me demandant pourquoi je fais ce métier, quels sont mes objectifs et quelles sont mes valeurs, et où est-ce que je veux aller. Une fois que c’est clair, cela devient plus facile d’affronter les hauts et les bas. Il y aura toujours des hauts et des bas dans une carrière d’avocat, c’est impossible que ce soit un long fleuve tranquille. Et si tu n’as pas ces valeurs bien ancrées, c’est difficile de se retrouver et c’est difficile de donner un sens à cette pression qui vient avec la pratique. Souvent, ce sont les mêmes valeurs qu’on a déjà quand on s’implique à l’Université. Ainsi, mon conseil principal est de bien déterminer vos valeurs. »