Conseils de maîtres pour futurs notaires

Par Francesca Lefebvre, publié le 20 février 2021

Crédit photo : @cytonn_photography

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ENTREVUE | En cette période de reconfinement, une édition spéciale portant sur le marché du travail est tout indiquée! Après tout, le travail, c’est bien tout ce qu’il nous reste pour sortir un peu, mis à part aller à l’épicerie ou à la pharmacie… 

Le saut du monde scolaire vers le marché du travail est indéniablement une étape cruciale dans la vie de n’importe qui. Pour mieux y faire face, j’ai décidé d’interroger les notaires associées à la tête de l’étude Vachon Breton S.A., membre du réseau PME INTER notaires, Me Jacinthe Breton et Me Catherine Poulin. Me Breton est diplômée de l’Université Laval, notaire depuis 1999 et se spécialise en droit agricole et en droit de l’entreprise. Me Poulin, diplômée de l’université de Sherbrooke, est notaire depuis 2010 et se spécialise dans le droit corporatif et commercial, en plus de s’occuper de la partie gestion de l’entreprise. L’étude, en plus des domaines de base en droit notarial, prend en main des dossiers des domaines du droit corporatif et commercial. Lors de cette entrevue, j’ai pu leur poser des questions auxquelles les réponses furent certainement très enrichissantes!  

D’après vous, quelle est la plus grande différence entre l’école et le marché du travail?

Pour Me Poulin, il y a un peu de « pelletage de nuages », dit-elle en riant. Elle explique cette expression par le fait que la théorie n’a pas du tout la même dynamique que la pratique. La théorie est très concentrée sur un aspect unique, ce qui n’est pas mauvais en soi pour nous permettre de bien saisir les bases, mais la pratique vise beaucoup plus la globalité d’un problème et la mise en commun de plusieurs facettes juridiques en même temps. Me Breton ajoute que l’apprentissage scolaire a tendance à compartimenter le savoir, cours par cours, mais un dossier est la mise en commun de plusieurs de ces compartiments, ce qui est une barrière parfois difficile à franchir au départ lorsque les nouveaux juristes commencent à travailler. « Il faut être capable de conseiller le client et d’allumer sur plein de lumières rouges », explique Me Breton.  

« Le stage est aussi beaucoup trop court », ajoutent-elles simultanément. En effet, il n’y a pas que le travail en tant que tel qui occupe du temps de stage, mais aussi l’acclimatation du stagiaire à son nouvel environnement de travail, ses nouveaux collègues, les façons de faire, etc. Me Poulin explique son expérience personnelle, alors qu’elle a changé de bureau PME : « J’étais notaire depuis cinq ans, et je dirais que ça m’a quand même pris une grosse année avant d’être 100% opérationnelle. » « Tant que tu n’es pas à l’aise au bureau, tu ne  peux pas être à l’aise dans tes dossiers », résume Me Breton. 

Quelle est la faille ou lacune que vous remarquez le plus souvent chez les nouveaux notaires? 

Me Breton répond rapidement : « J’aurais tendance à dire la gestion d’une étude [notariale], la gestion d’un dossier et la gestion du temps. » La gestion d’une étude notariale est en fait la gestion d’une entreprise et l’incorporation de certains cours essentiels en ce sens au cheminement du baccalauréat ou à la maîtrise pourrait s’avérer utile. En ce qui concerne la gestion des dossiers et du temps en général, il arrive que les nouveaux juristes aient de la difficulté à oublier les méthodes utilisées pour les travaux scolaires. Sur ce point, Me Poulin s’exprime ainsi : « Pour un travail [scolaire], il est possible de travailler 5 ou 45 h dessus, mais ici, c’est différent. » Me Breton renchérit : « Ici, on vend du temps, on ne peut pas se permettre de travailler dix heures sur un seul dossier ou faire un dossier de vente par semaine. Il faut être efficace et gérer ses priorités et son temps. » 

Me Poulin mentionne également qu’il est important, et ce, pour n’importe quelle profession, d’aller « voir ce que c’est [concrètement] ». Il leur est malheureusement arrivé que des stagiaires se présentent à leur bureau en pensant connaître le métier, alors que ce n’était pas le cas. Ce n’est profitable ni à l’employeur ni à l’étudiant qui vient de terminer de longues études!  

D’après vous, y a-t-il des choses essentielles à l’emploi que l’école oublie de nous  apprendre? 

« Je reviendrais encore avec l’aspect de la gestion et le côté pratique », dit Me Breton.  

Il ne faut pas non plus oublier la gestion « relationnelle », ce qui inclut aussi bien de savoir comprendre et décortiquer ce que veulent les clients que d’être en mesure de leur expliquer la théorie juridique. Savoir réagir de façon appropriée face aux réactions émotives des gens peut aussi représenter un défi, aussi bien en ce qui concerne les clients plus sévères et exigeants que ceux qui éclatent en sanglots puisqu’ils vivent un deuil.  

La gestion du stress de performance est aussi quelque chose qui doit être enseigné. Même après la maîtrise ou le Barreau, il est normal pour le jeune juriste de ne pas tout connaître  et de continuer sa formation avec ses employeurs : les critiques constructives ne doivent donc pas être perçues comme une défaite, mais comme un apprentissage, un cheminement vers l’autonomie professionnelle.  

Me Poulin mentionne un autre point très intéressant : la responsabilité. C’est un aspect essentiel, même critique de la profession, mais qui n’est discuté que très tardivement dans le parcours du jeune notaire. « Il me semble que c’est très peu discuté avant même la fin de la maîtrise et certains stagiaires ne se rendent compte de ce que ça implique que lorsqu’ils mettent les pieds au bureau et ça peut les surprendre. Ça peut même être un deal breaker pour certains. » 

À l’inverse, y a-t-il certaines choses sur lesquelles le milieu scolaire met l’accent, mais qui ne sont pas toujours nécessaires pour le milieu professionnel? 

Même si certains cours ne semblent pas nécessairement utiles à la profession, les associées s’entendent sur le fait qu’il est bien d’avoir un tronc commun au baccalauréat. De plus, il arrive que les clients posent des questions qui sont hors du champ de compétence du notaire, ou désirent inclure des clauses spéciales à leurs actes juridiques. « Il faut expliquer au client que la clause est inconstitutionnelle, ou bien discriminatoire quant aux droits et libertés de la personne », donne comme exemple Me Poulin.  

Quand vous êtes-vous senties réellement prêtes à prendre en main un premier dossier de  A à Z? 

C’est une question complexe. En ce qui concerne Me Poulin, elle avait bénéficié d’un stage de huit mois avant son assermentation : « Après ça, je peux dire que je me sentais prête. » Du côté de Me Breton, elle avait fait une technique juridique et c’est en travaillant dans le domaine qu’elle a découvert qu’elle préférerait continuer à l’université pour devenir notaire. Ainsi, elle connaissait déjà les rouages du métier.  

Toutefois, elles s’entendent pour dire que le jeune notaire doit lui-même se sentir prêt avant de prendre en charge son propre dossier. En effet, sa gestion inclut autant la maîtrise de son aspect juridique que la capacité d’en vulgariser les complexités pour le client. C’est aussi une question de personnalité : une personne d’un caractère plus audacieux sera peut-être plus à l’aise plus rapidement qu’une personne plus timide, étant donné, notamment, l’aspect relationnel qu’implique un dossier. Cela dépend également du type de dossier, dont la complexité varie grandement et de l’expérience de la personne, dans un emploi antérieur, par exemple. C’est aussi savoir utiliser les outils mis à notre disposition lors de notre cheminement. En résumé, il faut être en mesure de contrôler tous les aspects du dossier qui nous est confié et être sûr de soi.  

Avez-vous un dernier conseil? 

Les interviewées conseillent fortement d’aller voir concrètement ce qu’est la profession qui nous intéresse. « Ce n’est pas nécessaire d’avoir un emploi en tant que tel, mais au moins pouvoir profiter de quelques journées d’observation, c’est déjà un bon début », spécifie Me Poulin.  

Me Breton ajoute également que d’aller voir plusieurs endroits, pratiquant dans des domaines différents, bureaux plus ou moins gros, peut également être très utile pour nous  permettre de mieux nous orienter et savoir ce qui nous convient. « Il est possible qu’une certaine personnalité s’adapte moins bien à notre bureau, mais convienne parfaitement ailleurs. C’est la même chose pour les domaines de pratique. » 

Comme passer de la théorie à la pratique est loin d’être facile, j’espère, chers collègues, que cette entrevue vous permettra de mieux vous préparer et de mieux vous orienter vers  le marché du travail. Il est certain que cette entrevue était centrée sur le domaine notarial, mais les conseils qui y sont énoncés sont certainement valides pour plusieurs professions : n’ayez donc pas peur de les mettre en pratique!