Égalité hommes et femmes dans la pratique privée
Pour un changement à 180 degrés
Par Simone Pilote
REPORTAGE | Malgré une majorité importante de femmes dans les facultés de droit du Québec, les inégalités pour les avocates dans la pratique privée persistent. Malheureusement, les statistiques montrent que les avocates abandonnent la profession beaucoup plus tôt (en moyenne à 49 ans comparativement à 61 ans chez les hommes, selon les statistiques du Barreau du Québec). Afin d’y remédier, un changement de mentalité s’impose!
Ce changement passe par les dirigeants, mais d’abord par les futurs employés, soit ceux qui vont bâtir le milieu du travail dans les prochaines années. La rétention des femmes passe donc par nous, les étudiants.
Le parcours des femmes dans certaines professions historiquement masculines est une réalité qui demeure complexe et variable. Elles diplôment en plus grand nombre que les hommes. Au Québec, plus de 65 % des diplômés de l’École du Barreau sont des femmes. Toutefois, ces femmes font face à des inégalités importantes sur le marché du travail.
«Le dévouement corps et âme est ancré dans les pratiques traditionnelles des gros cabinets. Le modèle professionnel dans le domaine privé ne coïncide pas aux réalités d’aujourd’hui. Les jeunes ne sont plus attirés vers des semaines de travail excessif correspondant à 80 heures», estime la doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval (UL), Me Anne-Marie Laflamme, lors d’une entrevue avec Le Verdict.
L’étude Les femmes dans des professions traditionnellement masculines consacre un chapitre sur la progression des avocates en pratique privée. Elle met en lumière les inégalités dans la rétention et la progression des avocates en pratique privée. Elle a été menée par Mme Sophie Brière, professeure agrégée à la Faculté des sciences de l’administration de l’UL et titulaire de la CLE Femme et organisation, ainsi que Me Anne-Marie Laflamme et Me Antoine Pellerin, professeur assistant à la Faculté de droit. Les trois chercheurs ont mené 14 entretiens de groupe auprès d’avocats en pratique privée. Au total, 60 associé.e.s, salarié.e.s et gestionnaires ont été rencontrés.
Les trois chercheurs ont identifié quatre secteurs problématiques pour les femmes, c’est-à-dire le recrutement, l’insertion en milieu de travail, la carrière et l’accès aux postes de décisions. La rentabilité financière avant tout, le dévouement total à la clientèle ainsi que les horaires de travail excessifs et peu flexibles représentent des raisons qui expliquent ces difficultés auxquelles doivent faire face les avocates.
Briser la résistance au changement
Selon Me Laflamme, le changement passe par les modifications des pratiques organisationnelles. Pour cela, l’étude propose plusieurs pistes de solutions telles que la favorisation de la délégation, un retour du congé de maternité efficace, une gestion des ressources humaines adaptées, le changement du mode de tarification et plusieurs autres.
Transformer les pratiques, c’est aussi miser sur le travail d’équipe plutôt que sur la performance individuelle. Pour cela, la nécessité de collaborer entre étudiants dans les travaux d’équipe et en classe dès l’université peut s’avérer être une solution efficace.
Me Laflamme appuie un nouveau mode de rémunération. «Le changement passe par une nouvelle réflexion sur le mode de tarification. Une solution pourrait être la rémunération du travail de qualité et non du nombre d’heures total», soutient-elle. La progression et rétention des avocates dans le secteur privé devra faire un passage obligatoire par la complexité et le temps. L’ancrage à notre société de profit doit nécessairement s’estomper pour ouvrir la porte à des pratiques plus souples et adaptées aux réalités d’aujourd’hui. C’est par une prise de conscience, et par des actions concrètes que nous arriverons à un changement efficace.
Le baccalauréat en droit à l’Université Laval est présentement en pleine réforme. En tant qu’étudiante et future employée, l’auteure de ces lignes souhaite que les changements qui seront apportés pourront favoriser la progression et la rétention des jeunes dans le domaine du droit, pour qu’ils n’aient plus à craindre des heures excessives de travail ou à hésiter pour fonder une famille. Est-ce trop de rêver à un travail dans un univers ouvert à tous, femmes et hommes, bienveillant et inclusif?