Gaston Miron, poète militant

Par Samuel Z. Castonguay

Crédit photo :@diklein

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L’œuvre du poème, dans ce moment de réappropriation consciente, est de s’affirmer  solidaire dans l’identité. L’affirmation de soi, dans la lutte du poème, est la réponse à la situation  qui dissocie, qui sépare le dehors et le dedans. Le poème refait l’homme (1). - Gaston Miron, Notes sur le non-poème et le poème

DOSSIER ARTS ET CULTURE | Gaston Miron n’a publié qu’un livre de son vivant : L’homme rapaillé, en avril 1970. Ce grand de la poésie, homme à l’esprit sagace et au verbe fécond, s’érige néanmoins tel un phare éclairant les horizons politique et culturel avant même l’année de publication de son recueil, année charnière de l’histoire du Québec, lors de laquelle effervescence intellectuelle et violence civile s’enchevêtrent et s’entrechoquent, tissant cette espèce de toile, d’imbroglio social et politique quasi allégorique de l’identité nationale québécoise.

 Mais la singularité entourant le personnage repose à bien des égards sur l’immensité et la richesse de son legs. 

Comment un poète aux écrits si peu abondants a-t-il pu imprégner ainsi la culture,  à la fois l’oxygène que respire la nation et le poumon qui lui permet d’exister? Il est vain  d’entreprendre de répondre à cette interrogation sans contempler le militantisme, le travail  d’édition et la poésie de Miron, divers versants caractéristiques mais non dichotomiques  d’un même homme.  

Miron, c’est l’écrivain prodige, le poète amoureux, mais c’est aussi le militant  fougueux, l’homme engagé. Il cofonde en 1953 – avec Gilles Carle, Mathilde Ganzini,  Olivier Marchand, Jean-Claude Rinfret et Louis Portugais – l’Hexagone, une maison  d’édition emblématique de la culture et du patrimoine littéraire québécois. Artisanale sous  sa forme embryonnaire, l’Hexagone devient rapidement vectrice d’une poésie nationale,  farouchement indépendante de la poésie canadienne-anglaise bien qu’héritière de celle qui  naît autrefois outre-mer (2) en France, berceau de la francophonie, pareillement dénommée  «l’Hexagone» du fait de sa réalité géographique.  

François Dumont, professeur au département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, met adroitement en exergue cette étroite relation entre la poésie hexagonale et la genèse de la littérature de la patrie:  

L'histoire de l'Hexagone est donc capitale dans le processus constitutif d'une  littérature nationale au Québec. Une relation nouvelle entre littérature et « société  nationale » s'est d'abord difficilement créée, relation ayant ceci de neuf que  l'autonomisation de la littérature s'y réconciliait avec l'autonomisation de la nation :  la littérature québécoise pouvait, enfin, à la fois être une forme et être fondée.  L'espace était positivement nommé : une cosmogonie collective avait eu lieu, au  moins dans l'imaginaire. L'intertexte national n'était plus seulement folklorique, il  était aussi littéraire, et il appelait une suite... (3)

L’Hexagone se veut ainsi le remède à la carence pathologique en littérature commune qui précède sa naissance, le porte-voix de l’idéal national que convoite Miron et pour lequel il milite. Nul ne peut l’exprimer avec autant d’à-propos que l’auteur lui-même :

C’est en poussant jusqu’à ses conséquences logiques mon socialisme, et par les études d’analyse sur notre société, que je concevais maintenant l’indépendance non plus seulement sur les plans de l’ontologie et du langage, mais sur le plan politique. […] Mon engagement devait se traduire par des gestes de pair avec mon action en littérature et en édition […] (4).

La plume de Miron – poèmes comme essais – et son travail d’édition forment certes  l’emblème tangible et concrète de son très vaste héritage à la culture, voire à la société québécoise, mais jamais ils ne font cavalier seul, sempiternellement flanqués de l’action  politique de celui qui la manie. 

En 1967, il joint sa voix à celle d’un bon nombre de personnalités en se portant à la  défense de Pierre Vallières et Charles Gagnon, prisonniers politiques québécois détenus à  New York à la suite d’une manifestation pacifique devant l’édifice des Nations Unies (5). 

Peu après, en mai 1968, il organise, avec Pauline Julien, le spectacle « Chansons et  poèmes de la résistance », événement s’inscrivant dans la même lignée de défense des  prisonniers politiques (6).

En 1970, avec d’autres grands noms de la littérature du Québec, comme Michèle  Lalonde, Denis Vanier, Claude Gaudreau et Gérald Godin, il prend part à la mémorable Nuit de la poésie, dont il est l’un des principaux architectes. Quelques mois plus tard, il est arbitrairement arrêté et inexplicablement jeté en prison lors de la tristement célèbre crise d’Octobre. D’autres artistes, comme la chanteuse et autrice Julien et son compatriote poète Godin, sont également détenus en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, proclamée par le Parlement fédéral dans la nuit du 16 octobre (7).

Là ne sont que les batailles les plus notables et documentées que mène Miron parallèlement à son travail d’écriture et d’édition. C’est cet amalgame hétérogène mais  fluide et cohérent regroupant action, politique et littérature qui explique comment cet homme de lettres aux débuts modestes et silencieux est parvenu à bâtir la légende du fils  de Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, celui à qui l’on attribue sans s’y méprendre le titre de poète national du Québec.  

La culture est immanente à l’harmonie sociale. Sans elle, le vivre-ensemble est  chimérique et illusoire, voué à se noyer sous le déversement d’un trop-plein d’êtres épars  et désemparés, dénués de points d’ancrage communs. Les rapports entre l’individu et la  culture sont ainsi foncièrement réciproques ; la culture nationale, façonnée par les citoyens  qui composent la patrie, les façonne de même. La dualité sans aspérités de la personnalité du doux combattant est évocatrice de l’impact retentissant que Gaston Miron lègue à la langue, à la culture québécoise et à la nation qui en jouit. De là sourd toute sa force.


(1) Gaston MIRON, « Notes sur le non-poème et le poème », L’homme rapaillé, Montréal, Typo, 1998, p. 134.

(2) François DUMONT, « L’Hexagone et la nationalisation de la poésie québécoise », Voix et Images, 15 (1), p. 94, https://doi.org/10.7202/200819ar.

(3) Id., p. 101.

(4) G. MIRON, op. cit., p. 202.

(5) Jean-Philippe WARREN, « À la défense des prisonniers politiques québécois : Autour du Comité d’aide au Groupe Vallières-Gagnon » Bulletin d’histoire politique, 19 (2), p. 55, https://doi.org/10.7202/1054890ar.

(6) Ibid., p. 56.

(7) RADIO-CANADA, « La Loi sur les mesures de guerre, 40 ans plus tard », Radio-Canada, 16 octobre 2010, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/490462/octobre-1970-loi (Consulté le 20 octobre 2020).