L’héritage de Joyce Echaquan
Par Kevin Garneau, publié le 31 mai 2021
Crédit photo : Dominique Gobeil
Concours | « Après, c’est nous qui payons pour ça. » Le 28 septembre 2020, voilà certains des mots qui ont accompagné Joyce Echaquan, dans un souffle de racisme et de haine, vers la mort (1). Le traitement prodigué à la mère de famille peu de temps avant sa mort va transformer profondément la société québécoise. Depuis cet évènement, la société québécoise a pris acte de la problématique, elle a tenté de la qualifier, elle agit sur celle-ci et elle n’entend pas s’arrêter là.
Ainsi, la nécessaire et vive discussion collective sur le racisme que nous tenions depuis que tous ont entendu le gravissime « I can’t breathe » de George Floyd (2), mourant sous le genou du policier qui le dépossédait de sa vie, a pris un tournant à la suite de la parution de la vidéo-vérité de Joyce Echaquan. L’inacceptable ne se déroulait pas seulement ailleurs. L’inhumanité faisait partie de nous. Les revendications des manifestants qui, au printemps, défilaient dans les rues s’opposant à l’idéologie qu’est le racisme (3) devenaient nos revendications collectives. Ces gens, solidaires à travers le monde, incluant dans plusieurs villes québécoises, sensibilisaient les politiciens à l’urgence d’agir à l’égard du racisme depuis des mois. Maintenant, la situation, ici, était devenue urgente.
Crédit photo : Dominique Gobeil
Les phrases prononcées par les employées à l’égard de la jeune femme atikamekw contiennent le problème tout entier. Plus destructrices que celui qui les prononce peut le croire, ces paroles sont aussi plus répandues qu’une collectivité est prête à se l’avouer. Le racisme est sournois. Il peut se glisser dans nos paroles, dans nos gestes, dans nos actions et dans nos réactions. Cette idéologie trouve sa source bien plus profondément que dans de simples actes isolés identifiables et condamnables. La gravité des propos racistes des employées réside dans le fait que nous entendons des propos semblables régulièrement et que nous les tolérons dans un silence destructeur de cultures et d’identités.
Pour l’impact qu’elle a eu et qu’elle aura, la mort de Joyce Echaquan est l’évènement marquant de la dernière année. Le constat est indéniable. L’histoire s’est répétée au sein de nos institutions, ici, au Québec. Depuis sa mort, le retour en arrière est devenu impossible. La mort de Joyce Echaquan est devenue la prise de conscience nécessaire de la société québécoise.
Les phrases prononcées à l’égard de la jeune femme atikamekw sont le nœud du problème. La gravité des propos réside surtout dans le fait que nous nous sommes entendus. La problématique est tellement complexe que sa qualification a divisé. Racisme systémique pour certains. Discrimination systémique, racisme d’état, racisme politique, racisme institutionnel pour d’autres. Elle est tellement complexe que la controverse autour de ce qui est devenu « le mot en N »(4) semble se perdre dans les chambres d’échos.
L’évènement est marquant, car le constat est unanime. Il faut agir. La population s’attend à ce que beaucoup plus soit fait. Fait marquant, la politique réagit. Le Groupe d’action contre le racisme a produit un rapport le 14 décembre dernier (5). Un changement majeur au poste de ministre responsable des Affaires autochtones a été fait (6). À Montréal, une première commissaire à la lutte contre le racisme a été nommée (7). Ce sont quelques exemples de ce qui n’est qu’un début. Le statu quo est devenu inacceptable tout comme la mise en œuvre de seulement deux des 142 mesures proposées dans rapport de la commission Viens (8). Car, maintenant, nous en parlons sans nous aveugler. L’aboutissement du dialogue sera que la personne qui regarde supérieurement une autre personne ou l’individu qui, inconsciemment, agit sur les relents de cette idéologie de supériorité des races ne le fera plus dans un silence nocif de tolérance. Quelqu’un dénoncera et redonnera son humanité à celui qui s’en fait déposséder.
Crédit photo : Dominique Gobeil
La prise de conscience collective aura ses effets. Bientôt, nous nommerons les communautés. Nous pourrons identifier des modèles provenant de chacune des communautés sans avoir besoin de faire des recherches approfondies sur les moteurs de recherche. La diversité dans les médias permettra à chacun de s’identifier à des personnes qui apportent à leur société.
« Lutter contre le racisme est vain si on n’éclaire pas les effets de l’oppression exercée par la culture dominante, oppression qui atteint les communautés, le politique et la culture, mais aussi l’être psychologique » Préface d’Alice Cherki – Les damnés de la terre
La mort de Joyce Echaquan était la pierre angulaire d’une prise de conscience collective. La société tire des leçons des évènements qui la marquent, qui la grafignent et qui révèlent ses parts d’ombre. L’impact se trouve dans la somme. Joyce Echaquan était l’être humain de trop qui a été dépossédé de son corps et de son identité sous l’arme destructrice du racisme.
Notes
(1) Magdaline BOUTROS et Alexis RIOPEL, « Morte sous les insultes racistes d’une infirmière », Le Devoir, 30 septembre 2020, [En ligne], [<https://www.ledevoir.com/societe/586901/morte-sous-les-insultes-racistes-d-une-infirmiere>]
(2) Maanvi SINGH, « George Floyd told officers 'I can't breathe' more than 20 times, transcripts show », The Guardian, 9 juillet 2020, [En ligne], [<https://www.theguardian.com/us-news/2020/jul/08/george-floyd-police-killing-transcript-i-cant-breathe>]
(3) Nicolas BÉRUBÉ, « https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2020-06-07/manifestation-monstre-contre-le-racisme-a-montreal », La Presse, 7 juin 2020, [En ligne], [<https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2020-06-07/manifestation-monstre-contre-le-racisme-a-montreal>]
(4) RADIO-CANADA, « Mot en n : la sortie du recteur Frémont décriée par des enseignants et étudiants », Radio-Canada, 14 février 2021, [En ligne], [<https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1770821/mot-en-n-enseignement-liberte-academique-racisme>]
(5) QUÉBEC, GROUPE D’ACTION CONTRE LE RACISME, Le racisme au Québec : tolérance zéro. Rapport du groupe d’action contre le racisme, Québec, 14 décembre 2020, [En ligne], [<https://www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/groupe-action-contre-racisme/>]
(6) Marie-Michèle SIOUI, « Ian Lafrenière devient ministre responsable des Affaires autochtones », Le Devoir, 10 octobre 2020, [En ligne], [<https://www.ledevoir.com/politique/quebec/587588/ian-lafreniere-sera-nomme-ministre-responsable-des-affaires-autochtones>]
(7) Jeanne CORRIVEAU, « Bochra Manaï, première commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal », Le Devoir, 14 janvier 2021, [En ligne], [<https://www.ledevoir.com/politique/montreal/593223/bochra-manai-nommee-commissaire-a-la-lutte-contre-le-racisme-a-montreal>]
(8) Jean-Benoit NADEAU, « Joyce Echaquan : La preuve ultime», Le Devoir, 2 décembre 2020, [En ligne], [<https://lactualite.com/societe/joyce-echaquan-la-preuve-ultime/>]