Une plongée sublime au cœur du Pekuakami

Kukum par Michel Jean

Par Marc-Antoine Bolduc, publié le 24 mai 2021

Crédit photo : Dominique Gobeil

Crédit photo : Dominique Gobeil

CHRONIQUE LITTÉRAIRE | Depuis un moment déjà, le livre Kukum (1) figurait sur la liste de mes envies de lecture. Je m’y suis finalement affairé dans le cadre du cercle de lecture des étudiants du baccalauréat. C’est en étant tout à fait subjugué que j’ai tourné la dernière page de ce bijou de littérature autochtone. 

Kukum, paru en 2019 aux éditions Libre Expression, est l’œuvre de l’auteur et journaliste innu Michel Jean. Lauréat notamment du Prix littéraire France-Québec, Kukum raconte l’histoire d’Almanda Siméon, une jeune fille allochtone vivant sur une terre agricole de Saint-Prime. Elle fera la rencontre de Thomas, un jeune innu qu’elle épousera et qui la mènera dans une vie fascinante de voyages entre le Pekuakami et la Péribonka. Le récit prend place à l’époque où les Innus étaient un peuple nomade qui parcourait le territoire au fil des saisons. Rapidement, Almanda apprivoisera le savoir innu et deviendra membre à part entière de cette nation riche en histoires et en connaissances. 

Par-dessus tout, Kukum, c’est un regard différent sur la région du Saguenay-Lac-St-Jean. C’est une écriture magnifique qui n’a d’égal que la beauté du Pekuakami (lac St-Jean), mais avant toute chose, c’est le portrait de l’histoire méconnue des Innus du Nitassinan et de la colonisation du Saguenay-Lac-St-Jean. 

Dès les premières pages, le Pekuakami est mis à l’honneur. En effet, Almanda Siméon, narratrice et personnage principal du récit, convainc le lecteur de son attachement à ce lac majestueux. À ce titre, le lac sera un thème récurrent et mis en relief par la poésie de l’auteur. En effet, étant un récit plutôt court, l’histoire, dans Kukum, est présentée de manière limpide, mais comprenant ici et là des passages imagés permettant de saisir toute la beauté du territoire.

 En guise d’illustration, dès le début du livre, en page 11, la narratrice, à propos du Pekuakami, s’exprime ainsi : « Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleue selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. ». 

Plus tard, à la page 56, l’auteur ira d’images tout aussi magnifiques : « Le soleil déclinant embrasait peu à peu le ciel et la fraîcheur de la nuit se répandait sur Nitassinan, dispersant des parfums de terre. J’ai toujours aimé ce moment où la lumière et l’obscurité se tutoient, où le temps hésite. ». Ainsi, Kukum, c’est une écriture sublime dans la forme, qui sert à merveille l’illustration d’une région splendide.

D’autre part, le récit d’Almanda présente la région du Lac-Saint-Jean sous un angle tout à fait inusité. Le lecteur ne fait plus que lire à propos de cette région, il la parcourt. À travers des péripéties mettant en lumière le savoir ancestral des Innus, lire Kukum, c’est vivre le territoire. Pour les gens de la région, le lac Saint-Jean tout comme la rivière Péribonka sont des cours d’eau connus, mais qui ne sont pas reliés au cycle même de l’existence tel qu’il en fut le cas pour les Innus à une certaine époque. À ce propos, l’histoire prend place à l’époque d’une véritable rupture dans le mode de vie des Innus. En effet, les derniers chapitres sont consacrés à une abrupte illustration de la confrontation entre le développement économique de la région du lac St-Jean et le mode de vie nomade des Innus. À un certain stade, le livre permet au lecteur de mieux comprendre les impacts de la sédentarisation forcée, le côté pervers de l’exploitation forestière et de l’élaboration de la drave et des barrages. 

Également, des passages du livre font état des pensionnats et des traumatismes qui s’en sont suivis. La lecture de Kukum permet de mieux comprendre l’histoire récente et de jeter un regard critique sur les grands projets ayant fait de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean ce qu’elle est aujourd’hui. C’est de façon malheureuse que le lecteur est amené à réaliser qui sont les grands oubliés de ce que certains ont appelé « le progrès ». 

À ce titre, à la page 169, la narratrice s’exprime ainsi : « Le bois alimentait les usines de pâte à papier et les scieries. Elles fournissaient du travail aux colons. Le progrès était enfin arrivé. Ainsi, les gens le croyaient-ils. Mais la vie est un cercle. Le temps se chargerait de le leur rappeler un jour ». Ce passage, abordant l’idée du progrès, ne le fait pas sans une touche d’espoir et c’est d’ailleurs un sentiment omniprésent dans Kukum. En effet, les Innus, percevant plusieurs aspects de la vie de manière cyclique, persistent sur la voie de l’espoir et cet extrait le montre bien. 

Avec ce livre, Michel Jean signe un hommage à la vie de sa kukum, de son arrière-grand-mère, il magnifie le territoire jeannois de par la poésie de son écriture et il offre au lecteur un éclairage nouveau sur l’histoire et certains défis qui restent toujours d’actualité.

Notes

[1] Michel Jean, Kukum, Libre Expression, 2019.