La face cachée de la recherche scientifique

Par Lisa Say

Crédit photo : Canva

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REPORTAGE | Le Siècle des Lumières a ouvert la voie à la science. De Pythagore à Einstein, en passant par Galilée et Curie, les découvertes du monde scientifique ont révolutionné les champs du savoir ainsi que notre conception du monde. Pourtant, depuis 1980, on assiste à une intensification des cas de fraude scientifique.

Bien qu'ayant toujours existé (Ptolémée avait d'ailleurs été accusé de plagier son prédécesseur, Hipparque de Rhodes, pour ses cartes du ciel tandis que Newton aurait manipulé un coefficient de correction dans ses travaux de recherche afin que sa théorie de la gravitation soit plus plausible), ce phénomène remet en question le fondement même de la science, à savoir, la rigueur.

La fraude aux nombreux visages

La fraude scientifique peut prendre plusieurs formes: du plagiat pur à la manipulation de données, voire à la falsification complète de celles-ci. C’est loin d'être un phénomène isolé en sciences de la santé; en effet, elles comptent pour 52% des cas de fraude et s’étendent aussi aux sciences pures et aux sciences sociales, avec respectivement 26% et 22% des cas ( 1 ).

Quelques cas de fraude scientifique sont bien connus. Par exemple, au début des années 2000, le jeune physicien allemand Jan Hendrik Schön était reconnu mondialement comme l’étoile montante dans le domaine des nanotechnologies. Or, des chercheurs ont tenté de reproduire ses expériences sur les transistors moléculaires, sans succès. Après une enquête, en septembre 2002, il fut dévoilé que 16 des 24 cas de fraude allégués contre lui s’étaient avérés. Ses articles ont été rétractés des journaux dans lesquels ils avaient été publiés et il a été déchu de son doctorat ( 2 ).

D'autres n'hésitent pas à violer les principes mêmes de la moralité humaine pour le capital symbolique de la notoriété. Le célèbre cas du chirurgien Paolo Macchiarini en témoigne. En effet, ce médecin spécialiste dans la chirurgie trachéale avait effectué des interventions auprès de ses patients en leur greffant des trachées de plastique recouvertes de cellules souches, et ce, sans leur consentement. Sept des huit patients ont ainsi péri, des morts qu’il a camouflées en publiant des articles à leur sujet.

Démission, honte, poursuites

Les chercheurs qui font l’objet des affreux scandales de fraude sont, pour la plupart, des personnalités de renom dans leur domaine scientifique respectif. En ce sens, leur recherche a une portée immense, qu’elle porte sur la vie des patients atteints d’une maladie grave ou sur un mystère de l’univers. Or, en falsifiant leurs données, ces chercheurs donnent de faux espoirs à la recherche. Au-delà des poursuites judiciaires, ce sont donc des conséquences graves sur la santé humaine qui sont observées, surtout que les cas de fraude scientifique ont, en grande partie, lieu dans le domaine biomédical.

La plupart des patients qui subissent les traitements expérimentaux lors d’essais cliniques le font parce que les conclusions des recherches leur vendent l’idée que leur maladie peut être guérie. Or, entre 2000 et 2010, aux États-Unis, 6573 patients ont reçu un traitement qui, par la suite, a été rétracté pour fraude ( 3 ). Si dans certains cas, il ne s’agissait que des effets secondaires non voulus, dans d’autres, cela a causé la mort des patients.

Certains chercheurs ont écopé d’une peine en prison pour falsification de données et détournement de fonds pour leur acte répréhensible. C’est notamment le cas de Dong-Pyou Han, un chercheur sur le VIH qui a ajouté des protéines humaines dans du sang de lapin pour faire croire que son vaccin contre le VIH fonctionnait. Il a été condamné à 57 mois de prison et à rembourser 7,2 millions de dollars.

« Publier ou périr »

Dans le milieu de la recherche, cette obligation de publier, et de publier vite, sous peine d’avoir plus de mal à obtenir de nouvelles subventions, pousse constamment les chercheurs à se dépasser afin d’être les premiers à faire avancer leur domaine de savoir. Sous la pression que causent la concurrence des pays émergeants comme la Chine et l’angoisse de ne plus obtenir de financement, afin de se démarquer des autres et ainsi avancer leur carrière ou, à tout le moins, ne pas la perdre, certains chercheurs opteront pour une démarche moins rigoureuse, voire frauduleuse.

L’importance de l’esprit critique

En 1992, afin de combattre la montée de la fraude scientifique, l'Office of Research Integrity fut créé aux États-Unis. Plus près de nous, les Fonds de recherche du Québec ont mis en place une politique sur la conduite responsable en recherche, en 2014, afin de rappeler aux acteurs concernés l'importance de l'intégrité de la recherche ( 4 ). Les universités québécoises se sont elles aussi dotées de ces mêmes règles, mais plutôt que de dénoncer les fraudeurs aux organismes responsables de gérer les allégations, elles préfèrent mener elles-mêmes leur enquête à l’interne – ce qui n’est pas toujours pour le mieux, car les conflits sont alors réglés dans un cadre quasi-informel et moins transparent, puisque le public n’y a aucunement accès.

Dans un monde où la désinformation côtoie le sensationnalisme à grands coups d'encre et de pages web, il importe d'aiguiser son esprit afin de ne pas tomber dans le panneau. Si, pour le lecteur novice, l'information provenant d'une source donnée semble véridique, le lecteur plus aguerri, lui, devra faire attention à ce que l'information qu'il relaie, par le biais d'un partage Facebook ou d'une citation dans un travail académique, soit vraie. Sans douter jusqu’à remettre en question l'existence même de l'être, comme l'avait fait Descartes, se poser quelques questions sur l'article que nous lisons ou, simplement, avoir le réflexe de vérifier l’information auprès de deux ou trois autres sources peut être un bon réflexe de citoyen averti. Cette curiosité et cette rigueur ne peuvent qu'être bénéfiques.

Sources

( 1 ) GRAVEL, Pauline. De Ptolémée à Newton et Poisson - Des scientifiques moins rigoureux que leur discipline, dans Le Devoir, 16 novembre 2002 [https://www.ledevoir.com/societe/science/13561/de-ptolemee-a-newton-et-poisson-des-scientifiques-moins-rigoureux-que-leur-discipline]

( 2 ) PIGENET, Yaroslav. Sept cas célèbres de scientifiques accusés de fraude, dans Le Journal CNRS. 3 décembre 2014. [https://lejournal.cnrs.fr/articles/sept-cas-celebres-de-scientifiques-accuses-de-fraude]

( 3 ) CHEVASSUS-au-LOUIS, Nicolas. Fraude scientifique dans Encyclopédie Universalis. [https://universalis-bdeb.proxy.collecto.ca/encyclopedie/fraude-scientifique/]

( 4 ) MALBOEUF, Marie-Claude. Fraudes scientifiques: des secrets universitaires bien gardés, dans La Presse. 13 septembre 2017. [https://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/201709/13/01-5132801-fraudes-scientifiques-des-secrets-universitaires-bien-gardes.php]

RASKO, John et Carl POWER. Dr Con Man: the rise and fall of a celebrity scientist who fooled almost everyone, dans The Guardian. 1 septembre 2017 [https://www.theguardian.com/science/2017/sep/01/paolo-macchiarini-scientist-surgeon-rise-and-fall]