La fiducie au service de la relève agricole

Par Francesca Lefebvre

Crédit photo : Canva

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REPORTAGE | L’agriculture : un domaine peu connu, mais qui pourtant, nous fournit trois repas par jour. Alors que la société est confrontée à l’étalement urbain et à la spéculation par les groupes d’investissement, il semble que les fiducies d’utilité sociale agricoles (FUSA) soient une perspective d’avenir pour la relève agricole. Le 3 octobre dernier se tenait une conférence donnée par mesdames Catherine Avard, agronome et Me Julie Lebreux, notaire. Voici quelques explications sur cette avenue méconnue, mais bien intéressante.

Qu’est-ce qu’une fiducie? Selon l’article 1260 du Code civil du Québec (C.c.Q.), une fiducie est définie comme « un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, les biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer ». Il existe aussi plusieurs types de fiducies, comme les fiducies « à des fins personnelles, ou à des fins d’utilité privée et sociale » (art. 1266 C.c.Q.). Dans le cas des fiducies d’utilité sociale, elles servent à une communauté « dans un but d’intérêt général » (art. 1270 C.c.Q.).

L’agriculture

Quel est le rapport avec l’agriculture? Les FUSA sont créées par des agriculteurs qui désirent que l’exploitation de leurs terres se poursuive, mais selon certaines conditions qu’ils décident. Par exemple, certains peuvent décider qu’elle soit utilisée uniquement pour l’agriculture biologique, alors que d'autres pourraient exiger que la leur ne soit utilisée qu’à des fins de grandes cultures.

Comme ce type de fiducie est d’utilité sociale, il s’ensuit qu’elle doit servir à la communauté : les FUSA permettent un rapport de proximité entre l’agriculteur et les consommateurs puisqu’elles fournissent de la nourriture aux communautés locales. En outre, elles ont comme objectifs de permettre à la relève de s'établir plus facilement et de protéger le territoire agricole ad vitam æternam. En effet, les fiducies d’utilité sociale agricoles sont bonnes à perpétuité, c’est-à-dire que leur affectation ne peut pas être modifiée (à moins d’un ordre de la Cour dans un cas où l’objectif de la fiducie ne peut plus être poursuivi ou s’il devient trop coûteux de le faire). Elle est insaisissable et il n’est pas possible de la vendre. Ainsi, l’agriculteur s’assure que  son bien sera toujours utilisé pour poursuivre le but qu’il lui a fixé. 

Processus de création

Tout d’abord, l’agriculteur (le constituant) crée la FUSA par un acte notarié dans lequel il détermine l’affectation qu’aura sa terre, soit les conditions à respecter pour son exploitation. Les fiduciaires (personnes en charge d’administrer la fiducie) sont aussi déterminés par cet acte juridique. Ensuite, le constituant vend ou donne sa terre agricole à la FUSA. Il faut comprendre que le terrain est divisé en deux parties superposées distinctes : le tréfonds et la propriété superficiaire. Le tréfonds représente le dessous de la terre arable alors que la propriété superficiaire se compose de la partie cultivable et tout ce qui se trouve dessus (les produits de la récolte et les bâtiments qui peuvent être présents, comme dans le cas d’une ferme laitière). C’est le tréfonds qui est vendu ou donné par le constituant à la FUSA, alors que la propriété superficiaire est vendue, donnée ou louée à un nouvel agriculteur pour lui permettre de l’exploiter par le biais d’une servitude. Lorsque ce dernier  prend sa retraite, il peut vendre sa ferme à une relève, sans avoir à lui vendre le fond de terre à un prix exorbitant. Le cycle se répète indéfiniment, et le terrain conserve la même affectation en tout temps, peu importe qui en tire profit. 

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Les petits « hics »

Les FUSA doivent passer par plusieurs actes notariés et un certain accompagnement doit être disponible pour le constituant tout au long du processus, ce qui engendre des frais. Il peut aussi être difficile de convaincre un producteur de former une FUSA étant donné que sa terre représente souvent son fonds de pension. Puisque les fiducies n’ont pas le financement pour acheter les biens à valeur marchande, cela implique que l’agriculteur doit donner ou vendre sa terre à un prix moindre, une façon de procéder qui n’est pas toujours très alléchante pour lui.  

En terminant, les FUSA s’adressent aux agriculteurs pour qui ce métier est une véritable passion et qui souhaitent voir ce domaine se développer encore longtemps, tout en redonnant à la communauté. Il faut garder en tête que ce ne sont pas tous les pays du monde qui ont la chance d’avoir autant de sols cultivables. Maintenant qu’il y a de plus en plus de bouches à nourrir, l’agriculture est un sujet important qui se doit d’être connu et compris de tous. Par le maintien de la terre à l’état exploitable, c’est non seulement notre indépendance alimentaire, mais aussi notre patrimoine et notre histoire qui sont conservés.