La peur de l’étranger ; pendant de l’ignorance
Par Sirena Reslan Ramadan
OPINION | La peur. Émotion si forte, qui nous envahit, nous maîtrise et nous fige face aux moments les plus importants de notre vie. Émotion dont la composition est un mélange d’angoisse, de crainte, de méfiance ; un obstacle à franchir. Nous y sommes tous confrontés.
Qu’y a-t-il de l’autre côté du mur ?
L’inconnu. Certes, c’est la source première d’où jaillit cette peur, mais nous savons que c’est là que réside une partie de la beauté de la vie. Réussir à gravir une montagne, dont le sommet, quoique bien présent, nous semblait inexistant ou nous paraissait inatteignable.
Et l’étranger ? Qui est-il ? Est-ce celui dont la différence est incontestablement évidente et si flagrante aux yeux de celui qui regarde ? Qui est cet autre se tenant face à nous ? Un simple inconnu, un citoyen d’un pays différent ?
Deux mots. Une expression. Et des conséquences néfastes. La peur de l’étranger ou autre appellation socialement connue ; la xénophobie. Étonnant et troublant à la fois, comment cette expression puisse illustrer tant de mépris, tant de haine et tant d’hostilité à l’égard de celui qui est différent. À l’égard de celui qui nous est étranger. Étranger de par ses valeurs, de par sa culture, de par sa religion, de par sa couleur de peau.
Et que voyons-nous au-delà de cet étranger ? Qu’y a-t-il de l’autre côté de ce mur, de l’autre côté de la frontière ?
Une réalité. Ahurissante, criante, voire alarmante.
Elle représente la vision et imprègne la pensée d’un nombre drastique d’individus, de peuples. Engendre des conflits. Fait des victimes. Laisse des traces, des marques, des stigmates. Nul besoin de nommer cet évènement notoire, fragment de notre histoire, qui a causé la mort de six millions d’individus étrangers, différents de par leur religion.
Déchirante histoire qui se continue, encore aujourd’hui. La scène mondiale est encore témoin d’atrocités, parfois flagrantes, sinon violentes. Quelques événements frappants : 29 janvier 2017, fusillade à la mosquée de Québec ; 21 novembre 2017, attentat dans une mosquée au Nigeria ; 28 octobre 2018, fusillade dans un synagogue à Pittsburgh ; 15 mars 2019, attentat dans deux mosquées en Nouvelle-Zélande ; 21 avril 2019, attentat dans trois églises au Sri Lanka. Quel est le dénominateur commun ? L’étranger. Cet individu autre se trouvant de l’autre côté du mur, de l’autre côté de la frontière.
Et que dire de ces vagues migratoires, grands titres des journaux et première expression tombant sous le coup de la plume du journaliste ? Ces vagues, de plus en plus pressantes, qui affluent tout en provoquant une troublante croissance de l’intolérance marquée par la méfiance et par la haine chez celui qui accueille.
La haine. Ce sentiment violent qui prend naissance, se cultive et s’attise par la propagation de discours politiques racistes et xénophobes. Nous n’avons qu’à regarder ce qui se déroule chez nos voisins du Sud. Toutefois, nul besoin de s’attarder à ce qui se déroule au-delà de nos frontières pour constater ce fort mépris, cette manifeste hostilité envers l’étranger.
Quand celui-ci cogne à la porte, quand il devient plus proche, la peur tend à monter. Il est perçu comme celui qui envahit. Il devient l’intrus. Il devient cet autre. Alors celui se tenant face à lui tend à vouloir prendre ses distances, à construire un mur, à retracer la frontière.
La peur de l’étranger. Mélange de jugement, d’incompréhension et pendant de l’ignorance. Or, nous le savons, cette ignorance nourrit la peur. Cette ignorance a aussi un prix. La violence. Dans la décision grandement controversée rendue sous la plume du juge Huot ; R. c. Bissonnette ( 1 ), on peut y lire le passage suivant : « L’intolérance et le racisme pourrissent notre tissu social » ( 2 ).
Mais, qu’y a-t-il de l’autre côté du mur, de l’autre côté de la frontière, lorsque des valeurs telles que la solidarité et l’ouverture d’esprit sont mises de l’avant ? Lorsqu’on accorde davantage d’importance à la compréhension plutôt qu’au jugement de l’autre ? Que voyons-nous au-delà de cet étranger ?
Un être humain.
Certes, ne l’oublions pas, « être, c’est être différent » ( 3 ). Mais, n’est-ce pas là que réside la beauté de l’humanité ?
( 1 ) R. c. Bissonnette, 2019 QCCS 354
( 2 ) Id., par. 1201.
( 3 ) MEMMI A., « Le racisme », Paris, Gallimard, 1994.