L’art de se rebeller, un livre à la fois

Par Kevin Garneau, publié le 16 novembre 2020

Crédit photo :@anniespratt

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DOSSIER ARTS ET CULTURE | J’ai le fantasme de voir un professeur qui, une semaine, plutôt que d’inonder ses étudiants de lectures de droit déciderait de donner un roman à lire. Plus encore (c’est mon fantasme ici, j’en fais ce que je veux), il déciderait d’aborder l’œuvre avec ses étudiants pour le plaisir. Bref, j’aimerais voir un professeur aller à contre-courant et appliquer quelques-unes des recommandations du célèbre essai Comme un roman de Daniel Pennac (1).

« Notre savoir, notre scolarité, notre carrière, notre vie sociale sont une chose. Notre intimité de lecteur, notre culture en sont une autre. Il est bien et bon de fabriquer des bacheliers […], la société en redemande, cela ne se discute pas… mais combien plus essentiel d’ouvrir à tous les pages de tous les livres. » Daniel Pennac - Comme un roman

En tenant compte du fait que l’activité de lire pour le plaisir aide à réduire le stress (alors que la détresse psychologique des étudiants est une problématique majeure et répandue (3) et les solutions au problème trop individuelles), à augmenter les connaissances, à développer le vocabulaire et les habiletés écrites en plus d’améliorer la concentration (4) dans notre monde où l’on donne notre concentration au GAFA, ce fantasme n’est pas qu’une chimère. Si l'on ajoute aux faits qu’elle développe l’autonomie de réflexion, l’indépendance d’esprit, nos intérêts personnels et qu’elle peut nous amener à prendre des décisions importantes pour nos vies et nos carrières. On peut commencer à argumenter que ça devient vital.

Est-ce qu’il y aurait un réel désavantage à prendre une semaine, en groupe, pour permettre à l’humain de se construire dans le lieu par excellence pour s’y faire, l’université?

« On est sans doute un peu plus « humain », entendons par là un peu plus solidaire de l’espèce (un peu moins « fauve ») après avoir lu Tchekov qu’avant. » Daniel Pennac - Comme un roman

Il faudrait vraiment revaloriser la lecture, qui est sacralisée dans notre société, mais qui, vraisemblablement, est quasi inexistante. En abandonnant la lecture, on met en veilleuse notre capacité à ressentir et nos capacités de réfléchir, de se poser des questions, de critiquer et d’analyser. C’est une partie de notre humanité qui en souffre.

Mettre de côté la lecture, ce n’est pas propre au droit. Lors du long confinement du printemps dernier, à l’époque où la tendance était à faire son propre pain, quelqu’un a entendu parler de lecture? Si peu, à mon avis. Pourtant, plusieurs remettaient en question leur façon de vivre, de consommer, d’entrer en contact avec les autres. Les livres ont des suggestions. Justement, j’aurais un ou deux livres à vous recommander (6)!

La lecture est devenue un acte de résistance. Un étudiant en droit qui lit un roman plutôt que de se perdre dans les centaines de pages de doctrine ne peut qu’être un rebelle qui résiste aux contingences. Un insoumis dans notre monde du « je n’ai pas le temps » où le danger d’être englouti par le marché de l’attention, qui nous dicte nos façons d’occuper notre temps et nos façons de penser, est bien réel. 

En attendant de voir ce fantasme d’un professeur qui écarte doctrine et jurisprudence au profit d’un livre, je vais espérer croiser de plus en plus d’étudiant(e)s prendre le temps de lire un bouquin bien installé dans le De Koninck lorsqu’on y retournera un de ces jours. Je vais surtout souhaiter que le Cercle des juristes disparus de la Faculté de droit Ulaval prenne l’essor qu’il mérite et qu’on se retrouve tous autour d’un livre, peut-être même à discuter ce savoureux essai sur la lecture remplie de perles de Pennac, l’un de ces quatre.

Si vous me croisez, demandez-moi ce que je lis, question de me rappeler qu’il y a tout aussi important que les lectures scolaires et de m’encourager à ne pas délaisser la richesse qu’est la lecture.


(1) Pennac, D. (1992). Comme un roman.Gallimard.

(2) Id.

(3) Couzon, N.La détresse psychologique des étudiants universitaires.Réseau d’information pour la réussite éducative. http://rire.ctreq.qc.ca/2019/02/la-detresse-psychologique-des-etudiants-universitaires/

(4) Winter-Hébert, L. 10 Benefits of Reading : Why You Should Read Every Day.UC Santa Barbara Geography. https://geog.ucsb.edu/10-benefits-of-reading-why-you-should-read-every-day/

(5) D. Pennac, préc., note 1.

(6) Walden de David Henry Thoreau et Into the Wild de Jon Krakauer pour ne nommer que deux ouvrages que j’ai retrouvé dans ma la liste de livres.