L’art d’apprendre ou apprendre par l’art : un débat pédagogique perpétuel ?
Par Jordan Mayer
DOSSIER ARTS ET CULTURE | La réforme ou « renouveau » pédagogique a été un sujet longtemps débattu aux débuts des années 2000. Partant d’un système scolaire majoritairement axé sur les connaissances académiques, les instances de l’éducation décident de revoir l’apprentissage scolaire sous l’angle de « compétences ». Le programme scolaire québécois classique est réorchestré afin de laisser plus de place aux matières dites essentielles au détriment des matières plus secondaires, dont les arts (1).
Suivant les années 2000, peu de changements sont apportés au programme scolaire. Le cours de Monde contemporain s’est vu recomposé pour inclure des notions d’économie. Plus récemment, une réforme du cours d’Éthique et culture religieuse est mise de l’avant par le gouvernement.
Mais qu’en est-il aujourd’hui? Est-ce que ce modèle des « compétences » a fait ses preuves? Malheureusement, cette approche est peut-être à revisiter et sa réelle portée est incertaine. Est-ce que la clé de la réponse se trouve dans le fait de redonner aux matières plus secondaires leurs lettres de noblesse?
Au courant de cette réflexion, j’aborderai la question de la place qu’occupe la musique en milieu scolaire.
Bienfaits de la musique
La musique, bien qu’encore certains persistent à nier ses bienfaits, permet l’amélioration d’une multitude de facettes chez un individu, dont l’attention, l’inhibition, la mémoire et les aptitudes langagières pour ne nommer que celles-là (2). Des études tendent à démontrer que plusieurs aspects de la musique sollicitent les deux hémisphères de notre cerveau : le côté droit analyse la hauteur et la fréquence des notes ainsi que le rythme, tandis que le côté gauche coordonne les mouvements permettant de jouer d’un instrument. Également, plusieurs autres composantes du cerveau entrent en scène lors de l’écoute ou de la prestation musicale (3). Autrement dit, lorsqu’un musicien pratique, son cerveau est le maître d’orchestre d’une véritable symphonie synaptique!
Fausses notes du système de l’éducation
Comme souligné précédemment, la réforme des années 2000 fait passer le système scolaire québécois d’une évaluation stricte des connaissances à celles des compétences. Le programme de formation scolaire québécois vise ainsi le développement de compétences disciplinaires (touchant à des matières précises) et transversales (touchant à une étendue de compétences pluridisciplinaires). Il est paradoxal et étonnant de constater que des priorités telles le « rehaussement culturel » et la bonification des heures « [d’] enseigne[ment] des matières essentielles » comme le français et l’histoire aillent de pair dans la réforme pédagogique. Y a-t-il dissonance?
Maintenant, serait-ce pertinent de laisser plus de place aux arts si elles permettent de réelles avancées dans les matières « essentielles » comme le mentionne le programme? Une étude met en lumière les réels effets bénéfiques de combiner la musique et l’écriture pour l’apprentissage de l’orthographe, par exemple (5). L’idée serait peut-être envisageable, considérant que les résultats en français des élèves québécois ont même diminué depuis que plus d’heures de cette matière sont ajoutées au programme (6). L’apprentissage des matières essentielles combinée aux matières secondaires serait, selon moi, joindre l’utile à l’agréable. Ce serait une sorte de compromis, une nuance aux extrémités.
Difficile structuration des programmes d’arts en milieu scolaire
Actuellement, plusieurs problèmes sont rencontrés par les disciplines artistiques en milieu scolaire. Le programme scolaire québécois est généralement imprécis sur les conditions d’enseignement de la musique, notamment. Aussi, un amalgame de disciplines artistiques (danse, musique, art dramatique et art plastique) et si peu de temps d’enseignement ne favorisent pas la continuité dans l’apprentissage d’une discipline, ce qui rend l’élève souvent mal outillé pour l’atteinte des compétences propres au cours suivi (7). Et ce, c’est sans oublier que les arts sont essentiels à l’obtention du diplôme d’études secondaires…
Décrochage scolaire
Finalement, la sphère politique s’est peu manifestée pour réformer le domaine de l’éducation récemment. La campagne électorale provinciale de 2018 a été évocatrice sur ce point, les partis politiques nous comparant à nos voisins ontariens afin de proposer des mesures ponctuelles, tout en faisant silence sur un changement de fond (8). Pourtant, bien que les chiffres en termes de décrochage scolaire aient été mis à jour en faveur du Québec, le portrait est loin d’être enchanteur (9). Serait-ce le temps d’amorcer une réflexion plus profonde sur la question? Le fond de la réforme des années 2000 n’est pas que mauvais, mais celle-ci pourrait être adaptée selon les études qui font maintenant preuve en la matière. Elle pourrait faire place à plus d’harmonie.
Adaptations covidiennes
Peu de temps avant la rentrée automnale, plusieurs associations composées de musiciens et d’enseignants en musique envoyaient un cri d’alarme au ministre de l’Éducation M. Roberge afin qu’il envoie un message clair pour le maintien de la musique au programme scolaire. Actuellement, la décision de garder ou non la musique au programme est entre les mains des directions d’école, et certaines semblent supprimer les cours sans consulter les parties intéressées. Les associations demandent une certaine uniformisation des consignes entre la Direction de la santé publique, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et le ministère de la l’Éducation « pour permettre une reprise harmonieuse, réaliste et égalitaire de l’enseignement musical ». Espérons que ce ne soit pas un chant du cygne mais bien la transition vers un nouveau mouvement (10).
Et pour l’avenir?
Comme enfants issus nous-mêmes de la réforme pédagogique des années 2000, notre génération aura certainement pour mandat futur sa modernisation. Chose certaine, une nouvelle réforme du programme scolaire québécois portera probablement une partie de sa réflexion sur la présence des arts au sein des institutions scolaires. Je pense qu’il est possible de mettre au diapason les matières essentielles et secondaires. D’ici là, j’aime penser que nous choisirons comme société de rendre plus structurée et accessible cette formation si enrichissante.
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(1) Gérard Guimont, « La réforme de l’éducation et le renouveau pédagogique au Québec : les faits saillants », (2009) 22-3 Pédagogie Collégiale 29‑34, en ligne : <http://aqpc.qc.ca/sites/default/files/revue/guimont_22_3.pdf>.
(2) Jonathan Bolduc, « Oui, faire de la musique aide les enfants à apprendre », La Presse, sect. Débats (2 mars 2020), en ligne : <https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202003/01/01-5263008-oui-faire-de-la-musique-aide-les-enfants-a-apprendre.php>.
(3) Michel Rochon, « Le «cerveau musical» », Le Soleil (14 octobre 2018), en ligne : <https://www.lesoleil.com/actualite/science/le-cerveau-musical-554d464339d851f97a16f5362af04292>.
(4) Préc., note 1.
(5) Véronique Gaboury, Natalie Lavoie, Andrée Lessard et Jonathan Bolduc, « Combiner musique et écriture pour l’apprentissage de l’orthographe », (2015) 56 Lang. Prat. 23‑32, en ligne : <http://www.mus-alpha.com/upload/LP56GabouryEtAl..pdf>.
(6) « Une étude met en lumière les ratés de la réforme scolaire », Radio-Canada (4 février 2015), en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/705319/reforme-scolaire-echec-secondaire-etude-universitelaval>.
(7) Émile Corriveau, « Programmes scolaires - La musique, une fausse note à l’école ? », Le Devoir, sect. Société (14 novembre 2009), en ligne : <https://www.ledevoir.com/societe/education/276982/programmes-scolaires-la-musique-une-fausse-note-a-l-ecole>.
(8) Daphnée Dion-Viens, « Les partis livrent leurs solutions au décrochage scolaire », TVA Nouvelles (4 septembre 2018), en ligne : <https://www.tvanouvelles.ca/2018/09/04/les-partis-livrent-leurs-solutions-au-decrochage-scolaire>.
(9) Francis Vailles, « Bonnes et mauvaises nouvelles sur le décrochage », La Presse, sect. Éducation, en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/education/202001/23/01-5258060-bonnes-et-mauvaises-nouvelles-sur-le-decrochage.php>.
(10) Philippe Papineau, « «Un message fort» demandé pour le maintien des cours de musique », Le Devoir (7 juillet 2020), en ligne : <https://www.ledevoir.com/culture/musique/582017/coronavirus-un-message-fort-demande-pour-le-maintien-des-cours-de-musique> (consulté le 20 octobre 2020).