L’art des droits

Par Francesca Lefebvre

Crédit photo : Randy Fath

Crédit photo : Randy Fath

DOSSIER ARTS ET CULTURE | Quoi de mieux pour rédiger cet article sur les arts et la culture qu’écouter un peu de musique (ça fera changement des cours en ligne!)? Je trouve assez surprenant qu’il existe des millions de chansons, à peu près toutes différentes les unes des autres. Même chose pour les films, séries télévisées, peintures, pièces de théâtre, livres et j’en passe! À quoi devons-nous cette éternelle créativité de l’esprit humain? La protection que procure le droit d’auteur y est certainement pour quelque chose : empêchés de copier, les artistes en tout genre n’ont d’autre choix que de continuer de créer. Ce droit gagne donc tout à être connu, du moins autant que les œuvres auxquelles il donne vie d’une certaine façon. Je tiens toutefois à vous informer qu’il s’agit ici des lignes directrices de base sur le droit d’auteur et elles ne s’appliquent donc pas spécifiquement à tous les domaines de la même façon.

Historique et objectif de la protection 

Au Canada, le droit d’auteur est de compétence fédérale, suivant l’article 91 (23) de la Loi constitutionnelle de 1867 (1) et est régi par la Loi sur le droit d’auteur (2). Cette loi est assez complète, protégeant pratiquement tout ce qui peut être créé par un artiste, dans tous les sens possibles : à son article 2, on retrouve les définitions pour les termes « artiste-interprète », « livre », « œuvre architecturale », « œuvre artistique », « œuvre chorégraphique » et plusieurs autres!L’article 3 définit l’objet du droit d’auteur, soit que seul le titulaire de ce droit peut, dépendamment des cas, produire ou reproduire une partie de l’œuvre ou sa totalité, la transformer, la distribuer, etc.

Crédit photo : Jeremy Yappy

Crédit photo : Jeremy Yappy

Obtention du droit pour l’œuvre et son auteur

D’abord, il faut que l’œuvre en question puisse être protégée. Cela est possible, suivant l’article 5(1), de trois façons différentes : 

  • Pour « toute œuvre publiée ou non » lorsque « l’auteur était, à la date de [la création de l’œuvre], citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire » ;

  • Pour les œuvres cinématographiques, comporte les mêmes critères que ceux énoncés précédemment, mais en remplaçant « l’auteur » par « le producteur » et en ajoutant le « siège social » comme possibilité d’appartenance au pays signataire ; 

  • Finalement, traitant du cas d’une œuvre publiée, si (i) une quantité suffisante de cette œuvre est mise à la disposition du public dans un pays signataire ou (ii) pour une œuvre architecturale, si elle se trouve dans un pays signataire. 

Deux spécifications importantes doivent être apportées, soit ce qu’est un « pays signataire » et ce qu’est « une œuvre publiée ». Dans le premier cas, il s’agit d’un pays partie à une des conventions ou traité suivants, soit la Convention de Berne (3), la Convention universelle (4) ou le traité de l’OMPI (5) (traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), ou un pays membre de l’OMC (6). Ensuite, tel que rapporté par Le guide du droit d’auteur, « [l]e terme publication désigne la mise à la disposition du public d'exemplaires d'une œuvre ; l'édification d'une œuvre architecturale […] et l'incorporation d'une œuvre artistique à une œuvre architecturale » (7). Il est aussi possible d’étendre la protection conférée par le droit d’auteur à un pays non signataire si le ministre publie un avis dans la Gazette du Canada (8).

Ensuite, qui est le titulaire du droit? Suivant l’article 13(1), le droit appartient à son auteur. Par contre, une œuvre réalisée dans le contexte d’un emploi pourra être la propriété de l’employeur et non du véritable auteur « à moins de stipulation contraire ». En ce qui concerne les articles « ou une autre contribution », c’est l’inverse, c’est-à-dire que l’auteur qui est titulaire du droit peut choisir ou non de laisser son employeur ou le périodique auquel il compte contribuer bénéficier de son travail. 

Cession 

Crédit photo : clemono

Crédit photo : clemono

Comme tout autre droit, le droit d’auteur est cessible « en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions […] pour la durée complète ou partielle de la protection » (art. 13 para.4). En outre, cette cession ne sera valide que si elle est écrite et signée par le titulaire du droit ou « par son agent dûment autorisé » (9). De plus, les droits cessés sont reconnus comme étant cessés avec les droits d’actions possibles, afin de permettre au cessionnaire de se défendre si jamais son droit est violé (art. 13 para. 6). Finalement, un droit cédé reviendra aux représentants légaux de l’auteur vingt-cinq ans après son décès, ce qui empêche le cessionnaire d’être titulaire à jamais du droit qui lui a été cédé, tel que l’indique l’article 14 paragraphe 1 de la loi. Ainsi, « la réversibilité du droit d’auteur […] est dévolue, à la mort de l’auteur, nonobstant tout arrangement contraire, à ses représentants légaux […] ; toute stipulation conclue par lui concernant la disposition d’un tel droit de réversibilité est nulle » (10). 

Durée de la protection

À la base, le droit d’auteur est valide durant toute la durée de vie du titulaire du droit et prend fin à « la cinquantième année suivant celle de son décès » (11). 

Or, différentes dispositions s’appliquent selon la connaissance de l’auteur – les auteurs pouvant utiliser des pseudonymes ou rester anonymes – ainsi que sa publication. Dans le cas d’une œuvre anonyme non publiée, le droit s’éteint à la fin de la 75e année civile (12) après la date de création;  si l’œuvre est publiée avant la fin des 75 ans, elle profitera d’un 75 ans supplémentaire depuis la date de publication OU jusqu’à ce qu’elle atteigne cent ans depuis sa création (13). Autre exception : si l’identité de l’auteur est révélée durant la protection, ce sera la protection de base (soit toute sa vie puis les 50 premières années suivant son décès) qui deviendra applicable (14). S’il y a une pluralité d’auteurs inconnus, c’est le même principe ( 15 ). Par contre, si l’un ou plusieurs des coauteurs deviennent connus, la règle de base s’applique et le droit expire 50 ans après le décès du dernier auteur connu (16). 

En ce qui concerne les œuvres cinématographiques, suivant l’article 11.1, leur droit survit durant les 70 premières années suivant la création de l’œuvre, à laquelle peut s’additionner une protection de 75 ans suivant la date de publication lorsque l’œuvre est publiée OU jusqu’à ce qu’elle atteigne cent ans depuis sa création. 

Finalement, même la Couronne possède une protection pour ses œuvres! Toute œuvre « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement » lui appartiendra, à moins d’une stipulation contraire avec l’auteur et elle conservera son droit jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant sa première publication (17).  

Succès après le décès

Encore une fois, on s’intéresse beaucoup aux œuvres publiées, mais qu’en est-il de celles qui restent dans l’ombre et dont l’auteur décède? L’article 7 de la loi explique que depuis son entrée en vigueur (soit 1985), l’œuvre, qu’elle soit ou non publiée, reste protégée suivant trois cas différents. Tout d’abord, si l’œuvre a été présentée publiquement avant l’entrée en vigueur de l’article, elle reste protégée durant les cinquante années suivant cette première publication. Le deuxième cas de figure est similaire, à condition toutefois que le décès de l’auteur soit « survenu au cours des cinquante années précédant l’entrée en vigueur ». Finalement, une œuvre qui est ou non publiée après l’entrée en vigueur de l’article ne sera protégée que pour une période supplémentaire de cinq ans si le décès de l’auteur date de plus de cinquante ans avant l’entrée en vigueur. 

Après toutes ces recherches, il n’est pas étonnant que les œuvres fleurissent toujours autant : une protection aussi accrue pour tous et même après le décès des créateurs, ne peut que permettre de stimuler la créativité de n’importe qui, même des cerveaux les plus monotones! N’hésitez pas à créer, chers amis juristes, il s’agit certainement d’un excellent remède contre cette pandémie! 


(1) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-1.html

(2) Loi sur le droit d'auteur, LRC 1985, c C-42, https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-42/index.html

(3) Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (1979) https://www.wipo.int/edocs/lexdocs/treaties/fr/berne/trt_berne_001fr.pdf

(4) Convention universelle sur le droit d’auteur (1952) https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/copyright/120/wipo_pub_120_1952_09.pdf

(5) Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (1996) https://wipolex.wipo.int/fr/text/295159

(6) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2, art. 2.

(7) Le guide du droit d’auteur, https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/h_wr02281.html

(8) Supra, note 2, art. 5(2).

(9) Id., art. 13 (4).

(10) Id., art. 14 (1).

(11) Id., art. 6.

(12) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2.

(13) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2, art. 6.1.

(14) Id., art. 6.1 (2).

(15) Id., art. 6.2 (1).

(16) Id., art. 6.2 (2).

(17) Id., art. 12.