Le droit me fait perdre le Nord: ce que j’ai appris au Nunavik

Par Kevin Garneau, publié le 17 juin 2021

Crédit photo : Kevin Garneau

Crédit photo : Kevin Garneau

RÉFLEXION| En ces temps où, récemment, la démesure d’une vie imposée et effrénée est venue me fragiliser, j’ai décidé de puiser dans les souvenirs de mon expérience à Kangiqsujuaq pour retrouver un peu de sens dans cette course sans fin que représentent les études en droit.

Kangiqsujuaq est l’une des 14 communautés du Nunavik, territoire québécois situé au-delà du 55e parallèle et habité principalement par le peuple inuit. Selon les perspectives, cette région peut paraître loin. Pour certains, le Nunavik est plus dépaysant que voyager en Inde même si on reste au sein de la province. Par son exotisme, sa nordicité et son inaccessibilité, cet endroit fait facilement rêver. Pas de cinéma, pas de restaurant, pas de centre commercial et pas de juriste. Le traineau à chien, les aurores boréales, la cueillette de moules sous la glace, les sorties en ski de fond sur la baie d’Hudson et le camping d’hiver sont des expériences uniques. C’est une destination incroyable pour celui ou celle qui aime l’aventure, la nordicité et le dépaysement.

Pour moi, c’était surtout une grande rencontre. Une rencontre avec une communauté qui a ouvert mes horizons. Une rencontre qui m’a appris l’humilité. Une rencontre qui m’a reconnecté avec mon humanité.

L’une des plus grandes leçons que j’ai reçues provenait d’un adolescent Inuk qui pourrait être un « décrocheur » sur un formulaire du gouvernement. Cet homme, bien qu’adolescent, la vie ayant fait de cette personne un homme à un jeune âge, m’a enseigné sur mes limites et m’a fait prendre conscience de l’apparat de la scolarité. J’étais « enseignant », lui « décrocheur ». Nous nous sommes rencontrés.

Par une belle journée ensoleillée, mon projet était de faire du ski de fond avec les Nurrait (1). Pour pouvoir réaliser mon activité, il fallait me conduire dans le Land jusqu’aux autres skieurs. C’est ce jeune « décrocheur », avec sa motoneige, qui m’a amené. Car, seul, il m’était impossible d’y arriver. Sur le chemin, c’est lui qui m’a appris.

Je ne sais combien de temps a duré le trajet. J’ai oublié le temps pendant ce moment, admiratif de la communion entre cet homme et la nature.

Crédit photo: Kevin Garneau

Crédit photo: Kevin Garneau

Cette nature m’éblouissait chaque jour depuis mon arrivée. Le ciel, à cet endroit, est un tableau digne d’un grand peintre et il émeut par sa beauté. Évidemment, l’aurore boréale, majestueuse, fait figure de sublime lorsqu’elle nous enchante de sa présence. Mais, le Land, indescriptible (2), avec lequel les communautés du Nunavik cohabitent, en soi, est d’une poésie infinie. C’est un espace, plus qu’un lieu. Un espace indescriptible par son côté holistique, par son immensité et par sa force. Au Nunavik, c’était la première fois que je ressentais la nature aussi majestueuse et respectée. Je n’étais qu’un simple homme dans la grandeur du territoire. Mon accompagnateur la parcourait avec une finesse, une confiance et une attention qui me semblait, chez moi, oubliée... depuis longtemps. Il était entièrement dans l’instant, la nature l’exigeait. De mon côté, je ne peux me souvenir de la dernière fois où j’ai été entièrement, véritablement et sincèrement dans le moment. Je ne peux me souvenir de la dernière fois où, naturellement, sans me poser de questions, je pouvais me reposer sur ce que je suis et ce que j’ai appris pour seulement être, en pleine confiance.

Mon conducteur, vif, fort de ses compétences, de ses connaissances et de son savoir appris ailleurs qu’à l’école, me menait avec une assurance déconcertante. Il valsait dans l’infinie blancheur. Il avait appris, du haut de ses 16 ans, à communier avec la nature, à écouter et à être attentif. Le long du trajet, lors d’une pause, il m’expliquait que l’école ce n’était pas pour lui. « Boring », comme disaient si régulièrement les élèves à qui j’enseignais. Il avait appris ailleurs, simplement.

C’est là que ça m’a frappé. Je n’ai pas pris le temps d’apprendre leur langue avant de leur enseigner la mienne. Je n’ai pas pris le temps de les connaître, trop occupé à continuer d’implanter un système d’éducation qui, au Sud, est déjà fissuré. Tout d’un coup, l’école m’est apparue comme un hôtel tout inclus au milieu d’un pays défavorisé rongé par la corruption et la pauvreté. Un mirage fabriqué. Ce jeune homme possédait la culture de son peuple. En tant que visiteur, c’est de lui que je devais apprendre, d’abord. 

Semble-t-il qu’ils sont de plus en rares les jeunes qui font vivre leur culture. Cela est un autre problème. Il semblerait que l’américanisation de la culture affaiblisse une culture que les gouvernements, historiquement, ont déjà minée effroyablement. Un enjeu, vraisemblablement, est de faire vivre et briller cette culture.  C’est une question d’identité.

Crédit photo: Ingrid Laplante

Crédit photo: Ingrid Laplante

Je freine abruptement mon récit ici. J’aimerais attirer votre regard sur un angle précis. Lors de ce séjour, il m’a fallu trop de temps avant de réaliser que je n’avais pas écouté, que je n’avais pas été attentif et que, rempli de bonnes intentions, c’est ma culture que j’ai voulu imposer et mes intérêts que j’ai priorisés. C’était vrai, pour moi, en tant qu'enseignant au Nunavik, mais ce l’est tout autant, pour moi, futur juriste maintenant. À force d'imposer et de se faire imposer une culture, de s'y réfugier, nous réduisons l’espace des possibles. Cela inclut la culture juridique, une culture si nocive qu’elle fragilise ses étudiants. La culture juridique semble oublier que lorsqu’on lève les yeux de la doctrine et de la législation, un monde se déploie.

Ce jeune homme m’a appris qu’il faut défendre les espaces. Quand on manque de temps, on finit par manquer d’humanité (3). Faute d'humanité, ça craque de partout.

 Nakurmik à celui qui aura été mon enseignant le temps d’une balade en motoneige.

Le Nunavik, c’est 14 communautés :

Suggestions de lecture

Coup de cœur : Je veux que les Inuit soient libres de nouveau - Taamusi Qumaq

Markoosie Patsauq – Le harpon du chasseur

Mitiarjuk Nappaaluk – Sanaaq

Sites internet pour découvrir le peuple Inuit:

Les littératures inuites: https://inuit.uqam.ca/

Des perles à découvrir - le peuple Inuit : https://www.youtube.com/watch?v=LpEDTxxur64&t=930s

Article d’une écrivaine qui a vécu au Nunavik : https://beside.media/fr/nouveaux-recits/nuna/

Notes

(1) Des élèves des différentes communautés se retrouvent et participent, chaque année, à une grande expédition et, par un magnifique hasard, cette année-là, les élèves étaient dans les environs de Kangiqsujuaq.

(2) Si j’avais pris le temps d’apprendre l’inuktitut, ce langage qui décrit le territoire avec une précision à faire envier, j’aurais peut-être trouvé les mots pour décrire cet environnement.

(3) Inspirés des propos de Nicolas Lévesque à Plus on est de fous plus on lit! le le 30 mars 2021.[https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/episodes/522323/rattrapage-du-mardi-30-mars-2021]