Le journalisme étudiant à la Faculté de droit
Par Paul-David Chouinard
CHRONIQUE | La première édition de L’étudiant en 1915 marque le début du journalisme étudiant à l’Université Laval. Le journal des étudiants de l’Université Laval s’appellera tour à tour Le Béret, L’Hebdo-Laval et Le Carabin [1]. On notera d’ailleurs au passage que Lucien Bouchard, auparavant étudiant à la Faculté de droit, puis premier ministre du Québec, dirigea Le Carabin dans les années 60.
Ce n’est qu’en 1967 que la Faculté de droit se dote de son propre journal, plus précisément le 14 novembre 1967, date de la première édition du Défenseur. Le choix du nom est tout sauf anodin. Il traduit une volonté de défendre les intérêts des étudiants auprès de la direction de la Faculté. Les différents articles publiés dans le journal sont imprégnés de cet esprit contestataire. Un simple coup d’œil aux titres choisis par les rédacteurs nous permet de comprendre la motivation qui les anime. « Des contemplateurs de nombril », « Des épais à la Faculté de Droit », tels sont les termes utilisés par les auteurs pour décrire certains de leurs confrères et consœurs. Ils n’hésitent pas non plus à critiquer leurs professeurs. « Nous voulons la mort de l’enseignement magistral » peut-on lire sous la rubrique éditoriale. Cette rubrique sera ironiquement la dernière du Défenseur, le manque de ressources et de temps ayant sonné le glas de ce projet audacieux. Quelques mois à peine après le lancement du journal, son directeur, Éric Brisson, décide de tout balancer. Disposant d’un maigre budget annuel de l’ordre de 850$, celui qui porte le journal à bout de bras se refuse de jouer un rôle qu’il qualifie lui-même de « secrétaire abruti » [2].
Il faudra attendre trois ans avant de voir renaître le journalisme étudiant à la Faculté de droit. Cette fois-ci, les étudiants optent pour un nom très évocateur : Le Défonceur. Les rédacteurs du journal veulent faire peau neuve en misant sur un groupe élargi de collaborateurs et en diversifiant le contenu et les sujets abordés. Leur objectif est clair : ils veulent être lus. La présentation colorée du Défonceur offre un contraste saisissant avec son prédécesseur, dont la mise en page se limitait à la transcription d’articles à la machine à écrire. L’expérience du Défonceur dura quelques années (de 1970 à 1973), mais elle ne donna lieu au final qu’à quelques publications dispersées dans le temps.
L’année scolaire 1974-1975 débute sous de meilleurs auspices. « Pourquoi un journal étudiant à la Faculté de droit? » C’est par cette question qu’André Samson commence sa lettre adressée à l’AED le 16 juin 1974. Il faut dire que cet étudiant de 1ère année qui allait devenir par la suite le premier rédacteur en chef du journal Aristide n’avait pas la langue dans sa poche. « Telle est la question scandaleuse que l’indifférent nous crachera au visage, pédant son ignorance pour n’en avoir pas compris le ridicule », poursuit-il dans un langage qui se veut provocant. M. Samson ne manque pas d’argument pour rallier ses confrères à sa cause. Selon lui, un journal offrirait aux étudiants de la Faculté un outil pour développer un esprit critique et un jugement rationnel. Il leur permettrait du même coup d’échanger et de faire valoir leurs idées. « Passons à l’action » [3], conclut-il.
Son souhait sera visiblement exaucé. En effet, le premier exemplaire du journal Aristide est imprimé l’automne suivant. Cet évènement marque un tournant important dans l’histoire de la Faculté. En effet, le journal Aristide sera à l’avant-poste des changements importants que connut la Faculté du milieu des années 70 jusqu’à l’aube du nouveau millénaire. Le fort engouement créé par la première édition du journal n’est pas sans rappeler la frénésie des années 70. Le contenu proposé est diversifié : articles d’humeurs et d’opinions, critiques des professeurs, reportages sur la vie étudiante, le tout présenté avec une touche d’humour et d’ironie. La créativité des rédacteurs n’a d’égale que leur audace. M. Samson n’a pas froid aux yeux, comme en font foi ses critiques émises à l’endroit des assemblées générales de l’AED. Il pousse l’insulte encore plus loin lorsqu’il décide de réserver une page complète de son journal pour y mettre un rectangle vide en guise de bilan des réalisations de l’AED [4]. Les relations entre l’AED et le comité de l’Aristide demeurent tendues jusqu’au début des années 80. La possibilité de recours juridiques est même brièvement évoquée par l’AED pour des propos jugés diffamatoires publiés dans l’édition 1981 du journal [5].
Au début des années 90, Aristide prêche un peu moins dans la controverse et se veut avant tout le reflet de la vie universitaire. Il permet aux étudiants de se tenir informés sur les activités organisées qui sont de plus en plus nombreuses et diversifiées. On y retrouve d’ailleurs de brillants textes d’opinion signés par des étudiants qui sont maintenant professeurs à la Faculté : Anne-Marie Savard, Charles-Emmanuel Côté, Sophie Lavallée, Geneviève Parent et Richard Ouellet contribuent tous au rayonnement du journal au cours de cette période. Certains d’entre eux nourrissaient déjà une passion pour le droit international, comme en témoignent les articles qu’ils rédigent sur le sujet.
Le journal Aristide cesse ses activités au milieu des années 90. Il renait néanmoins de ses cendres en 1997 sous la houlette de Fannie Lafontaine, aujourd’hui professeure à la Faculté. Les étudiants décident de publier leurs écrits sous le nom de Délateur, choix qui n’est pas sans rappeler les premières appellations du journal dans les années 60. Le Délateur surprend dès ses débuts, tant par le ton provocateur adopté par les rédacteurs du journal que par son graphisme éclaté. La première édition est entièrement consacrée aux initiations et les journalistes ne font pas dans la dentelle : nudité et alcool occupent une place de choix dans le reportage photo.
Le Délateur rend lui aussi l’âme quelques années à peine après sa création. Des étudiants motivés reprennent le flambeau en 2001, en mettant sur pied Le Verdict. Ils souhaitent donner un nouveau souffle au journal en diversifiant son contenu et en offrant une image positive sur le campus et dans le milieu juridique [6]. Preuve de son succès, Le Verdict perdure encore de nos jours, près de 20 ans après sa fondation.
La lecture des différentes éditions du journal permet de porter un regard unique sur la vie facultaire et les changements profonds qu’elle connut au cours des 50 dernières années. On oublie souvent l’importance que pouvait revêtir un journal étudiant à une époque où le téléphone intelligent ne faisait pas encore partie de l’imaginaire collectif. Le journal des étudiants en droit doit désormais faire preuve d’ingéniosité pour faire face à ces nouvelles réalités. Son apport à la vie étudiante n’en demeure pas moins essentiel. Riche d’une longue tradition de qualité et d’ouverture, il constitue un formidable lieu d’expression pour les plus belles plumes de la Faculté.
Le présent texte constitue un extrait d’un recueil à paraitre portant sur l’histoire de la vie étudiante à la Faculté de droit de l’Université Laval. L’auteur tient à remercier le service des archives de l’Université Laval pour son précieux soutien apporté à la recherche documentaire.
Sources
[1] Sylvio Normand, Le droit comme discipline universitaire : une histoire de la Faculté de droit de l'Université Laval, p. 261.
[2] Éric Brisson, « Par orgueil et conviction, le directeur du journal balance tout », Le Défenseur, vol. 1, no 5 (19 décembre 1967).
[3] (AUL, Fonds Association des étudiants en droit de l’Université Laval, P180).
[4] « Les réalisations de l’A.E.D. », Aristide (décembre 1974).
[5] (AUL, Fonds Association des étudiants en droit de l’Université Laval, P180).
[6] « Nouveau nom, nouvelle image », Le Verdict (avril 2001).