Les galas de droit

Par Paul-David Chouinard

Crédit photo : Voltaic

Crédit photo : Voltaic

CHRONIQUE | Le nom « Grand maillet » évoque d’agréables souvenirs pour les étudiants en droit de l’Université Laval, anciens comme actuels. Ce gala organisé annuellement célèbre l’engagement étudiant et la qualité du corps professoral de la Faculté. Néanmoins, peu de gens connaissent l’origine de cette tradition. Certes, certains trahiront peut-être leur âge en affirmant qu’ils ont été témoins de la première édition du gala Grand maillet en 1985. Cependant, ils auraient tort de penser qu’ils sont les instigateurs d’une telle tradition ; la Faculté de droit n’en était pas à ses premiers événements mondains. 

Il faut remonter au moins cent ans avant cette date pour voir les premières traces d’une soirée annuelle organisée par les étudiants en droit. Dès 1889 – et même bien avant s’y l’on se fie aux journaux de l’époque – les étudiants tiennent un banquet à Montréal. Et on parle ici d’un événement de grande envergure (1). Plus de 200 personnes sont conviées à cette soirée, parmi lesquelles plusieurs invités de marque, comme des juges et des ministres. Comme une fois n’est pas coutume, on répète l’expérience dans les années suivantes. Aux dires de certains, les origines de cet évènement remontent d’ailleurs au tout début de l’Université Laval (2). 

Ces banquets ne faisaient bien évidemment pas le bonheur de tout le monde. Dans une lettre adressée au directeur de l’Université Laval à Montréal (3), publiée dans le journal La Patrie en 1909, le père d’un étudiant en droit faisait part de son inquiétude relativement à la tenue de tels évènements (4). Comme bien d’autres parents à cette époque, il avait accumulé des économies substantielles pour offrir une formation de prestige à son fils. À ses dires, les dépenses occasionnées par les banquets se faisaient au détriment des ressources allouées pour la formation académique. Il craignait également que ces événements vicient le comportement de son fils, en lui insufflant un sentiment de supériorité par rapport au reste de la population. 

Dans les années 20 et 30, l’Association des étudiants en droit poursuit la tradition avec le Banquet aux Huitres (5). C’est peut-être en raison du faible qu’avaient les juristes pour ce fruit de mer que le législateur de l’époque inséra une disposition spécifique sur le vol d’huitres dans le Code criminel. À cette époque, les banquets sont des événements cérémoniels à forte teneur religieuse, souvent ponctués de longs discours. 

À partir des années 50, les galas prennent une allure plus festive. Le choix du Château Frontenac comme lieu de célébration témoigne de cette évolution. Le bal de fin d’année constitue un événement incontournable dans les années 40 et 50. Robes longues et tuxedos sont de mise lors de telles soirées. Les événements de ce type se font de plus en plus nombreux à la Faculté. Les célèbres soirées d’amateurs organisées au Palais Montcalm dans les années 50 attirent un large auditoire. Les étudiants font alors étalage de leurs talents de musiciens et d’acteurs pour le plus grand bonheur des citoyens de la ville de Québec. Ils laissent aussi libre cours à leur humour, parfois au grand désarroi de certains, qui jugent le spectacle indécent. 

Lors d’une soirée de décembre 1959, les étudiants simulent un procès en séparation de corps. Ce satyre n’est pas au goût d’un spectateur présent dans la salle, qui décide de porter plainte à l’Action Catholique du Québec. « Vous avez avili notre langue, nos mœurs et certaines communautés enseignantes » peut-on lire dans sa lettre longue de plusieurs pages (6). Le faux procès d’un animateur de radio présenté par les étudiants de la faculté remporte quant à lui un franc-succès. L’accusé St-Georges Côté, célèbre animateur de radio de la région de Québec, est lui-même présent pour produire sa défense. Plus de 1500 personnes assistent à cette représentation (7). Le talent d’acteur des étudiants suscite tantôt les rires, tantôt l’émoi. L’enregistrement du spectacle est même diffusé à la radio le lendemain à heure de grande écoute. 

Ce genre d’événements marquent le début d’une nouvelle ère à l’Université Laval. Alors que l’institution se dissocie petit à petit de l’Église, les étudiants commencent à pratiquer plus librement des activités qui étaient autrefois encadrées par les instances religieuses (8). Dans les années 70, l’AED organise des soirées thématiques : party à la mémoire d’Elvis, soirée d’épluchette de blé d’Inde. L’imagination des étudiants est à la hauteur des aspirations de leur époque. Ces soirées se font sans apparat et se déroulent dans une ambiance festive. 

Au cours des années 80, les étudiants décident de renouer avec le concept de gala en mettant sur pied le Grand maillet. Cet évènement se veut un parfait équilibre entre le coté burlesque des Soirées d’amateurs et le caractère officiel des Galas de fin d’année, qui avaient tous deux fait le succès de la Faculté dans les années 50. Cette tradition perdure encore de nos jours, au grand plaisir des étudiants et de leurs professeurs.


(1) La Justice, 21 octobre 1889, p. 2.

(2) « Intéressante nouvelle pour les étudiants », Le Soleil, vol. 50, no 244 (16 octobre 1931), p. 10.

(3) L’Université de Montréal fut d’abord une succursale de l’Université Laval, avant qu’elle n’acquière sa pleine autonomie en 1919. Voir : BANQ numérique, « Inauguration de la future Université de Montréal », (Lien Internet : numerique.banq.qc.ca/patrimoine/evenements/ldt-527).

(4) « Langage sensé », La Vigie, vol. 3, no 55 (3 février 1909), p. 1.

(5) « Les étudiants en droit ont leur banquet », Le Soleil, vol. 58, no 270 (15 novembre 1939), p.3.

(6) Propos du Candide, « La vie sociale à la Faculté, autrefois », Aristide, vol. 1, no 2, p. 2.

(7) « Accusé de nuisance publique, un annonceur comparait en cour », Radiomonde, vol. 13 no 48 (3 novembre 1951), p. 5.

(8) Nive Voisine, « À l’ombre du Séminaire de Québec et de l’Église catholique », (2003) 72 Cap-aux-Diamants 15, 19 (Lien Internet : www.erudit.org/fr/revues/cd/2003-n72-cd1045251/7424ac.pdf).