Plaidoyer pour l’éclatement du travail tel qu’on le connaît
Par Florence Verreault, publié le 17 juin 2021
Crédit photo : Luis Villasmil
RÉFLEXION| Cette réflexion a grandement été inspirée par les textes de mon collègue Kevin Garneau, publiés dans le dernier numéro en ligne du Verdict, ainsi que par une discussion à laquelle j’ai récemment pris part avec un ancien avocat en droit criminel.
Dès que nous entrons au baccalauréat, nous comprenons rapidement que si nous voulons « réussir », nous devrons travailler plus que fort. L’expression « réussir » peut arborer plusieurs significations, mais ici, je l’entends au sens d’avoir du succès dans nos études, et éventuellement dans notre vie professionnelle. Cette notion de réussite est bien évidemment modulable et propre à chacun.e, mais nous sommes tou.te.s influencé.e.s par une certaine forme de pression extérieure, que nous internalisons très tôt dans notre parcours scolaire. Cette pression se montre sous plusieurs jours. Elle induit notamment une certaine forme de compétition, une peur titanesque de l’échec et une importante dose de stress.
Ensuite, après les études vient la vie professionnelle. Bien qu’il existe plusieurs différences entre les études universitaires et le marché du travail, le moule, ainsi que ce qui en découle, reste le même : travailler sans relâche jusqu’à atteindre la prochaine étape. Toutes ces réflexions, autant par rapport à mon expérience que celle de plusieurs personnes de mon entourage, m’ont menée à un constat concernant notre façon de concevoir les études et le travail.
Notre modèle actuel de conciliation travail/études avec le reste de notre vie se fonde en grande partie sur un modèle hétéropatriarcal selon lequel l’homme, le pourvoyeur, est celui qui travaille et qui gagne sa vie, alors que l’autre partie de l’union, la femme, s’occupe de d’organiser et d’effectuer les tâches domestiques, ainsi que de veiller à tout ce qui dépasse le cadre de la vie professionnelle.
En effet, comment arriver à travailler 80 heures par semaine, à satisfaire tous nos clients, à avoir une vie familiale et sociale et à travers le tout, à remplir toutes les tâches domestiques nécessaires à notre survie en tant qu’être humain postmoderne? La réponse est simple : se concentrer uniquement sur le travail et avoir quelqu’un à la maison qui se charge de tout le reste. Bien sûr, il s’agit d’une généralisation, mais je crois que ce modèle, qui a certainement guidé la vie de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents, teinte encore aujourd’hui notre conception de la conciliation entre le travail et le reste de notre vie.
Ainsi, est-ce normal d’avoir l’impression de ne pas y arriver? Mais au-delà de ça, est-ce valide de ne pas avoir envie de passer le reste de notre vie à travailler 18 heures par jour? Est-ce valable de ne pas vouloir être perpétuellement à la course? Est-ce que cela fait de nous un individu paresseux et dépourvu d’ambition?
Pour reprendre l’expression empruntée par mon collègue (1), nous devons repenser le travail. Cela implique que les mentalités doivent évoluer et changer afin d’échapper au cadre hétéropatriarcal sur lequel repose notre conception du travail. Je crois que nous devons non seulement normaliser, mais également promouvoir le temps pour se reposer, pour s’adonner à des loisirs, pour laisser libre cours à notre créativité, pour être avec notre entourage. L’idée selon laquelle le travail doit avoir le rôle le plus important dans notre vie est profondément ancrée dans notre vision du succès. Je soutiens que nous devons collectivement nous en détacher et nous tourner vers un modèle qui, en plus d’être basé sur l’égalité des genres et l’égalité des chances, priorise l’équilibre et la santé mentale.
Pour ce faire, il faut poser des questions difficiles et oser défier les convictions, ou du moins les habitudes, de celles et ceux qui nous précèdent dans la profession. C’est à nous, étudiant.e.s d’aujourd’hui et professionnel.le.s de demain, de changer les choses, de se réapproprier le modèle qui nous est imposé depuis notre naissance et de le moduler pour qu’il corresponde à nos valeurs.
Notes
(1) Voir le texte de Kevin Garneau intitulé « Les étudiants en droit doivent repenser le travail », publié dans le numéro d’hiver 2021 du Verdict et disponible en ligne à l’adresse suivante : < http://journalleverdict.com/les-etudiants-en-droit-doivent-repenser-le-travail>.