Réaliser au féminin avec l’ONF
Par Simone Pilote
DOSSIER ARTS ET CULTURE | Encore aujourd’hui, il est rare que les institutions culturelles financent à part égale les projets musicaux, littéraires et filmographiques des hommes et des femmes. Les hommes raflent souvent la majorité des subventions octroyées. Parmi ces institutions, l’Office national du film (ONF) fait figure d’exception, et pour les bonnes raisons!
En 2016, son président, Claude Joli-Coeur, qui se définit comme un allié de la cause féministe, a eu le courage de prendre un engagement fort pour la parité, celui d’affecter d’ici 2019 50 % de son budget de production aux films réalisés par des femmes et de s’assurer que la moitié de ses productions seraient signées par des réalisatrices. En mars 2017, M. Joli-Coeur a poussé encore plus loin cet engagement, avec un objectif de 50 % de femmes au sein des postes clés de création pour les projets en production en 2020 à l’ONF.
Chose dite, chose faite, l’ONF a atteint ses objectifs pour la parité hommes-femmes tant pour le nombre de productions que pour les budgets de production, quatre ans après son engagement initial. Pour l’année 2019-2020, 46 % des œuvres ont été réalisées par des femmes et 44 % des budgets de production ont été alloués à des œuvres signées par des femmes. Pour ce qui est de l’engagement concernant les postes clés de création, 61 % des œuvres ont été scénarisées par des femmes et 55 % des œuvres ont été montées par des femmes.
« Je veux rendre hommage aux créatrices de tous les horizons qui apportent leur talent et leur vision à l’ONF. Même s’il reste encore du travail à abattre, ces derniers résultats montrent bien ce qu’on arrive à faire avec des efforts et de la détermination », soutient avec conviction Claude Joli-Cœur, au cours d’un entretien téléphonique.
M. Joli-Cœur note par ailleurs une transformation importante depuis les quatre dernières années. D’autres institutions semblent suivre la tendance amorcée par son équipe. « Au départ, les organisations ne voulaient pas trop prendre des orientations afin de favoriser une égalité hommes-femmes. Aujourd’hui, elles n’ont tout simplement plus le choix de suivre le mouvement », souligne le président de l’ONF.
En décembre 2018, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a organisé le Sommet des femmes en production, qui visait justement à accroître l’accès de ces dernières aux rôles clés en télévision et au cinéma. Les radiodiffuseurs qui y ont participé, dont TVA, Rogers, Radio-Canada et Bell Média, ont fait une entente : celle d’atteindre, en 2025, la parité. Cet objectif démontre qu’il reste du chemin à faire pour atteindre la parité.
La présence des femmes dans le milieu de la culture et des arts ne s’impose pas par simple souci cosmétique ou numérique, mais parce que leur vision, leur contribution et leurs compétences comptent vraiment. « Les perspectives féminines représentent une voix différente et c’est ce qui est riche pour le milieu », mentionne M. Joli-Cœur.
Il suffit de penser à l’une des plus éminentes réalisatrices autochtones du monde, Alanis Obomsawin. Son œuvre extraordinaire comprend plus de cinquante films, comme Les événements de Restigouche et Kanehsatake – 270 ans de résistance, et elle tourne encore. La cinéaste abénaquis se montre comme une figure de proue pour les femmes en cinéma. Son œuvre complète est disponible sur le site internet de l’ONF. Par ailleurs, le 15 octobre dernier, l’artiste multidisciplinaire a remporté le prix Glenn-Gould. Ce prix est remis tous les deux ans à une personne vivante afin de souligner l'ensemble d'une contribution ayant enrichi la condition humaine par les arts. « La preuve, il suffit de voir le nombre de prix gagnés par des femmes », répond Claude Joli-Cœur lorsqu’il fait face à des critiques sur le choix de ses orientations.
Faut-il une loi pour assurer la représentation paritaire entre les hommes et les femmes dans le milieu des arts de la culture? La pression est au rendez-vous. L’égalité entre les femmes et les hommes est un principe consacré en droit canadien et québécois dans nos chartes des droits et libertés respectives. Le Québec s’est aussi déclaré lié par décret à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes, adoptée par l’ONU.
La parité fait l’objet d’un débat social permanent. Certains invoquent l’argument du « talent » lorsque des mesures contraignantes (quotas ou autres) sont prises pour avantager les femmes. Mais au-delà de la question du talent (les femmes en ont tout autant), il s’agit d’une question d’égalité de fait. Les femmes comptent pour 50 % de la population et elles ont longtemps été défavorisées dans l’accès à l’éducation et aux formations artistiques.
Il incombe aux organisations culturelles de prendre les mesures pour assurer une meilleure représentativité des femmes. L’auteure de ces lignes salue donc les efforts réalisés par l’ONF. La route est longue vers la parité, mais le chemin semble parsemé de petites victoires.