Réflexion patrimoniale

Par Gabriel Boivin

La Loi sur le patrimoine dicte les principales règles en matière de conservation et de mise en valeur des biens patrimoniaux québécois. Crédit photo : Canva

La Loi sur le patrimoine dicte les principales règles en matière de conservation et de mise en valeur des biens patrimoniaux québécois.
Crédit photo : Canva

Note : Prévu pour parution au printemps dernier, le texte reste à mon sens d’actualité puisque certains événements récents s’ajoutent à ceux mentionnés dans le texte [*]. Vous comprendrez cependant qu’actuellement je suis davantage préoccupé par l’apprentissage des rudiments de la procédure civile que par mon cours de « docu ». 

Bonne lecture et, je l’espère, bonne réflexion.

OPINION | Maintenant que la rédaction de mon opinion juridique dans le cours de Docu est terminée, j’ai l’honneur de signer un premier article dans notre journal facultaire. Cette fois, aucunement question de plan cartésien ou de plan analytique, on y va avec le cœur, histoire de vous faire part d’une réflexion partiellement législative.

Au début du mois d’avril dernier, La Presse[1] et Le Devoir[2] rapportaient qu’un monastère presque centenaire et surtout patrimonial frôlait la démolition. Une intervention rapide de la ministre de la Culture suspend finalement le permis de démolition, octroyé par la Ville elle-même. Un sursis de 30 jours est alors accordé pour trouver une solution et ainsi éviter de « vivre une autre Maison Boileau »[3].

Cette situation qui s’est déroulée à Berthierville dans Lanaudière – coin de pays que je connais très bien pour y être né – m’a amené à réfléchir sur la conservation du patrimoine immobilier au Québec. Bien entendu, une loi et des règlements encadrent cela. La Loi sur le patrimoine[4] dicte les principales règles en matière de conservation et de mise en valeur des biens patrimoniaux québécois. De plus, les municipalités ont la possibilité d’édicter des règlements et de mettre en place des politiques concernant le patrimoine local et propre à chaque collectivité.

De passage dans le patelin lanaudois, j’ai, à l’occasion d’une marche printanière, pris le temps d’observer les maisons sises sur la rue bordant le fleuve. Sur 800 mètres on retrouve une trentaine de maisons. Plus de la moitié sont considérées comme patrimoniales et classées comme telles par la Ville. Malheureusement, au moins cinq d’entre elles sont vides, inhabitées. Et bien d’autres ne tarderont pas à l’être puisqu’elles sont habitées par des personnes âgées. Alors qu’un monastère, imposant, presque autant que le pavillon Charles-De Koninck (DKN), vide depuis 7 ans, a passé à deux doigts de la démolition – et encore, rien ne garantit qu’il ne sera pas démoli en fin de compte –, je m'interroge sur notre relation avec le patrimoine et toutes ces "vieilles bâtisses" qui constituent le Québec[5].

D’une part, on rédige divers règlements, avec pour objectif d’éviter une dégradation du patrimoine et pour conserver le cachet de ces maisons ancestrales, mais d’autre part, avec cette règlementation, on impose moult contraintes, techniques et monétaires, aux propriétaires, qui bien souvent peinent à les remplir. La plus belle illustration de cette situation est sans doute l’île d’Orléans. En mars dernier, Radio-Canada diffusait un reportage montrant le désespoir de certains habitants de l’Île qui veulent faire des rénovations sur leur maison. Malheureusement, ceux-ci doivent passer par un processus extrêmement compliqué et qui n’aboutit trop souvent à rien, notamment car les charges financières imposées sont trop élevées[6].

Je déplore de voir tant de nouvelles constructions, alors qu’un peu partout au Québec, des bâtiments centenaires qui ont une richesse à la fois architecturale et sentimentale s’écroulent ou sont laissés à l’abandon. À mon sens, le moderne manque parfois de relief, de matériaux nobles, et surtout, d’histoire. Parce qu’il ne s’agit pas uniquement d’architecture. Il y a l’aspect sentimental ; l’âme collective. Ce sont les générations qui nous précèdent qui vivent à travers ces bâtiments. Alors qu’à une époque on bâtissait en pensant durable et beau; aujourd’hui, on construit principalement en pensant rapide et rentable.[7]

Les décideurs publics, ou ce fameux législateur auront beau adopter lois, règlements et politiques, concernant le patrimoine, si la rénovation et l’entretien ne sont pas facilités comme dans les exemples mentionnés, il sera difficile de conserver ces richesses collectives. À mes yeux, ce serait une grande tristesse de voir ces monuments tomber les uns après les autres. Il faut une situation législative qui aide réellement l’action des gens tout en respectant le cachet de ces maisons. Permettre une conversation entre des investisseurs potentiels et les communautés qui ont un intérêt sentimental et historique afin de déterminer les besoins pour passer à l’action serait une avenue à considérer. Mon plus grand souhait est de voir des personnes, des jeunes de surcroît, prendre soin de ces bâtiments construits il y a plusieurs décennies, qui sont remplis d’histoire et de souvenirs pour s’investir à leur redonner leur lustre d’autrefois.


[*] DUVAL, Alexandre, « Des clochers abandonnés sept ans après la démolition de l'église Saint-Joseph », SRC,  21 août 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1267890/clocher-eglise-saint-joseph-quebec-abandonnes-sept-ans-demolition. Jolin-Dahel, Leïla, « La Villa Livernois ravagée par les flammes », Le Devoir, 16 septembre 2019, https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/562683/ville-de-quebec-25-pompiers-combattent-toujours-l-incendie-a-la-villa-livernois. À ce sujet voir aussi : DESMEULES, Judith, « Incendie majeur à la Villa Livernois: la Ville taxée de négligence », Le Soleil, 15 septembre 2019, https://www.lesoleil.com/actualite/justice-et-faits-divers/incendie-majeur-a-la-villa-livernois-la-ville-taxee-de-negligence-07a87d77927ffa1625aaa589105b2dce. GAGNÉ, Louis, « La démolition de l'église Saint-Cœur-de-Marie est commencée », SRC, 26 juillet 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1199949/debut-travaux-demolition-eglise-saint-coeur-marie-grande-allee-quebec

[1]BÉLAND, Gabriel, « Un monastère patrimonial sera détruit à Berthierville », La Presse, 3 avril 2019, https://www.lapresse.ca/actualites/201904/03/01-5220749-un-monastere-patrimonial-sera-detruit-a-berthierville.php.

[2]NADEAU, Jean-François, « Un monastère jugé exceptionnel bientôt démoli à Berthierville », Le Devoir, 4 avril 2019, https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/551360/patrimoine-religieux-un-monastere
-a-berthierville-juge-exceptionnel-obtient-un-permis-de-demolition
.

[3] En novembre 2018, une maison ancestrale, rare témoin des années 1837-38, était réduite en poussière par les pelles mécaniques de la Ville de Chambly. Pour plus d’informations : CORRIVEAU, Jeanne et NADEAU, Jean-François, « La Maison du patriote Boileau démolie », Le Devoir, 23 novembre 2018, https://www.ledevoir.com/politique/regions/541965/la-maison-boileau-a-chambly-en-cours-de-demolition.

[4] Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ, ch. P-9.002

[5] Au moment de la parution de l’article, une maison ancestrale et patrimoniale adjacente au Monastère en question avait vu les pics des démolisseurs la réduire en poussière. Le tout, dans l’espace d’une seule journée. Elle avait été construite en 1916. Pour plus détails, voir Radio-Canada, « Sauvegarde du monastère Notre-Dame du Rosaire : la Maison Pelland démolie », SRC, 16 juillet 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1224794/berthierville-quebec-ordonnance-patrimoine-destruction

[6] RÉMILLARD, David, « Île d’Orléans : des citoyens se disent étouffés par le ministère de la Culture », SRC, 10 mars 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1157620/ile-orleans-citoyens-etouffes-ministere-culture-patrimoine

[7] Si vous désirez poursuivre la réflexion, une récente chronique du Journal de Montréal, aborde cette question du patrimoine et de sa conservation au Québec. BUCK-CÔTÉ, Mathieu, « Opinion : Sauver le patrimoine », Journal de Montréal, 11 avril 2019, https://www.journaldemontreal.com/2019/04/11/sauver-le-patrimoine .