Les présidents de la Ve République face à la justice française : de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy

Par Samuel Z. Castonguay, publié le 4 mars 2021

ACTUALITÉS | Onde de choc à l’Élysée : l’ex-président français Nicolas Sarkozy a écopé le premier mars dernier de trois années de prison – un an ferme et deux avec sursis – pour corruption et trafic d’influence, une première en France. Un jugement dont le principal intéressé entend interjeter appel.

Nicolas Sarkozy. Crédit photo : European People's Party

Nicolas Sarkozy. Crédit photo : European People's Party

Les faits qui sous-tendent la condamnation de celui qui fut président de la Ve République de 2007 à 2012 remontent à la campagne présidentielle de 2007, campagne ternie par des allégations de financement en provenance de la Lybie. Le régime dictatorial de Mouammar Kadhafi est en effet soupçonné d’avoir versé jusqu’à 50 millions d’euros afin de renflouer les coffres de Sarkozy, alors candidat à la présidence.  

L’affaire des écoutes  

À la suite de ces soupçons, Sarkozy, sixième président de la Ve République, est mis sous écoutes judiciaires en 2013. L’existence de conversations sur des téléphones mobiles à carte, notamment d’une ligne enregistrée sous le pseudonyme de Paul Bismuth servant à contrecarrer la surveillance électronique, est dévoilée au grand jour. Ces mêmes écoutes  révèlent en 2014 l’existence d’un pacte de corruption éhonté fabriqué par Sarkozy, son avocat Thierry Herzog, et Gilbert Azibert, à l’époque avocat général auprès de la Cour de cassation. 

Corrompu par ses collaborateurs, Azibert les informe, dans le cadre de cet accord tripartite, des écoutes dont font l’objet Sarkozy et Herzog dans le cadre de l’affaire Sarkozy-Kadhafi et les renseigne des plus récents développements de l’affaire Woerth-Bettencourt, ces procédures judiciaires concernant les possibles conflits d’intérêts entre Liliane Bettencourt, première actionnaire du groupe L’Oréal, et Éric Woerth, éminent homme politique français. En retour, Sarkozy promet à Azibert de lui offrir son soutien en vue de l’obtention d’un poste judiciaire à Monaco. Mais ce n’est pas tout. Azibert exerce au demeurant des pressions dans l’optique d’influencer les procédures judiciaires en faveur de son coconspirateur.  

Ces révélations mènent à la mise en examen de Sarkozy en juillet 2014. Celui-ci a recours a plusieurs moyens dilatoires, en vain. Le premier mars, le verdict tombe : Sarkozy, Herzog  et Azibert sont reconnus coupables de corruption et de trafic d’influence.

Une première pas si inédite  

L’affaire des écoutes constitue une situation judiciaire sans précédent en raison du fait qu’elle implique un chef d’accusation de corruption et que la peine comporte un an de prison ferme. Néanmoins, Nicolas Sarkozy n’est pas le seul chef d’État de la Ve République à être condamné par la justice française.  

Le défunt Jacques Chirac, septième président du régime politique républicain actuel (de 1995 à 2007) est reconnu coupable d’abus de confiance et de détournement de fonds publics, puis condamné à deux ans de prison avec sursis en 2011 concernant l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. C’est la première fois qu’un ex-président français est condamné en correctionnelle.  

Rappelons les faits. Chirac est maire de Paris de 1976 à 1994. Parallèlement à cette fonction, l’homme d’État  français est aussi président du Rassemblement pour la République (RPR), un parti politique gaulliste. Alors qu’il occupe ces deux fauteuils, il donne son aval à l’embauche d’une vingtaine de personnes officiellement employées par la mairie de Paris, mais travaillant officieusement au siège du parti que préside Chirac en vue de l’élection présidentielle de 1995, qu’il remporte. Au total, le montant des salaires combinés de ces emplois fictifs est évalué à environ 30 millions de francs.  

En 2004, un jugement de culpabilité est rendu à l’encontre d’Alain Juppé, secrétaire général du RPR de 1988 à 1994 et principal complice de Chirac, en lien avec ces mêmes faits. Mais ce dernier n’est mis en examen qu’en 2007, soit à la fin de son second mandat de président de la République, la charge de chef d’État offrant une inviolabilité contre toute procédure  judiciaire jusqu’à l’échéance du mois suivant la fin du dernier mandat. Deux ans plus tard, en 2009, Chirac, désormais un simple justiciable, est renvoyé devant le tribunal correctionnel. Le verdict de culpabilité est prononcé le 15 décembre 2011. 

Un système de justice qui n’a pas froid aux yeux  

En condamnant deux anciens présidents, le système de justice français confirme que personne, pas même un chef d’État, n’est au-dessus de la loi dans la République. Au Québec, ce courage peut en surprendre plus d’un, les Québécois étant habitués aux interminables tergiversations judiciaires lorsqu’un ancien premier ministre est impliqué.  

Certes, d’aucuns diront que les peines imposées respectivement à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy sont timides. Peut-être ont-ils raison, compte tenu de la teneur des faits litigieux. Mais malgré tout, le symbole est fort : personne, pas même un ex-locataire de l’Élysée, aussi puissant soit-il, ne peut faire fi des règles. 

Sources : 

Radio-Canada, « Reconnu coupable de corruption et de trafic d'influence, Nicolas Sarkozy fera appel », 1er mars 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1774052/france-nicolas sarkozy-verdict-sentence-affaire-ecoutes.  

Fabrice Lhomme et Gérard Davet, « Pourquoi Nicolas Sarkozy est mis en examen pour  corruption », Le Monde, 12 juillet 2014, https://www.lemonde.fr/politique/article/2014/07/12/pourquoi-nicolas-sarkozy-est-mis en-examen-pour-corruption_4455913_823448.html.  

Le Monde, « Jacques Chirac condamné à deux ans de prison avec sursis », 15 décembre  2011, https://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/15/verdict-attendu-dans-l-affaire des-emplois-fictifs-de-la-ville-de-paris_1618652_3224.html.  

Lefigaro.fr, « Emplois fictifs : Chirac renvoyé devant la justice », Le Figaro, 30 octobre  2009, https://www.lefigaro.fr/politique/2009/10/30/01002-20091030ARTFIG00297- emplois-fictifs-chirac-fixe-ce-vendredi-.php.  

Pascale Robert-Diard, « La condamnation historique de Jacques Chirac : Deux ans de prison avec sursis pour l'ex-président Débat relancé sur le statut pénal du chef de l'Etat », Le Monde, 16 décembre 2011, https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2011/12/16/la condamnation-historique-de-jacques-chirac_1619784_3208.html.