«Trop blanche» pour être autochtone, mais «trop autochtone» pour être blanche
Par Alexane Picard
TÉMOIGNAGE| Pour être tout à fait honnête, je ne sais même pas par où commencer. Je voudrais crier et pleurer en même temps, parce que cette semaine, au moment où j’écris ces quelques lignes, Joyce Echaquan a perdu la vie dans des circonstances atroces.
Je ne peux même pas commencer à expliquer tout ce qui cloche avec la gestion de la question autochtone au sein du gouvernement québécois et canadien, mais pour résumer mon train de pensées, je vais m’en tenir à deux mots tout simples : racisme systémique.
Cette expression ne vous est pas inconnue, j’en conclus, parce qu’elle fait la une des journaux depuis quelques mois déjà, en réponse à la mort de George Floyd entre les mains d’un policier américain cet été.
Mais pour revenir au vif de mon sujet : concrètement, c’est quoi être autochtone ? Être autochtone, légalement (parce que c’est bien sûr une loi fédérale qui détermine si tu es autochtone ou non), c’est soit être né de deux parents autochtones ou d’au moins un parent autochtone dont les deux parents sont aussi autochtones.
Vous allez peut-être arriver à la même réflexion que moi ; pourquoi l’appartenance culturelle est-elle décidée par une loi et non par la transmission familiale de cette dite culture ? Il m’apparait ridicule qu’encore aujourd’hui, un gouvernement qui se considère comme notre tuteur nous impose des balises ayant pour but de déterminer notre statut. Cette stratégie visait, jadis, à exterminer les peuples autochtones, mais les objectifs de cette loi ont probablement évolué, comme notre société.
Question de vous mettre en contexte, au Québec, il y a 11 Premières Nations et 55 communautés réparties un peu partout à travers la province. Je ne pousserai pas mon explication des différentes nations et communautés plus loin, mais je vous invite fortement à aller faire vos recherches personnelles, puisque ce n’est pas le système d’éducation québécois qui vous en apprendra suffisamment sur le sujet.
L’identité pour moi est un sujet délicat. Je me suis toujours trouvée trop « blanche » pour être autochtone, mais trop « autochtone » pour être complètement blanche. C’est un effet secondaire de ne pas avoir de traits physiques typiquement associés aux autochtones, mais aussi un effet qui découle de la manière dont ce statut particulier a été transmis depuis les sept dernières générations.
Ma mère est huronne-wendat, ce qui fait de moi une membre des Premières Nations, plus précisément membre de la Nation huronne-wendat, dont la seule communauté se trouve à Wendake, en banlieue de la ville de Québec.
Et oui, pour répondre à cette question brulante que vous devez tous vous poser, j’ai ma carte « d’indienne ». Je mets le mot « indien » entre guillemets, parce que c’est malheureusement le terme juridique utilisé par la loi régissant mon statut. J’ai donc accès aux « avantages » qu’une loi raciste me donne ; cette même loi raciste écrite et mise en application dans les années 1880 dans le but d’exterminer une culture complète et d’assimiler ses membres.
Ce qu’on considère maintenant comme des avantages, c’est-à-dire le fait de ne pas payer de taxes ou d’impôts – ce qui, en plus, est partiellement faux puisque les seuls moments où la soustraction est possible sont sur réserve – ne sont en réalité que des conséquences de la mise en tutelle des autochtones en 1876.
La Loi sur les Indiens a permis au gouvernement d’enlever toutes les responsabilités civiles aux autochtones et, du fait même, de les considérer comme des non-citoyens, des incapables et des enfants de l’État. Ils ne pouvaient donc pas avoir de possessions foncières, ne pouvaient pas voter ou ne pouvaient pas exercer les mêmes droits que les citoyens canadiens.
Au-delà de ces avantages, qui, comme je l’ai mentionné, ne sont présents que pour diminuer l’autonomie civile des autochtones, j’ai la chance de faire partie d’une nation riche en culture et en tradition. J’ai eu la chance, plus jeune, de danser auprès de ma mère lors de multiples pow-wow et de plusieurs événements organisés un peu partout dans la ville de Québec et à l’extérieur.
Par contre, en vieillissant, j’ai bien vite caché cette partie de moi. Je ne m’y identifiais plus autant qu’avant, ne voulant plus être associée aux stéréotypes découlant de cette identité et dans le but d’éviter de me poser mille et une questions. Après tout, j’avais la chance de me cacher derrière une apparence qui ne laisse pas paraître mon héritage culturel. J’avais cette chance d’éviter les conversations inconfortables et de pouvoir cacher une partie de mon identité par peur de recevoir des commentaires déplaisants.
J’ai réalisé dans les dernières années de ma vie que cette culture et cette identité sont des parties prenantes de qui je suis et que j’en suis plus que fière. Je suis fière aujourd’hui de pouvoir reconnecter petit à petit, par l’intermède de mon comité universitaire et de mes implications personnelles, avec ma culture.
Je suis fière d’être autochtone et je n’ai plus peur de m’identifier à ce que je suis vraiment. J’ai appris que ce qui faisait de moi quelqu’un de différent était aussi une force, et que considérant les récents évènements, il était plus que temps que j’assume mon appartenance à cette culture qui ne cesse de m’épater.
Non, les conversations ne seront pas toutes faciles à avoir, mais elles doivent avoir lieu pour que les choses changent. Je suis tannée, les Premières Nations sont tannées et c’est le temps que ça change.