Une analyse sociale de nos droits
Par Mathieu Kiriakos, publié le 20 février 2021
Crédit photo : @morganhousel
CHRONIQUE | Comme tous les Québécois, il m’est maintenant interdit de sortir de chez moi après 20h. «Mais j’ai plus de lait pour faire mon Kraft Dinner!»
Il est de notre habitude d’invoquer nos nombreux droits et libertés, ou d’aller trouver la disposition législative encadrant la mesure coercitive, surtout en tant que citoyen canadien. Alors qu’il est essentiel à saisir, le processus social qui rend ce type de mesures possible est souvent négligé. Le concept de biopouvoir mis de l'avant par Foucault illustre la nouvelle forme de pouvoir qui accompagne la modernité et qui s’est progressivement installée dans notre univers symbolique. Ce pouvoir remplace le pouvoir de vie et de mort, caractéristique des époques prémodernes, détenu par les souverains. En effet, ceux-ci détenaient un droit sur la mort plutôt que sur la vie des individus.
De nos jours, le pouvoir étatique contrôle le quotidien et régule la vie. Il s'agit bien d'une contradiction directe avec les idées véhiculées par le siècle des Lumières. L'être humain soi-disant libre et autonome qui existe dans la conception typiquement moderne n'est qu'une illusion : celui-ci est plus normé socialement que jamais. Le contrôle des individus se fait désormais dans le quotidien et apparaît de manière évidente. C’est d’ailleurs pour cela que le nombre d’infractions réglementaires est de plus en plus important et qu’il continue de croître. Pour Foucault, le dressage et la majoration du corps, ainsi que son intégration des systèmes de contrôle efficaces et économiques sont causés par des procédures de pouvoir. Ces procédures de pouvoir qui régulent la vie se reproduisent par la suite dans la société. Les disciplines du corps s'organisent donc autour de ce pôle qui dicte le pouvoir qu'il exerce ensuite sur la vie.
Pour la première fois de l'histoire, le biologique se réfléchit dans le politique. Au cœur même du biopouvoir se trouve la sexualité, qui devient un élément structurant des sociétés modernes. Celle-ci est plus normée que jamais et répond aux impératifs de contrôle des corps. Nos corps finissent par s'adapter à ces normes qui deviennent partie prenante de l'identité des individus (l'individu est également une construction de l'occident et sa sexualité résulte d'une conception proprement moderne plaçant l’esprit dans un corps individuel et atomisé, mais ça c’est une histoire pour une autre journée). Le sexe devient donc une cible centrale du pouvoir qui s'organise autour de la gestion de la vie. Le corps machinique devient le support identitaire qui correspond aux normes des corps individuels. Ce corps, construit comme étant individuel et atomisé, mais qui en réalité est tiraillé par d'innombrables contraintes, devient l'enjeu de l'expression de soi.
Bref, l'ensemble de nos préoccupations tournent autour du corps, qui devient contrôlé, normé jusqu'aux fonctions qui nous semblent les plus intimes ou naturelles. C’est cette conception qui rend également le «contrôle» de notre corps par le gouvernement possible. Bien sûr, l’appareil judiciaire demeure un outil indispensable afin d’appliquer de telles mesures. Mais seule notre conception de l’univers qui nous entoure permet à notre esprit d’accepter une telle autorité.
Bonne quarantaine et bon couvre-feu à tous!