Une belle journée pour mettre le feu
Par Dominique Gobeil
TÉMOIGNAGE| « C’est une belle journée pour mettre le feu, vous ne trouvez pas? Han? C’est une belle journée pour mettre le feu, vous ne trouvez pas? »
Ma question est inspirée de la chanson Divagation parlementaire du musicien saguenéen Philippe Brach, et je dois vous avouer que ces paroles trouvent un séduisant écho en moi ces derniers temps. Je ne suis pas pyromane, loin de là, mais je ressens au fond de mon être une brûlante urgence d’agir pour secouer les esprits embourbés, un ardent désir d’allumer des brasiers pour faire fondre les coeurs glacés, un incandescent besoin de cracher des flammes de mots pour détruire les systèmes brisés.
L’actualité récente me donne tellement de raisons de m’indigner, de me scandaliser, de me révolter.
Peut-être que c’est parce que les tracas du quotidien sont exacerbés par la pandémie de COVID-19 que mon énergie s’éparpille dans tous les sens, toujours déviée vers une injustice encore plus grande.
Je pourrais vous parler de l’immense chance que nos technologies polluantes nous permettent de maintenir les cours à distance, avec pour joyeuses conséquences la santé mentale des étudiants qui dépérit au rythme des lectures qui s’alourdissent, la lumière dans les yeux des professeurs qui s’éteint au fil des caméras qui se ferment, la puissance de nos établissements d’enseignement qui s’effrite comme leurs coffres en banque qui se vident.
Mais peut-être que je devrais simplement regarder par ma fenêtre et me dire que c’est une belle journée pour étudier.
Je pourrais vous entretenir de l’absurde quête de sens des jeunes de ma génération, quand le rouge n’est plus synonyme de passion, mais de récession et de l’ordre de « rester à la maison », quand l’envie de s’ouvrir au monde se confronte à notre empreinte carbone trop sale et à nos anticorps défaillants, quand la courbe de l’espérance de vie s’aplatit sous la pression de l’air pollué, faisant faiblir les enfants plus rapidement que les parents.
Mais peut-être que je devrais simplement regarder par ma fenêtre et me dire que c’est une belle journée pour boire un thé.
Je pourrais discourir sur notre dignité collective bafouée, pendant que des femmes et des enfants s’intoxiquent dans des dépotoirs pour trouver de quoi manger, que des réfugiés se retrouvent sans pays et sans toit en fuyant de violentes atrocités, que des personnes de couleur meurent écrasées dans les rues par des policiers.
Je pourrais regarder par ma fenêtre et penser, c’est dégoûtant ailleurs, mais pas ici. Ce serait me tromper.
Depuis des années, on préfère investir dans ce qui nous rapporte de l’argent, mais on délaisse les richesses sociales générées par l’éducation et la santé. On laisse le Québec devenir une population d’analphabètes fonctionnels et on exploite les préposées, les infirmières et autres travailleurs qui prennent soin de nos communautés. Et ensuite on ose se demander, comment des femmes censées guérir laissent mourir une mère atikamekw en détresse? Comment penser que c’est un événement isolé quand les symptômes de notre société malade nous éclatent dans le visage depuis si longtemps?
Entendez-vous les plaintes, entendez-vous les cris, entendez-vous l’humanité blessée? C’est une belle journée pour écouter, vous ne trouvez pas?