COMBATTRE LES STÉRÉOTYPES DE GENRE ?
Comité Question de genre
Ce mois-ci, nous vous proposons une réflexion sur les stéréotypes de genre et leurs impacts
QU’EST-CE QU’UN STÉRÉOTYPE DE GENRE ?
Les stéréotypes sont « des représentations simplifiées, déformées, rigides, [...] de certaines caractéristiques attribuées à un individu ou à un groupe ». Ce sont des caractéristiques fondées sur des idées préconçues, basées sur l'observation (parfois biaisée) des gens et qui sont perpétuées de génération en génération. Les stéréotypes ont un grand impact sur les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes : « [i]ls servent de prétexte à les cantonner à certains rôles sexuels ». C'est ce qu'on appelle le fait d'attribuer à une personne des rôles et des fonctions dans la société en raison de son sexe. Les métiers sont encore aujourd'hui profondément genrés. Par exemple, on retrouve encore des expressions comme « Madame le maire » et on masculinise rarement le mot « infirmière ». Avez-vous déjà rencontré un homme sage-femme ? L'expression même exclut les hommes du métier.
Les rôles sexuels sont inscrits chez nous dès l'enfance, par l'apprentissage des stéréotypes de genre. On encourage les jeunes filles à être retenues, à être dans la pudeur et à refouler leur sexualité. Les femmes croisent les jambes et, au contraire, les hommes écartent les jambes. Avez-vous déjà été surpris de voir un homme croiser les jambes ? Sûrement que oui, car nous avons appris que croiser les jambes est un comportement élégant, féminin, alors qu’écarter les jambes en est un viril, qualité typiquement masculine. L'anthropologue Corinne Fortier nous apprend que cet exemple et les autres stéréotypes de genre « sont des habitus stéréotypés qu’on nous inculque dès l’enfance et qui genrent notre corps et qui limitent nos capacités et notre ouverture ».
Selon l'anthropologue Françoise Héritier, les stéréotypes de genre découlent de l'origine des sociétés, de la façon qu'ont les humains de décoder le réel et qui ont mis des mots pour le dire. Cela s'est transmis aux générations suivantes. Elle soulève que le vocabulaire, pour une société donnée, est construit sur des catégories dualistes. Parmi elles, on y retrouve le masculin et le féminin, et les autres catégories dualistes sont conçues en fonction de l'observation genrée de ce qui existe et que donc la catégorie dualiste masculin/féminin recouvre toutes les autres. En d'autres mots, l'entièreté de notre vocabulaire est genrée -ce qui est particulièrement vrai en français- et dans notre société occidentale, nous attribuons un sexe à des mots et inversement des mots à un sexe. Elle donne comme exemple les mots « supérieur et inférieur », « violent et doux », « actif et passif », et « rugueux et lisse ». Je n'ai pas besoin de vous expliquer, je crois que vous savez quels mots représentent l'homme et la femme. Les mots, les stéréotypes sont porteurs de valeur, valorisant l'un, dévalorisant l'autre.
D'ailleurs, une blogueuse a mené sa petite enquête sur les réseaux sociaux pour savoir quelle était la perception des gens. Quelles étaient les qualités attribuées respectivement à chaque sexe? Elle a combiné les réponses aux adjectifs dégagés par l'anthropologue Françoise Héritier et voici ce que ça a donné. Pour les caractéristiques « féminines », il y a notamment : fragile, douce, dévouée, discrète, belle, maternelle, bavarde, irrationnelle, hystérique, peureuse, passive, émotionnelle et compliquée. Pour les « masculines », il y a notamment: fort, rationnel, déterminé, actif, sérieux, simple, drôle, franc, juste, charismatique, direct, violent, infidèle, dominateur et désordonné.
QUEL EST L’IMPACT DES STEREOTYPES DE GENRE ?
L'anthropologue Corinne Fortier dit que ces qualités énoncées ne sont pas naturellement ancrées chez les individus:
« On inhibe et on dévalorise ces compétences, ces sensibilités qui sont autant partagées chez les garçons et chez les filles, mais qui, selon l'éducation, sont réfrénées. Tout cela est extrêmement douloureux pour les individus et entrave l'égalité et l'épanouissement individuel puisque, je le répète, même s'il y a une différence sexuelle anatomique, tous ces comportements, cette gestuelle, ces habitudes sont complètement genrés et le fruit de l'éducation ».
Des études récentes démontrent que les hommes sont particulièrement vulnérables, avec un taux de suicide beaucoup plus élevé que chez les femmes. Robert Whitley, chercheur principal du Groupe d’intérêt et de recherche pour la psychiatrie sociale de l’hôpital Douglas, nous apprend que les hommes consultent moins, « en partie parce que les services ne correspondent pas à leurs besoins [...]. On leur demande de parler, de prendre des médicaments, alors qu’ils sont plus dans l’action. Il faut revoir l’approche ». Les hommes, en essayant de se conformer aux stéréotypes, risquent de se couper volontairement de certaines émotions jugées non viriles, ce qui peut à long terme se traduire par une grande détresse psychologique.
Pour ce qui est des femmes, si elles sont aujourd'hui majoritaires dans de nombreuses facultés universitaires, elles n'occupent, par exemple, que 18 % des postes de haute direction des entreprises et 30 % des sièges à l'Assemblée nationale.
EST-CE POSSIBLE DE CONCEVOIR UNE SOCIÉTÉ LIBRE DE STÉRÉOTYPE DE GENRE ?
Selon Corinne Fortier, il faut arriver à la « déconstruction de ces stéréotypes masculins et féminins qui cloisonnent notre comportement dans des cases alors que chaque individu a des potentialités bien plus grandes ». Or, il est impossible de dépasser les stéréotypes quand ils représentent le « réel » pour les gens qui y adhèrent. On ne peut les dépasser qu’à partir du moment où on en a conscience et où on a une volonté globale et politique de les extirper. Pour arriver à cette déconstruction, François Héritier nous propose que l'on doive apporter des modifications du comportement des individus par rapport à leurs enfants, car le problème selon elle, est dans la reproduction des idéaux parents-enfants. Cette transmission se perpétue parfois bien malgré nous. Cela passe donc aussi par l’éducation, la publicité, les manuels, les divertissements, les comportements au travail et les comportements politiques. François Héritier admet qu'il s’agit d’un travail colossal. Elle pense toutefois que nous sommes dans le bon sens puisque notre conscience est de plus en plus grande. Elle nous rappelle que cela nécessite une vigilance sur nous-mêmes.
Le défi peut sembler jusqu'à maintenant insurmontable, mais il y a des avancées :
«Loin d'être une période où les hommes se féminisent, où les hommes perdent de leur masculinité, où les hommes sont en déclin total, loin d'être cette période-là, on assiste plutôt à une période où les choses changent. C'est un moment important et privilégié pour repenser la masculinité».
Il faut arrêter de voir les sexes par ce qu’ils ont de négatifs -prenez comme exemples les caractéristiques nommées plus haut- car nous risquons de créer ce que nous décrivons. Isabelle Hudon, femme d'affaires québécoise, nous encourage dans un article à adopter le réflexe de poser « un geste par jour pour les femmes », comme le fait de questionner pourquoi seuls des hommes sont présents à une réunion par exemple, ou même d'entreprendre des gestes plus structurants et ambitieux, comme de développer un système d'évaluation à la performance qui tient compte des biais inconscients. Mme Hudon a cofondé L'effet A il y a deux ans pour donner des conseils aux femmes, valoriser leur ambition et propulser leur engagement professionnel.
Selon un sondage Léger, 73 % des femmes se disent ambitieuses, ce qui est très près des hommes à 78 %. Les obstacles à la progression des femmes seraient le manque d'opportunités et la culture masculine de leur organisation.
« Et vous, Mesdames, n'attendez pas que le fruit vous tombe dans les mains.
Apprenez à aller le cueillir. Agissez dans votre intérêt, acceptez de ne pas plaire à tout le monde. Réalisez qu'au moment de négocier votre premier salaire, vous négociez aussi votre dernier salaire. Parce qu'un peu moins aujourd'hui sera devenu beaucoup moins dans 20 ans » (Isabelle Hudon).
Les hommes ne sont pas responsables du système qui les avantage, puisqu'il existe depuis bien longtemps, mais il appartient à tous et chacun de participer à sa modification.
Élodie Drolet, Élisabeth Maheux, Charlotte Reid, Odélie Beaurivage Godbout et Camille Dupont