PETIT REGARD SUR NOS REPRÉSENTANTS

Alexandre Paquette

Pour certains, la carrière politique est attrayante. Les avantages salariaux, la renommée et une certaine forme de sécurité d’emploi peuvent constituer des atouts alléchants. Pourtant, peu y accèdent. Le nombre de députés est restreint à la quantité de sièges à l’Assemblée Nationale et à la Chambre des communes, soit respectivement 125 et 338, dont 78 attribués au Québec. Pour ainsi dire, pas moins de 203 personnes élues représentent activement les intérêts des Québécois.

Pour une majorité de la population, ces représentants restent toutefois peu connus. Nombreux sont les électeurs identifiant l’élu de leur circonscription par son allégeance politique, la « couleur » du parti auquel il est rattaché. Pourtant, plusieurs autres caractéristiques distinguent ce dernier. L’une d’entre elles n’est pas moins que le métier qu’il « professait » avant son ascension politique.

N’est-il pas intéressant d’apprendre que l’actuel Premier ministre du Canada fut enseignant au secondaire dans une école de Colombie-Britannique1 ? Saviez-vous qu’Amir Khadir, l’un des trois députés de Québec Solidaire, était physicien et médecin spécialiste en microbiologie médicale et maladies infectieuses2 ?

Le métier qu’une personne exerçait avant d’occuper la fonction de député influence dans bien des cas sa vision de la société, de ses rouages. Un chirurgien cardiaque ayant côtoyé la mort pendant de nombreuses années par l’entremise de ses patients ne partagera certainement pas la même opinion qu’un fonctionnaire sur l’administration de la santé. Ainsi en va-t-il de même pour l’artiste, le cinéaste, qui doit donner son avis sur l’importance ou la place de la culture dans la société. Les exemples sur le sujet pleuvent à siaux.

Si nous regardons la composition actuelle de l’Assemblée nationale, certains corps de formation ressortent clairement en quantité. Ainsi en est-il de « l’administration et de la comptabilité » qui, par cette
catégorie seule, ne regroupe pas moins de 35 % des députés élus3. D’autres catégories qu’on pourrait croire prédominantes à cause de la couverture médiatique dont certains élus bénéficient se révèlent être moindres dans les faits. C’est le cas de la médecine et des sciences de la santé qui n’ont que 9 représentants parmi les élus actuels alors que l’on est porté à croire ce nombre bien plus élevé. Les journaux et bulletins de nouvelles n’avaient-ils pas, en 2014, martelé sans cesse l’existence d’un « trio de médecins » parmi les ministres ? Ce genre de grand titre journalistique porte à donner une fausse impression de la composition de nos représentants.

Et le droit lui ? Quand est-il ?

Il est présent, très présent même. À vrai dire, le droit a presque toujours côtoyé la politique de près. Pour faire simple, ce sont des domaines complémentaires : l’un vient difficilement sans l’autre, les deux étant liés à l’organisation et au fonctionnement de la société.

Ainsi n’est-il pas surprenant de constater un nombre élevé de politiciens ayant une formation de juriste. C’est le cas de 31 personnes à l’Assemblée nationale en ce moment4. Sur ce nombre, pas moins de 18 professaient à titre de membre du Barreau du Québec ou de la Chambre des notaires avant leur élection en 2014 (13 étaient membres du Parti libéral du Québec en cette date, 5 du Parti québécois et 3 de la Coalition Avenir Québec)5.

La proportion élevée de juristes est aussi présente au sein des gouvernements. Du côté fédéral, 6 ministres sont avocats ou notaires de formation. Vient s’ajouter à cela le ministre de la Sécurité publique qui dispose d’un baccalauréat en droit6. Au Québec, il suffit d’énumérer les premiers ministres des trente dernières années pour comprendre la place prédominante des avocats sur la scène politique : 5 des 9 personnes ayant occupé le poste étaient membres du Barreau7.

Le vieil adage énonçant que « le droit mène à tous pourvu qu’on en sorte » prend bien sa place dans la vie politique… et peut-être même trop ! C’est sûr que pour nous, juristes, cela constitue un avantage sitôt que le saut en politique nous intéresse. Toutefois, d’un point de vue purement citoyen, il est
difficile d’ignorer la « trop » grande place qu’occupe les professions dites libérales aux postes de décideurs dans la société. Professeurs, médecins, ingénieurs, femmes et hommes d’affaires. Quand est-ce la dernière fois que l’on vît un charpentier ou un menuisier à un poste d’élu ? Certes, on peut comprendre que les travailleurs pratiquant certains métiers aient moins d’intérêt politique que d’autres, mais jusqu’à quel point ?

Une meilleure répartition des élus dans les différentes concentrations de métiers permettrait sans nul doute une diversification des points de vue sur les problèmes et les choix politiques dans notre pays. La sous-représentation de certaines catégories de métiers gruge certainement les intérêts de ces derniers. Tôt ou tard, il seranécessaire qu’une certaine représentativité fasse sa place sous peine de causer du tort à ces
professions. Après tout, n’est-il pas vrai que « la politique s’intéresse à tout »8, même aux concentrations ne s’intéressant pas à la politique ?

Jusqu’à ce qu’un changement s’opère sur le sujet, la vie de politicien reste une bonne option pour tous ceux et celles qui désirent utiliser leur baccalauréat en droit pour faire le grand plongeon dans ce merveilleux monde qu’est la politique contemporaine.

Alexandre Paquette,

Secrétaire coordonnateur

 

 

1 https://www.liberal.ca/fr/tres-hon-justin-trudeau

2 http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/khadir-amir-25/biographie.html

3 http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/statistiques-deputes.html

4 http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/statistiques-deputes.html

5 http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/662224/professions-deputes-gouvernement-quebec-partis-assemblee-nationale

6 http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/747964/nomination-conseil-ministres-cabinet-gouvernement-justin-trudeau

7 Soit respectivement les premiers ministres Pierre Marc Johnson, Daniel Johnson (fils), Lucien Bouchard, Bernard Landry et Jean Charest.

8 Niccolò Machiavelli. Le Prince. Traduction de Jean-Vincent Périès (1785-1829), Montréal, Les Éditions CEC, « Philosophies vivantes », 2008, 117 p.