Coco Chanel a fait entrer les femmes dans la modernité en leur permettant de porter le pantalon. Depuis, la chose est notoire, le plafond de verre se fracasse beaucoup moins aisément en jupe. Par exemple, pour s’élever à la tête du Royaume-Uni, Margaret Tatcher s’est fait pastiche de l’assurance virile et de la dureté masculine.
Est-ce là une démonstration de la faillite de la théorie essentialiste selon laquelle toutes les femmes partagent dans leur nature intrinsèque des qualités similaires ? Difficile de savoir. La dame de fer était-elle « née moins femme » ou avait-elle résisté aux pressions pour « devenir femme » ? Chose certaine, en reproduisant le plus fidèlement possible le canon masculin, il lui fut probablement plus aisé d’accéder à ses ambitions.
Par le fait même, elle a aussi pavé la voie pour d’autres femmes qui lui ont succédé. Voilà un phénomène que l’on pourrait qualifier de féminisme individualiste. Des femmes qui conquièrent un statut relativement égal à celui des hommes et qui rendent l’égalité des sexes possibles pour celles qui consentiront à suffisamment de sacrifices pour y arriver. Mise en abyme ironique : cette mentalité semble être le résultat d’un féminisme qui se travestit en adoptant les codes de la méritocratie patriarcale.
Or, l’angle mort de ce féminisme, si on peut même le qualifier ainsi, est qu’il crée une illusion d’égalité. Le mirage de l’égalité obtenue enferme dans leur statut d’infériorité certaines femmes qui se trouvent dans l’impossibilité de sacrifier assez. Une forme d’égalité à deux vitesses qui fait de certaines femmes un obstacle à l’atteinte de l’égalité pour d’autres femmes.
En effet, difficile pour une femme qui souhaite fonder une famille de rivaliser au plan professionnel avec une femme qui est prête à renoncer à la maternité pour satisfaire ses ambitions de carrière ? Encore plus ardu peut-être pour une mère monoparentale de rivaliser avec sa collègue mieux nantie qui embauche une au-pair afin de pouvoir jongler avec carrière, conjoint et enfants. Le poids de ce que l’une consent à sacrifier vient s’ajouter comme une brique sur les épaules de l’autre.
Comment peut-on faire en sorte que les luttes des unes bénéficient à toutes et non pas seulement à une poignée de privilégiées ? Comment peut-on même intégrer les hommes dans cette quête d’égalité?
Mea culpa, je n’ai pas la réponse. J’ai toujours préféré les pantalons aux grandes robes. One of the boys devant l’éternel, j’ai appris à rire inconsciemment aux blagues déplacées pour conserver mon statut, plutôt que de profiter de ma position pour conscientiser. Je suis aussi devenue un as des sacrifices de toutes sortes.
Mais je fais amende honorable et j’aspire à faire plus.
Nous méritons mieux qu’un simulacre d’égalité. Si la liberté n’est pas une marque de yogourt, l’égalité, elle, n’est pas une jupe-culotte informe et peu flatteuse.