LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE
Philippe Maltais-Guilbault
En 1967, l’essayiste français Guy Debord publiait l’essai politique « La société du spectacle ». S’inscrivant dans la foulée de la pensée révolutionnaire au cœur des Trente Glorieuses, l’auteur y faisait une critique étoffée de la société de consommation et du capitalisme. À son apogée, cette « société du spectacle » serait marquée par l’omniprésence du divertissement, détournant alors nos esprits de l’essentiel.
Aujourd’hui, force est de constater que cette thèse demeure toujours d’actualité et que le contexte canadien n’y échappe pas. À ce titre, le gouvernement Trudeau en est le grand maître de cérémonie.
Depuis leur retour au pouvoir, les libéraux fédéraux ont su jouer avec les symboles avec une aisance remarquable. Composition d’un cabinet ministériel paritaire, discours environnementaliste assumé, accessibilité du premier ministre, promesse de réforme du mode de scrutin, retour du formulaire long du recensement. Tous les espoirs sont permis. « Sunny ways my friends, sunny ways ».
Bien sûr, de telles orientations sont les bienvenues. Elles expriment la volonté d’un gouvernement de marquer une rupture avec le précédent. Cependant, les symboles ne sont pas une fin en soi. Ils doivent être suivis d’une série d’actions conséquentes garantissant la mise en application de ces promesses, de cette vision, pour avoir une certaine résonnance. C’est ici que le gouvernement Trudeau nous laisse sur notre faim.
On remarque plusieurs écueils dans la mise en application de cette vision. Sur le plan environnemental, on se demande bien ce que le premier ministre entendait en marge de la Conférence de Paris en affirmant que le « Canada est de retour ». Les cibles de réduction de gaz à effet de serre sont restées les mêmes que celles du gouvernement précédent, qu’il avait pourtant honni.
En ce qui concerne la place des femmes dans la société, Oxfam-Canada publiait, récemment un rapport très peu élogieux à l’endroit du gouvernement Trudeau, qui se présente pourtant en tant que champion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Selon ce rapport, ce n’est qu’au niveau de la représentation que les efforts gouvernementaux auraient eu un impact significatif. Toutefois, le rapport déplore l’absence de politique concrète pour s'assurer que le travail des femmes soit équitablement rémunéré et également valorisé.
Sur le plan de l’accessibilité, encore là, on remarque un certain double standard du premier ministre. Il est curieux de voir qu’il ne semble pas voir de nuances entre la prise d’un selfie avec un citoyen lambda croisé dans un sentier de Parc Canada et des soupers avec de riches hommes d’affaires chinois qui ont payé des milliers de dollars au Parti libéral du Canada pour s’entretenir avec lui. Ces lobbyistes ne demandent pas ces rencontres pour avoir de bonnes anecdotes à raconter au souper de Noël et il serait naïf de croire que le niveau d’attention du premier ministre sera toujours le même.
C’est donc en gardant cette image de changement que le charisme de Justin Trudeau continue tout de même de nous plonger dans une hypnose collective, détournant ainsi notre attention de ce qui est essentiel.
LE PARI DE L’APATHIE
Il y a toutefois une bonne dose de cynisme dans cette approche. En tablant essentiellement sur l’image, le gouvernement mise alors sur une certaine apathie de la population pour gouverner. Du moment qu’on entretien cette façade de jeune leader cool et branché, tout devrait demeurer dans l’ordre des choses. Ainsi, la « société du spectacle » se traduit politiquement par le « pari de l’apathie ».
Jusqu’à maintenant, cette stratégie semble bien servir aux libéraux. Leurs appuis, au Québec du moins, semblent démontrer une lune de miel permanente. Pourtant, les sources de conflits avec les gouvernements provinciaux ne manquent pas.
L’exemple des transferts fédéraux en santé en est le meilleur exemple récent. Alors que les
provinces doivent respecter leurs obligations constitutionnelles en matière de santé, le gouvernement fédéral profite de son pouvoir de dépenser pour assortir les transferts de conditions. Les provinces, embourbées dans les déficits, ne peuvent alors pas tourner le dos à ces chevauchements inévitables dans leurs champs de compétences.
À une certaine époque, une telle intrusion dans les champs de compétence du Québec engendrait d’importantes levées de boucliers. Non seulement les souverainistes, mais aussi l’ancien ministre libéral Gérard D. Lévesque ont utilisé l’image du « fédéralisme prédateur » pour critiquer de telles intrusions dans les affaires provinciales.
Aujourd’hui, on assiste au même « fédéralisme prédateur », mais qui est fait, cette fois, avec le sourire. Malgré tous les appels à l’indignation dans ce dossier, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, arrive bien mal à secouer l’apathie de la population dans ce dossier pourtant crucial.
Au final, en affirmant que le « Canada est de retour », il semble bien que Justin Trudeau faisait plutôt référence au retour du Parti libéral du Canada et de ses vilaines habitudes. Cependant, en poursuivant le même spectacle bien orchestré, avec le premier ministre comme vedette principale, tout semble indiquer que l’agenda gouvernemental devrait continuer à détourner nos esprits de l’essentiel, soit la saine conduite de l’État.
Philippe Maltais-Guilbault
MembreComité d’Action Sociopolitique