MOISIR DANS LE BAC À LÉGUMES
Ariane Larocque
Comité Amnistie Internationale
C’est le genre d’histoire idéal pour une colonne de deux paragraphes de trois phrases, chacune squeezée dans le 24H entre un article inédit sur un des bambins joufflus de La Voix junior et un autre sur cette dame qui a mis de la térébenthine dans sa friteuse en pensant que c’était de l’huile de canola, préférablement accompagnée d’une photo sensationnaliste mal recadrée et peut-être prise sur Getty Images, sait-on jamais et, si possible, avec une faute d’orthographe subtilement faufilée dans le gentilé d’un pays dont le nom est de toute façon imprononçable pour le commun des mortels.
Des enfants, aussi jeunes que cinq ans, détenus pendant des semaines, voire plus d’un an, trop souvent seuls ; des poupons nés sous les verrous pour y vivre leurs premières saisons ; des adolescents isolés pendant des semaines dans le sous-sol humide et rance d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale. Sans intimité, sans liberté de mouvement, sans nutrition décente à cause de la surpopulation.
Le genre d’histoire qui nous arrache une tentative de soupir obligé avant de nous faire tourner la page en nous rendant compte que le foutu journal et son encre de qualité ont encore transformé nos doigts en œuvre d’art contemporaine barbouillée. Pendant que le bus, comme chaque jour, fait son bout de chemin par chez nous, mais aussi par chez eux, creux dans le hood caché de l’Île Jésus.
Des enfants, aussi jeunes que cinq ans, détenus pendant des semaines, voire plus d’un an, trop souvent seuls ; des poupons nés sous les verrous pour y vivre leurs premières saisons ; des adolescents isolés pendant des semaines dans le sous-sol humide et rance d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale. Sans intimité, sans liberté de mouvement, sans nutrition décente à cause de la surpopulation.
Le genre d’histoire qui nous arrache une tentative de soupir obligé avant de nous faire tourner la page en nous rendant compte que le foutu journal et son encre de qualité ont encore transformé nos doigts en œuvre d’art contemporaine barbouillée. Pendant que le bus, comme chaque jour, fait son bout de chemin par chez nous, mais aussi par chez eux, creux dans le hood caché de l’Île Jésus.
En fait, ce sont dans les centres de surveillance de l'immigration de Laval, Toronto ou Vancouver que sont détenus en moyenne 242 enfants par année (excluant ceux détenus avec leurs parents). Ces établissements, en plus d’accumuler les lacunes (pardonnez l’euphémisme) exposées précédemment, offrent un accès plus que limité à l’instruction et aux loisirs tout en faisant face à une pénurie de soins psychologiques.
D’après une étude de la Faculté de droit de l’Université de Toronto, les symptômes les plus préoccupants de ce manque de ressources psychosociales se font souvent ressentir après la remise en liberté des enfants qui, par exemple, peuvent éprouver de la difficulté à s’intégrer parmi leurs camarades ou à être séparés de leurs parents.
Dans cette optique, en juillet 2015, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a prié le Canada de n’employer ce genre de détention qu’en dernier recours tout en fixant une limite raisonnable à sa durée. Amnistie Internationale, elle, va plus loin en réclamant l’abolition totale de ce processus totalement arbitraire et indéterminé pour tous les enfants migrants.
Nul n’est censé ignorer la loi…
sauf la loi
C’est ce qui m’amène à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui permet à L’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) de détenir des individus aux fins d’immigration. En fait, la détention est autorisée seulement dans certains cas, soit si la personne 1) représente un danger pour la sécurité publique, 2) risque de s’enfuir ou 3) ne peut être identifiée avec certitude à cause de son refus de dévoiler son pays d’origine.
Le hic ? Généralement, l’application de tels critères aux enfants est si tirée par les cheveux qu’elle défie toute loi de la physique mécanique. Soyons francs : un enfant de moins de dix ans est probablement aussi dangereux pour la sécurité publique qu’un Kinder Surprise (quoi que…). Quant aux nourrissons nés en détention, qui restent parfois plus de deux ans à l’ombre, je doute fortement qu’ils puissent s’enfuir en rampant comme une limace la couche pleine ; c’est sans oublier qu’ayant vu le jour au Canada, ils sont citoyens canadiens et leur identité nationale est sans équivoque.
Pour en rajouter, en date de 2015, 58 adultes avaient été détenus pendant plus d’un an, et quatre pendant plus de cinq ans. C’est que la LIPR n’impose aucune période de temps maximale pour ce type de détention, qui peut être prolongée indéfiniment ; concrètement, cela signifie que les migrants peuvent légalement être détenus pendant des années, les plus longues détentions s’étirant sur plus d’une décennie. Si ce n’est pas un exemple tiré tout droit du Petit Robert sous la définition du mot arbitraire, je ne sais pas ce que c’est.
Il faut aussi comprendre qu’au Canada, le droit administratif, dont relève l’immigration, ne donne pas dans la répression, contrairement au droit pénal. Les lois en matière d’immigration ne peuvent donc pas permettre la détention de migrants à des fins punitives. Malgré tout, plusieurs d’entre eux sont retenus pour des périodes qui dépassent de loin les peines de prison prévues pour des crimes sérieux.
D’accord, va pour l’injustice flagrante attachée à la cheville des migrants majeurs. Mais ne radotais-je pas sur les enfants ?Fait amusant à soulever : la LIPR assimile le migrant de 16 ans ou plus à un adulte. Conclusion : un enfant mis en détention à 16 ans pourrait y rester… lui aussi indéfiniment ! Doit-on rappeler qu’un adolescent canadien, qui commettrait un crime passible de l’emprisonnement à vie en vertu du Code criminel, devrait purger, sous garde puis dans la collectivité, une peine maximale de trois ans ?
Bienvenue au plus meilleur pays du monde, là ou « meilleur » peut se décliner en une gradation de « pas pire » à « passable ».
Pourtant, la Charte canadienne des droits et libertés, à son article 7, garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Est aussi enchâssé à l’article 12 le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Nul besoin d’expliquer en quoi enfermer un mineur pendant plusieurs années et dans de telles conditions peut violer son droit à la liberté et à la sécurité. Quant au traitement cruel et inusité, j’ose espérer que l’idée de réserver ce genre de traitement à des enfants en bas âge (et même à des adolescents) vous ébranle un tantinet, parce qu’autrement, ce ne sont pas les salles de classe cryogènes de Jean-Brillant qui réchaufferont votre cœur aussi froid qu’une roche enfouie six pieds dans le pergélisol d’Iqaluit en plein février.
Notons également que ces deux dispositions ne s’appliquent pas uniquement aux citoyens canadiens, mais à « chacun », garantissant ainsi à toute personne le respect de ces droits. Or, aux dernières nouvelles, les migrants étaient encore considérés comme des personnes. (Oups, on me fait signe pour me dire qu’ils ont désormais été relayés au rang d’outils de partisanerie politique opportuniste, my bad.)
Et le sacro-saint article premier dans tout ça ? Le sempiternel test d’Oakes ? Bon, sautons le recopiage de notes effréné indissociable des intras de constitutionnel et attardons-nous seulement au critère de l’atteinte minimale, pour en arriver à l’équation suivante : enfants ayant encore leurs dents de lait + cellule (avec des barreaux, on n’est pas dans Unité 9). Allô. Pas besoin d’avoir la tête à Dickson pour être pris d’un léger malaise passager.
Le droit de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire est aussi assuré par plusieurs traités internationaux auxquels le Canada est partie. Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit explicitement l’arrestation et la détention arbitraires en plus d’assurer un processus judiciaire pour contester la légalité des détentions. Le Comité des droits de l’homme a d’ailleurs indiqué que cette protection devait s’étendre à la détention pour des motifs d’immigration. Il en va de même pour la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui rajoute à la liste d’interdictions l’exil arbitraire. Quant à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, elle prévoit plus spécifiquement que les enfants ne devraient jamais être détenus à des fins d'immigration.
* * *
Comme s’il se réveillait soudainement d’une sieste éclair au milieu de ses piles de paperasse rongées par les flammes des protestations, le ministre de l'Immigration John McCallum a finalement dû reconnaitre « qu'un problème existe ». Ajoutant au passage qu’il devrait être réglé par son ami Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique qui, lui-même, a déclaré avoir pris connaissance dudit problème. Tout un plan (question de rester dans la cohérence libérale).
Mais bon, au moins les ministres n’ont-ils pas rétrogradé les migrants, comme certains de leurs homologues internationaux, au statut de moyen de pression à l’arrière-goût de nationalisme amer.
Ils ont plutôt choisi d’ignorer la sonnette d’alarme et de faire passer la problématique grandissante au stade tragicomique de patate chaude à se passer avec des gants de four à motif de politiquement correct.
En espérant qu’un des deux réussisse à attraper la patate en vol avant qu’elle ne finisse par moisir, comme tant d’autres l’auront fait en taule avant elle.