TECHNOLOGIE ET DROIT MOUVANCE ACTUELLE ET FUTURE

Mizaël Bilodeau 

Il y a 20 ans l’ordinateur Deep Blue battait Kasparov, le meilleur joueur d’échecs au monde. Un moment historique, la machine supplante l’homme.

Les jeunes avocats de cette époque n’auraient guère eu à se préoccuper qu’une telle machine les remplace un jour dans leur travail. Les professions seraient épargnées, bien que l’on confiait déjà les tâches manuelles, répétitives, aux mains mécaniques ou d’outremers.

Aujourd’hui, le futur juriste sait que les nouvelles technologies ont et auront un impact considérable dans la pratique traditionnelle du droit. Le nombre d’emplois, les tâches qu’il effectue ou qui lui sont réservées et le rapport client changeront beaucoup.

Le récent Rapport du Jeune Barreau de Montréal[1] ou l’un des bouquins de Patrick Susskind[2] achèveront de vous convaincre si ce n’est pas déjà fait.

Les conférences telles que la Legal IT de Montréal, la Legal Geek Conference de Londres ou la LegalTech de Paris demeurent les meilleurs forums pour entrevoir l’effet perturbateur des technologies de l’information (IT). Personne ne veut se retrouver dans le creux de la vague.

Londres : un hub très dynamique

Les innovations présentées à la Legal Geek Conference de 2016 frappent l’imaginaire. ThoughtRiver offre par son logiciel un support aux firmes dans l’évaluation de risque des contrats. Son logiciel supplémente les avocats dans leurs prises de décisions en automatisant la prise de donnée et l’évaluation des risques légaux par l’entremise de base de données interne et publique.

TrademarkNow est une autre pionnière du secteur. Ses fondateurs ont présenté laplateforme qui permet à tout usager d’effectuer une veille des marques déposées. Chaque année, il y a plus de 5 millions de noms qui sont enregistrés. Son algorithme complexe permet de repérer des noms de produits similaires et la probabilité d’une confusion de marques, créant ainsi des risques légaux.

Les robots-clavardeurs tels que DoNotPay et LawBot ont aussi fait parler d’eux à la conférence. DoNotPay a réussi à faire économiser aux Londoniens 6M$ en ticket de stationnement depuis son lancement il y a moins de deux ans.[3] De son côté, LawBot aide les utilisateurs à connaître comment le droit s’applique à leur délit et quelles sont les démarches subséquentes qu’ils doivent entreprendre.

Les avocats du Royaume-Uni auront à bien s’aligner, car comme le démontre une étude récente de Deloitte près de 114 000 emplois dans le domaine du droit seront automatisés d’ici les 20 prochaines années.[4]

Legal.IT

Bien implantée depuis 2007, la conférence montréalaise a elle aussi accueilli ses joueurs (en moins grands nombres certes) en mars 2016. Organisée par le Jeune Barreau de Montréal, Legal.IT et son volet vitrine technologique ont offert aux participants l’occasion d’en apprendre davantage sur les technologies actuelles. Legal Suite a présenté son nouveau produit GaLexy, similaire à ThoughtRiver, qui fait de la gestion de risque en matière contractuelle. TODOC offre de la notification électronique, XMedius et Lexop versent dans le domaine de l’échange de fichier sécurisé et de courriels sécurisés. Le président d’honneur de la 10e édition avoue d’emblée dans une entrevue à Droit-inc: « les avancées technologiques font que dans dix ans, ce qui faisait 100% de notre travai1 n’en fera plus que 10% »[5].

La France, un peu de retard

Le 16 et 17 novembre 2016 s’est tenu pour la première fois à Paris le Village de la LegalTech où 23 entrepreneurs de la LegalTech française ont promu dans un salon très couru leurs produits légaux dont plusieurs visent directement à offrir des services en ligne aux justiciables.[6] Un élément important à relever est la considérable avancée dans le notariat. L’algorithme de la Start-up My-Notary génère un compromis de vente immobilière qui est ajustable par notaire et signé par voie électronique à distance avec l’acheteur et le vendeur. D’autres plateformes tels que « Mes droits, mon avocat » offrent pour 80 euros un avis juridique en moins de 72h.

Il y a également Call a Lawyer qui pour 20 euros donne immédiatement accès à un avocat par téléphone pendant 20 minutes.

Acte réservé à la profession, un rempart?

C’est l’article 118 de la loi sur le Barreau du Québec qui réserve à l’avocat la consultation et la délivrance d’avis d’ordre juridique. Cet article constitue ni plus ni moins que le fondement légal de l’existence de l’avocat en tant que profession. Donc, peut-on qualifier le résultat auquel conduit l’algorithme ou le logiciel d’un avis d’ordre juridique ou d’une consultation? Difficile à dire, car il n’y a jamais eu de cas de ce type encore au Québec. La jurisprudence nous est d’une certaine aide en ce qui a trait à la définition de l’avis ou la consultation d’ordre juridique.

Dans Barreau de l'Abitibi-Témiscamingue c. Gérard Guindon, le juge Miville St-Pierre écrit : « un avis, c'est plus qu'un renseignement ou qu'une information; cela requiert qu'on donne une opinion, ou un point de vue ou qu'on exprime sa pensée sur un sujet sur lequel il peut y voir plusieurs opinions différentes. Et si ces avis ou opinions portent sur une matière d'ordre juridique, alors elles sont du ressort exclusif de l'avocat. »

Dans un récent jugement de la Cour d’appel, le juge Rochette cite le passage suivant, tiré d’une publication du Forum Canadien sur la justice civile : l'« avis ou le conseil juridique » consiste à donner des réponses personnalisées sur la façon dont le droit s'appliquerait à un cas particulier ou l'option qu'une personne devrait choisir ou le résultat probable qu'elle obtiendrait. »[7] Il ajoute également qu’il faut déterminer si les faits et gestes reprochés « relèvent généralement de la compétence de l’avocat »[8]

États-Unis, en bonne position

Nos voisins du sud sont en bonne position pour qu’il n’y ait aucun frein à la pratique du droit par des algorithmes. La Cour d’appel pour le deuxième circuit dans l’affaire David Lola a donné une définition fragilisant la définition d’un acte juridique : « an individual who undertakes tasks that could otherwise be performed entirely by a machine cannot be said to engage in the practice of law »[9]

L’American Bar Association a notamment rapporté en 2015 que 41% de ses membres ont téléchargé au moins une application mobile liée au droit.[10]  Les usages les plus répandus sont des applications permettant de les suppléer dans leurs recherches et classements de document.

Un nombre considérable de Start-ups sont déjà à l’œuvre dans le vaste marché américain. Mention spéciale à LegalZoom dont le nombre d’utilisateurs en 2011 se chiffrait déjà à 2 millions[11]. Cette entreprise offre des services de création de documents légaux personnels ou corporatifs.

 

[1] http://ajbm.qc.ca/wp-content/uploads/2016/05/rapport-sur-la-situation-de-l-emploi-chez-les-jeunes-avocats-du-quebec-web.pdf

[2] http://www.susskind.com/

[3] https://www.theguardian.com/technology/2016/jun/28/chatbot-ai-lawyer-donotpay-parking-tickets-london-new-york

[4] https://www.ft.com/content/5d96dd72-83eb-11e6-8897-2359a58ac7a5?utm_content=bufferba407&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=buffer

[5] http://www.droit-inc.com/article17379-Dix-bougies-pour-Legal-IT&highlight=%22legal%20IT%22

[6] http://www.village-justice.com/articles/Voici-1er-salon-francais-LegalTech,22913.html

[7] Para. 32Charlebois c. Barreau du Québec (2012 QCCA 788)

[8] Ibid., para. 32.

[9] http://harvardlawreview.org/2016/01/lola-v-skadden-arps-slate-meagher-flom-llp/

[10] http://www.legaltechnology.com/latest-news/aba-survey-highlights-extent-of-lawyer-mobility-as-tech-opportunities-and-challenges-evolve/

[11] http://www.canadianlawyermag.com/6139/Let-the-robots-help-the-public.htm