MAGASINER SA SANTÉ
Par Paméla Roy
Depuis le 15 septembre dernier, les pharmaciens du Québec ont l’obligation de remettre aux clients des factures détaillées. En effet, en appui au projet de loi 92, la facture doit, et je cite, « indiquer distinctement les honoraires professionnels du pharmacien pour chaque service fourni, le prix assumé par le régime général pour chaque médicament ou fourniture et la marge bénéficiaire du grossiste, le cas échéant. » Cette mesure était réclamée depuis longtemps, entre autres par la présidente de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, en raison de l’explosion du coût des régimes privés depuis une vingtaine d’années.
Les médias s’en sont donnés à cœur joie sur le sujet, quelques jours avant l’entrée en vigueur de la mesure. On a vu, dans les journaux, des titres tels que « Les patients sauront comment les pharmaciens empochent », ou encore « La concurrence va opérer ». On prône que les consommateurs pourront ainsi payer moins cher en magasinant les honoraires les moins élevés. Le ministre de la Santé, M. Gaétan Barrette, a mentionné que les compagnies d’assurance seront en mesure de diriger leurs clients vers les pharmacies qui chargent le moins cher ; le but final étant de provoquer une baisse des prix des médicaments.
D’abord, je crois qu’à première vue, cette mesure, prise afin d’assurer un service transparent et limpide de la part des pharmaciens propriétaires du Québec, semble juste, considérant le fait que pour les patients qui souscrivent au régime public, remboursé par la RAMQ, les honoraires par service rendu sont fixés au préalable par le gouvernement à environ 9$, mais que lorsque le régime d’assurance est privé, ces coûts n’étaient auparavant ni divulgués, ni connus. Selon Marc Desgagnés, professeur en pharmacie de l’Université Laval, les écarts d’honoraires chargés entre le public et le privé peuvent varier de 50% à 200%, ce qui joue en faveur de l’entrée en vigueur d’une telle mesure. Il y a en effet déséquilibre entre les deux régimes.
Il ressort donc que l’intention du législateur est celle de donner un certain pouvoir au patient ; celui de savoir quel prix il paie pour ses médicaments dans telle ou telle autre pharmacie, lui permettant de comparer, et ultimement, de choisir. Mais est-il bien avisé de mettre le fardeau de comparaison des honoraires d’une pharmacie à l’autre sur les épaules des consommateurs ; des patients ?
De mon point de vue, la mesure est louable, mais ne semble pas proportionnée. En effet, et à mon sens, les médicaments ne sont pas un produit de consommation ordinaire. Tel que soulevé par l’union des consommateurs, « [q]uand il s’agit de leur santé, les Québécois ne devraient pas avoir à magasiner. » Le magazine Protégez-vous a littéralement conseillé aux patients de tout bonnement magasiner leurs médicaments un peu partout, comme s'il s'agissait d'un banal produit de consommation et sans égard à l'important rôle-conseil joué par le pharmacien auprès de son patient.
Face à cet article, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires a fortement réagi, et je crois que bien que si l’idée de transparence face aux honoraires des pharmaciens soit une mesure adoptée dans le but d’avantager le patient, elle puisse néanmoins produire des effets indésirables sur la population du Québec.
D’abord, les factures, extrêmement détaillées, pourraient semer la confusion chez beaucoup de clients, et les patients plus âgés pourraient s’en trouver mélangés. Les gens ont, depuis les diverses parutions médiatiques, la certitude qu’ils doivent choisir la pharmacie qui leur offre des médicaments à moindre coûts, mais ne savent pas comment s’y prendre et par où commencer. On pourrait y voir une diminution du niveau de confiance entre le professionnel et son patient.
Aussi, le nombre de transferts de prescriptions ou de dossiers d’une pharmacie à l’autre pourrait se voir augmenter suite à l’application d’une telle mesure, les patients souhaitant sauver sur tel ou tel autre médicament, et la garantie de sécurité s’en trouverait, de mon point de vue, réduite. En effet, il est à l’avantage du patient de toujours faire affaire avec la même succursale, et ce, peu importe la teneur du dossier médical, se garantissant ainsi une plus grande sûreté dans l’évaluation de son dossier et dans l’évaluation plus spécifique des interactions possibles entre les différents médicaments prescrits. Les transferts d’une pharmacie à l’autre me semblent donc risqués, les autres pharmacies ne détenant souvent pas toute l’information requise.
Finalement, il ne faut pas oublier qu’au-delà du prix déboursé pour des médicaments, acheter une prescription, c’est d’abord et avant tout acheter un service professionnel et surtout, un conseil de la part de votre pharmacien, deux caractéristiques essentielles à l’efficacité du traitement.
Il y aurait donc certes, selon-moi, place à amélioration de la mesure, qui ressort comme incitant les patients à magasiner leur santé comme on magasinerait un bien de consommation, alors qu’il s’agit de deux choses différentes qu'il est nécessaire de distinguer. Ne pourrait-on pas, à l’inverse, instituer des changements au niveau des régimes d’assurances privées, afin que les honoraires par service rendu soient fixés au préalable à environ 9$, l’équivalent de ce qui est prévu par le gouvernement, ou à tout le moins que les écarts d’honoraires chargés entre le public et le privé soient de moindre importance ? Il importe de s’y intéresser et de se pencher sur cette question d’envergure, puisqu’à mon sens, il en va du bien-être de la population québécoise, ainsi que de la qualité des services de santés offerts au Québec.