C’était le 30 novembre dernier. Une table ronde, en prévision de la COP24 sur le climat, se tient au deuxième étage du Pavillon Charles-De-Koninck. Il s’agit d’une initiative répétée de l’institut Hydro-Québec en environnement, développement et société qui accueille, cette fois, Mme Catherine Potvin, professeure en biologie à l’Université McGill, le professeur Krolik, spécialiste de la Faculté en matière de droit des ressources naturelles et de l’énergie ainsi que M. Géraud de Lassus Saint-Geniès, chargé de cours à la Faculté, mais aussi chercheur postdoctoral à la Faculté de droit de l’Université McGill, qui doit quitter, sous peu pour prendre part à la COP24 elle-même, en Pologne. Une heure trente de présentation d’informations que nous souhaitons entendre, mais à contrecœur. J’en ressors, plus bouleversé que jamais. L’image d’une professeure engagée, mais tout de même visiblement terrifiée par ses propres constats trotte dans ma tête et une phrase l’accompagne et résonne encore chaque jour depuis lors : Les arbres meurent debout.
En effet, c’est au cours d’un voyage récent en Allemagne que la biologiste a pris connaissance de ce phénomène inquiétant. Mes connaissances scientifiques en la matière étant assez limitées, j’en comprends que c’est le signe annonciateur de l’enclenchement d’un point de non-retour. Son message est clair : lorsque ce point sera atteint, la nature sera à jamais tournée contre nous.
Le moment est ponctué de malaises. En ce sens, je me sens impuissant à cerner les détails de ces phénomènes. Du point de vue des sciences naturelles, ma vision souffre d’une presbytie titanesque. Il ne faut que l’intervention des deux autres panélistes pour me faire comprendre finalement que la technologie, notamment en matière de transition énergétique, est aujourd’hui une chose acquise. La lutte est désormais sociale. La société doit mettre la machine en marche, les peuples, autochtones y compris, doivent se concerter et s’élever, une vision commune doit émerger et des mesures contraignantes doivent être appliquées. L’offre dans les choix de consommation doit être forcée à changer.
Pour ainsi dire, les sciences naturelles et techniques ont fait un incroyable travail. Des instruments et des données d’une grande précision ont été mis à la disposition de l’humanité. Or, plus que jamais, ces spécialistes me confirment que les sciences sociales doivent joindre le combat.
En y repensant depuis des semaines, j’en comprends que la clé est dans la multidisciplinarité. La question a été traitée de maintes façons et le constat du plus grand défi de notre histoire n’est plus contestable. Or, on parle désormais d’un défi social ainsi que de transition juste et ces termes font clairement échos dans une réalité comme la nôtre. Le mot juste réfère sans contredit au concept qu’est la justice. Ce sentiment, cette envie de justice, n’est-ce pas exactement ce qui a mené la plupart d’entre nous à fréquenter cette Faculté qui nous permet chaque jour d’en apprendre un peu plus sur les rouages du système et les moyens d’y faire émerger cet idéal d’un monde juste auquel nous aspirons tous ? La transition nécessaire pour lutter contre les changements climatiques s’inscrit désormais dans cette perspective.
Au Québec, nous en avons fait de grandes choses. Parmi les auteurs de ces grandes choses, plusieurs ont d’ailleurs œuvré entre les murs de notre Université et de notre Faculté. N’ayons aucun complexe si ce n’est que de ne pas être assez engagé dans cette lutte. Ne sous-estimons pas la contribution que nous pourrions y apporter. D’ailleurs, personne ne le devrait. Or, dans notre position, j’en appelle à ce que nous prenions un engagement envers nous-mêmes. Chaque étudiant actuel, où qu’il soit, peu importe les intérêts qui le portent, des HEC à l’UQAC, en passant par l’Université Laval et toutes les autres, devrait s’engager, peut-être non pas à précisément œuvrer dans ce domaine, mais du moins à ne jamais bâtir une carrière allant à contre-courant de la transition qui s’impose désormais. La professeure Potvin regrettait que les scientifiques aient autrefois adopté un ton trop alarmiste et pas assez axé vers les solutions. Toutefois, ce fut répété souvent, mais il faut le comprendre : rien d’autre n’en vaudra plus la peine si la menace des changements climatiques n’est pas amoindrie. Carburons un peu moins au pétrole et un peu plus aux défis.
Ton verre à café jetable n’est certes pas beau à voir, mais notre optique doit maintenant être plus large encore que la notion des petits gestes et du simple recyclage. D’ailleurs, nous le savons. Le récent référendum universitaire sur le transport collectif est un exemple criant. Il fut tout de même la cible de très nombreuses critiques. La voiture individuelle, émettrice de CO2, appartient au passé. Surtout dans des villes où il est très bien possible de faire sans. Saluons les marches, les pactes et les pétitions. Marchons, signons, agissons, sonnons-en des alarmes et faisons pression sans jamais arrêter. Nous ne pouvons plus critiquer l’activisme.
Je repense à ces arbres qui n’ont plus même l’énergie de tomber avant de mourir d’eux-mêmes et à cet espoir qui lui, semble s’effondrer toujours un peu plus. Je pense qu’il faut s’accrocher à cette idée que le génie humain comportait assez de failles pour faire pencher la tour de Pise, mais qu’elle n’est tout de même jamais tombée. C’est parce que nous sommes capables de réparer et qu’à l’heure actuelle, alors qu’il est minuit moins une, chrétiens, sikhs ou rien de tout ça, il faut plutôt se concentrer sur des passages qui parlent d’un peuple debout que d’un peuple à genoux, car c’est la seule façon que nous aurons d’encore nous épanouir. N’oublions pas que le droit aura un rôle fondamental à jouer. Si nos ancêtres ont codifié la protection des droits humains et changé de perception sur des questions aussi flagrantes que l’esclavage, nous pouvons innover aussi de bien des façons. La partisanerie politique possède une force de frappe certaine. Toutefois, elle vient et repart. La primauté du droit, elle, reste bien ancrée. Elle est à jamais, dans nos sociétés, par les interprétations et les valeurs qu’elle porte à travers ses acteurs, un bouclier aux abus. Elle est un bouclier aux abus de pouvoir, aux abus envers la personne humaine, mais aussi, je l’espère, aux abus portés à l’endroit de cette planète. Idéologique peut-être ? Ce sera à nous d’en décider.
Ainsi, aurions-nous, en terminant, une promesse à nous faire ? Aurions-nous un engagement à l’effort de guerre à nous signifier à nous-mêmes ? Lorsque les arbres en sont à mourir debout, le signal m’apparaît clair. La réponse semble s’imposer à nous plus que jamais.