Canada, ô le Canada ! J’ai envie que mon pays soit parfait, que tout soit parfait. J’ai envie de voir toutes les belles valeurs canadiennes être appliquées et respectées. Mon cher premier ministre, ton père avait de grands projets en allant en politique. Il avait envie, entre autres, de réformer le Canada de plusieurs façons, par exemple en protégeant le bilinguisme avec la Charte canadienne des droits et libertés. Comme nous le savons tous trop bien, l’histoire nous montre qu’il y a eu plusieurs tensions entre francophones et anglophones. Je suis convaincu que ton père a fait un pas de l’avant avec la Charte pour réduire les tensions qu’il y a entre ces deux groupes, mais aujourd’hui j’ai mal à mon Bas-Canada. Je viens de voir que le gouvernement de l’Ontario annule son projet d’université francophone dans la province et son commissariat aux services français. Est-ce que c’est ça, le Canada, en 2018 ?
Je vais t’avouer quelque chose, il fut un temps où je n’aimais pas le Canada. Je lisais l’histoire du Québec et je voyais tous les coups de salauds que nous avons essuyés dans ce pays. Je souhaitais juste une chose : être indépendant de ce pays qui nous a si malmenés. Cependant, ce sont les yeux rivés vers l’avenir que je change d’idée, et que je suis prêt à pardonner le passé du Canada au nom d’un avenir plus radieux. En effet, à une époque où les tensions montent à la même vitesse que les murs se construisent, il faut savoir bâtir des ponts entre les nations pour préserver notre liberté.
C’est pour ça que je suis si fier de parler anglais quand je vais dans d’autres provinces. Je m’intéresse à la culture au sein de mon pays, afin de respecter les différences et de les embrasser. Après tout, travailler pour le bilinguisme, c’est aussi vivre avec autrui en acceptant une personne telle qu’elle est fondamentalement. Si ce n’est pas du respect, je me demande ce que c’est. Selon moi, très peu de sentiments valent celui de se sentir respecté : se sentir respectable. Si le bilinguisme canadien pouvait protéger ce sentiment, tous se sentiraient assurément chez eux et fiers d’être Canadiens.
Malgré toute ma motivation de promouvoir le bilinguisme, je dois t’avouer que je suis quelques fois déçu du Canada. Parfois, il m’arrive même de mettre mon fédéralisme en doute. L’évènement qui me pousse à écrire cela aujourd’hui est le geste de Ford. Annuler le projet d’université francophone et le commissariat des services en français. Ensuite, je me rappelle que l’actuel premier ministre du Nouveau-Brunswick (la seule province bilingue au Canada) n’est même pas capable de parler français. Je tourne ensuite mon regard sur le gouvernement fédéral et je constate que nos ministres ne sont pas tous bilingues. Je pourrais continuer d’ajouter des exemples de manquements au bilinguisme pendant longtemps. Je pourrais sans doute aussi sortir des manquements de la part du Québec envers les anglophones. Chacune de ces situations fait mal à l’unité du pays. Ces pointes envers notre culture réveillent la douleur des longs couteaux et rappellent ces cicatrices qui ont plus été oubliées que soignées. Je perds ensuite ma motivation de véhiculer le bilinguisme et j’ai juste l’impression que le français est de trop dans ce pays trop bien pour nous. On le sait Justin. Nous, les Canadiens, nous nous excusons tout le temps. J’espère quand même que tu ne vas pas avoir à t’excuser deux fois de parler français.
Bref, malgré les efforts que le Canada a faits par le passé pour encourager et pour protéger le bilinguisme, il me semble évident que la situation actuelle n’est pas concluante. Force est d’admettre qu’il reste donc beaucoup de chemin à parcourir avant que tous se sentent rassemblés et représentés par le Canada. Est-ce que cela en vaut la peine ? Est-ce que le projet canadien de bilinguisme est toujours possible ? Allons-nous finir par pouvoir nous sentir tous unis et bien représentés par ce qu’inspire être Canadien ? Aujourd’hui, je ne sais pas. Une chose est sûre, nous ne sommes pas la belle nation postnationale que tu veux. Du moins, nous ne le sommes pas encore.
Mon optimisme va désormais prendre la plume de ce texte pour essayer de voir dans cette situation le défi d’un pays et non la fatalité de la majorité. D’autant plus que le premier ministre Ford est revenu partiellement sur sa décision et a pris des mesures favorables aux francophones en Ontario : des gestes que je salue, mais qui demeurent insuffisants. Pour relever le défi, il va falloir du changement. Ce changement commence par toi, cher lecteur, qui a pris la peine de me lire jusqu’ici. Un proverbe dit : « Si chacun balayait devant sa porte, comme la ville serait propre. » C’est comme ça qu’il faut entendre le défi du bilinguisme. Il ne faut pas tomber dans la trappe du découragement et du cynique, mais plutôt surprendre les gens par notre enthousiasme, notre ouverture d’esprit et notre respect. Après tout, la richesse du Canada repose en grande partie sur sa diversité que permet le bilinguisme, un peu comme un buffet qui est davantage intéressant quand on y retrouve des plats différents.