L’entente entre Netflix et le Gouvernement fédéral est probablement le dossier qui aura soulevé la plus grande controverse durant l’automne passé. On peut le comprendre. Par cette entente, le gouvernement permettait au géant de la vidéo sur demande de se soustraire à la perception des taxes de vente, créant ainsi un énorme manque à gagner pour les coffres de l’État, mais aussi une concurrence déloyale envers les entreprises locales qui, elles, ne bénéficient pas d’un tel traitement de faveur. Bref, c’est une entente injustifiable comme en font foi les réponses creuses de la ministre Mélanie Joly, qui ont d’ailleurs grandement facilité le travail des scripteurs du Bye Bye cette année.
La vérité derrière l’entente avec Netflix, c’est que les réalités économiques et technologiques ont beaucoup évolué dans les dernières années. Les innovations intégrées à la vie de tous les jours grâce à internet ont exacerbé de nombreuses problématiques relatives au commerce en ligne et au traitement équitable des entreprises. Par ailleurs, les préoccupations qui en découlent ne sont pas nécessairement ancrées dans un spectre idéologique très restreint. Pour dénoncer l’entente, on se souvient notamment de l’alliance inusitée entre le député solidaire Amir Khadir et Peter Simons, ténor du Québec inc. Pourtant, ces deux individus ne doivent généralement pas fréquenter les mêmes salons de thé.
Les impacts de cette nouvelle réalité économique et technologique ne se limitent bien sûr pas aux seuls enjeux de la fiscalité. En effet, l’utilisation d’internet dans les milieux de travail aura été une petite révolution en soi. Toutefois, malgré tous les bénéfices que ça a pu apporter, on remarque aussi qu’internet a contribué à perturber les relations de travail, particulièrement dans les secteurs où les technologies de l’information constituent le principal outil de travail.
À cet égard, force est de constater que certaines de nos lois ont bien mal vieilli et qu’elles ne sont plus adaptées au contexte actuel. Les dispositions anti-briseurs de grève incorporées en 1977 au Code du travail, en sont un exemple flagrant. Les conflits au Journal de Québec (2007) et au Journal de Montréal (2009) ont fait la démonstration qu’une importante réforme est nécessaire.
Résumons les faits.
Au tournant des années 2000, on assiste, au Québec comme partout en Amérique du Nord, à la crise des médias traditionnels. En effet, les journaux se retrouvant maintenant en compétition avec des tonnes de contenu disponible gratuitement sur internet doivent se réinventer et trouver des moyens de réduire leurs dépenses. C’est dans ce contexte que le Journal de Québec et le Journal de Montréal ont mis leurs journalistes et photographes en lock-out à la suite de négociations infructueuses visant le renouvellement de leurs conventions collectives. Le conflit a duré environ 16 mois à Québec et 25 mois à Montréal.
En soi, le lock-out n’est pas interdit, mais les pratiques sont balisées selon les dispositions anti-briseurs de grève (anti-scabs) énoncées à l’article 109.1 du Code du travail. Par exemple, pendant la durée du lock-out, il est donc interdit pour l’employeur d’engager une personne en sous-traitance pour remplir les fonctions d’un salarié en lock-out. Cet encadrement a pour objectif de préserver un certain équilibre dans le rapport de force entre les parties négociantes. Autrement, en cas de conflit, l’employeur pourrait simplement mettre l’ensemble de ses employés en lock-out et engager de la main-d’œuvre bon marché. Jusqu’ici, sur papier, tout semble fonctionner. Cependant, durant les conflits au Journal de Québec et au Journal de Montréal, les deux entreprises de Québecor ont fait la démonstration qu’il était maintenant possible de contourner les règles en toute impunité.
Dans chacun des conflits, après avoir mis en lock-out journalistes et photographes, les deux journaux ont eu recours aux services d’agences de presse pour s’alimenter de contenu. Comme les employés des agences occupaient essentiellement les mêmes fonctions que celles des employés en lock-out, les syndicats ont soulevé que l’employeur avait contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève. Toutefois, afin de demeurer en règle, les employés des agences ne remplissaient pas leurs fonctions dans l’établissement où le lock-out avait été déclaré et le travail était envoyé au journal par internet. Cette interprétation restreinte de la notion d’établissement a été confirmée en Cour supérieure et en Cour d’appel. Pour ajouter l’insulte à l’injure, rappelons que, durant le conflit au Journal de Montréal, le journal a eu recours aux services de l’Agence QMI, l’agence de presse de Québecor Media, créée en décembre 2008, soit un mois avant le début du lock-out. Selon l’entreprise, on ne peut pas lier la création de QMI au conflit au Journal de Montréal, mais, parfois, le hasard fait bien les choses…
En clair, ce qu’on constate, c’est que Québecor a démontré qu’il était possible d’ériger le lock-out en plan d’affaires. Pour une entreprise où les technologies de l’information constituent le principal outil de travail, il est maintenant possible de faire indirectement ce qu’il n’est pas permis de faire directement, c’est-à-dire utiliser de nouveaux employés pour remplir les fonctions de salariés en situation de conflits de travail. L’absence de pression économique sur l’employeur, grâce au recours à ces travailleurs de remplacement « à distance », vient ainsi rompre l’équilibre entre les parties négociantes.
Depuis la fin du conflit, l’idée d’une modernisation du Code du travail est un sujet qui vient et qui va dans l’actualité québécoise. En septembre 2010, l’Assemblée nationale adoptait une motion à l’unanimité demandant au gouvernement de moderniser les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail. Quelques mois plus tard, on déposait le projet de loi 399 - Loi modernisant les dispositions relatives aux briseurs de grève et modifiant de nouveau le Code du travail. Un des objectifs du projet de loi était justement de combler certaines lacunes du Code actuel en élargissant la notion d’établissement.
Aujourd’hui, plus de 7 ans plus tard, aucun progrès n’a été fait. Bien sûr, en s’attaquant au Code du travail, on risque de heurter les sensibilités à gauche et à droite. Les syndicats, comme le Conseil du patronat et les Chambres de commerce vont faire valoir un concert de revendications. C’est pourquoi une telle réforme exige un courage politique, courage qui a été absent dans les dernières années. Par contre, si nous voulons conserver un équilibre dans les relations de travail, il faudra sérieusement s’attaquer à cette problématique, un jour ou l’autre. Face à cette nouvelle réalité technologique, le milieu du travail doit se moderniser. Espérons seulement que ce qui en découlera ne soit pas un échec aussi lamentable que l’entente avec Netflix.