ENTREVUE AVEC JEAN-GUY SAVOIE, PROCUREUR DE LA COURONNE
Jeanne Larose
Rédactrice en chef
EN QUOI CONSISTE LE TRAVAIL D’UN PROCUREUR DE LA COURONNE ?
Sa fonction est une fonction qui se veut d’abords quasi-judiciaire : nous ne cherchons pas gain de cause, la quête étant à ce que justice soit faite. Nous sommes chargés de la poursuite des citoyens accusés d’avoir enfreint à une disposition criminelle ou pénale. Le travail consiste à l’approbation pour poursuite de dossier d’enquête police. Parfois au cours de l’enquête nous sommes consultés pour avis à savoir comment l’enquête doit procéder en toute légalité. Nous devons de nous rappeler que nous ne sommes pas enquêteurs et nous ne dirigeons pas l’enquête, tout comme nous ne représentons pas la police – ce ne sont pas nos « clients ». Nous représentons le Procureur général d’une province ou du Canada. Il s’agit d’un organisme indépendant de la police.
Lorsque la poursuite est établie, nous la menons à bon terme en cour, avec l’emphase sur le fait que nous ne cherchons pas gain de cause. Ce travail demande une révision constante du dossier, au fur et à mesure de l’affaire, parce que de nouvelles preuves peuvent mener à une décision différente, comme le retrait d’une accusation. Ça demande donc un entretien avec les enquêteurs et avec les témoins qui peuvent aussi être victimes. Ça prend beaucoup de tact, d’entregent, car nous optons pour une approche qui se veut empathique. Nous devons traiter les gens avec dignité et respect. Autant que nous avons la charge du dossier, nous devons aussi être à l’écoute des gens et ce, jusqu’à sentence ou jusqu’en appel. Quand les questions en appel risquent d’avoir une implication plus large, il y a des avocats spécialisés qui vont prendre en main le dossier à ce stage. Parfois nous choisissons de ne pas faire appel, par crainte de créer un mauvais précédent.
QUELS ASPECTS DE VOTRE TRAVAIL PRÉFÉREZ-VOUS ?
Définitivement le travail en cour, de faire des procès. J’aime mener un interrogatoire ou un contre-interrogatoire serré et amener les faits pertinents devant le juge. C’est le summum de ce qu’on fait quand on est connaissant de notre dossier. On est capable de bien présenter la preuve requise, et ainsi contrer efficacement la défense. Devant un jury, autant qu’on doit rester à l’intérieur de tous les principes qui nous guident comme membre du Barreau (comme la question d’intégrité, les règles de preuve) autant que le mode de présentation devant jury nous permet d’exercer un peu l’art théâtral, de conter une histoire. Nous prenons les faits que nous connaissons et nous en rendons sous forme de conte pour que les jurés puissent plus facilement les apprécier. Il faut préparer la présentation de façon abordable pour des non-juristes, tout en employant un vocabulaire précis et exact.
« Il ne faut jamais perdre la perspective de son travail, c’est-à-dire ne pas trop s’investir émotionnellement dans une cause, au détriment de la rationalité froide des exigences pratique de l’affaire, de la preuve que nous devons rencontrer. »
QUELS ASPECTS DE VOTRE TRAVAIL SONT PLUS ÉPROUVANTS ?
Ce serait de faire affaire avec des victimes lorsqu’il y a un acquittement. Dans l’équipe, il y a des gens qui sont chargés d’être des coordonnateurs de service aux victimes, mais nous en venons à connaître les victimes en travaillant avec elles sur le dossier. Nous les croisons après le procès, pour les encourager et ne pas les laisser avec la froideur que l’acquittement peut leur faire ressentir. L’acquittement ne veut pas dire que le juge ne les a pas cru ou qu’ils ont mal fait leur tâche. Il faut bien leur expliquer le principe du doute raisonnable.
QUELLES QUALITÉS SONT NÉCESSAIRES POUR EXCELLER DANS CETTE PROFESSION ?
Je crois qu’il faut avoir une bonne maîtrise de sa personne, pouvoir approcher des situations parfois très graves avec un sang-froid. Il ne faut jamais perdre la perspective de son travail, c’est-à-dire ne pas trop s’investir émotionnellement dans une cause, au détriment de la rationalité froide des exigences pratique de l’affaire, de la preuve que nous devons rencontrer. Il faut avoir la capacité de s’autoévaluer et de questionner ses propres motivations, afin de garder le détachement professionnel nécessaire face à un dossier. Des accusés peuvent nous irriter personnellement, que ce soit par le crime haineux ou néfaste à la communauté qu’ils ont commis, mais il ne faut pas perdre son objectivité face à la matière devant la cour. Il ne faut pas laisser nos sentiments personnels primer sur la tâche.
VOUS AVEZ ÉGALEMENT TRAVAILLÉ DU CÔTÉ DE LA DÉFENSE, QU’EST-CE QUI DISTINGUE LE PLUS CES DEUX PROFESSIONS ?
Lorsque j’étais du côté de la défense, je m’imaginais que ma tâche était plus difficile car c’est la Couronne qui avait tous les témoins et les enquêteurs, que je devais défendre mon client contre la machine déjà montée. Du côté de la poursuite, je me rends compte que le fardeau est presque exclusivement sur la Couronne. Oui, j’ai mon dossier d’enquête, mais c’est toujours moi qui est appelé à faire avancer le jeu, à guider ce bloc vers l’avant. Si ce n’est pas moi qui le fait, personne ne s’offre de le faire à ma place. Le fardeau de la preuve est presque exclusivement sur la Couronne. Ça demande une plus grande préparation d’avance, une vigilance sur tous les petits points de preuve à amener. Aussi, sur une base plus humaine, on est un peu toujours le centre de l’attention. Les gens s’attendent à beaucoup du procureur. Les policiers ont des attentes, aussi les victimes, la cour et le juge lui-même se fie à nous pour que le dossier avance. Les journalistes scrutent ce que le procureur ait pu faire ou omettre de faire ? Le fardeau est là constamment et c’est pesant. Ayant vu les deux bords de cette médaille, bien que la défense ait le fardeau des intérêts de liberté du client, celui de la Couronne semble beaucoup inlassable et omniprésent, du début des procédure, jusqu’à la conclusion du dossier.