LE PROBLÈME DE LANGUE
Par Philippe Maltais-Guilbault Directeur de l'information
La situation du français est un thème récurrent en politique québécoise. C’est d’ailleurs parfaitement compréhensible, considérant la place modeste du fait français de la Belle province au cœur de l’océan anglo-saxon américain. Ainsi, que ce soit par la publication d’une nouvelle étude ou par le lancement d’un nouvel album des Dead Obies, la question linguistique trouve toujours son chemin dans le débat public.
Le dernier accroc découle de la publication du dernier rapport sur le recensement par Statistique Canada. En épluchant les données, on remarque un recul du français comme langue principale de travail au Québec. En effet, alors que 82% des travailleurs utilisaient le français de façon prépondérante au travail en 2006, ce taux aurait chuté à 79,7% en 2016. À l’inverse, la proportion de travailleurs utilisant principalement l’anglais dans le cours de leur emploi est restée sensiblement la même durant cette période. En clair, ce recul de l’usage principal du français s’expliquerait donc par une bilinguisation des milieux de travail, particulièrement marquée à Montréal.
Au gouvernement, on accueille cette réalité avec un certain jovialisme. Pour la ministre Marie Montpetit, responsable de l’application de la Charte de la langue française, cette situation n’est que le reflet d’un Québec qui s’internationalise. Bref, ce n’est simplement qu’un des effets de la mondialisation. C’est à croire que le fait français était devenu un frein à notre entrée dans la « modernité ». Comme si ce n’était qu’un bijou folklorique embarrassant, mais qui offre une dose suffisante d’exotisme aux touristes.
Pour relativiser la situation, on prétend que l’usage de l’anglais est un passage obligé dans une économie globalisée. Pourtant, cet argument ne tient pas la route. Évidemment, l’usage de l’anglais facilite les échanges lorsqu’on communique avec des partenaires à l’étranger. Cependant, rien n’indique que tous les employés aient à entretenir de tels contacts et que, conséquemment, les milieux de travail doivent se bilinguiser. En clair, l’ensemble de la réaction gouvernementale n’est pas sans rappeler les propos de Philippe Couillard au deuxième débat électoral en mars 2014 alors qu’il indiquait qu’il était important pour les travailleurs de parler anglais, même sur les planchers d’usines, au cas où un client anglophone viendrait sur les lieux et poserait des questions.
L’exception devient la règle
Si on s’en tient à son esprit d’origine, la Charte de la langue française vise à faire du français « la langue normale, habituelle de travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires », sauf exception. Toutefois, pour les libéraux, l’exception est devenue la règle. Personne ne semble s’indigner du grand nombre d’employeurs exigeant, sans justification, une connaissance de l’anglais, une pratique en complète contravention de l’article 46 de la Charte.
Soyons clairs, il ne s’agit pas ici de faire une critique du bilinguisme individuel. Évidemment, dans le monde d’aujourd’hui, l’apprentissage d’une nouvelle langue doit toujours être encouragé. C’est justement une des voies pour s’intéresser à d’autres cultures et s’ouvrir à la diversité. Cependant, une critique de cette tendance au bilinguisme institutionnel, auquel le gouvernement donne son appui tacite, est tout à fait de mise.
En effet, les données du recensement démontrent effectivement une baisse de l’usage du français qui se traduit par une augmentation du bilinguisme au travail. Toutefois, il en ressort aussi que ce sont surtout les francophones qui travaillent davantage dans les deux langues officielles. Bref, le poids de cette situation n’est pas assumé à parts égales. En réalité, il s’agit plutôt d’un bilinguisme anglicisant. Comme on le sait, les milieux de travail sont des lieux de socialisation très importants. Ainsi, si on y fait la démonstration quotidienne que le choix de s’exprimer en français n’est, en fin de compte, qu’une simple fantaisie, faut-il se surprendre de son recul?
Comment peut-on à la fois promouvoir l’internationalisme et un tel aplanissement culturel? La langue n’est pas seulement un moyen de communication. C’est aussi un regard sur le monde pour chaque communautés, avec ses expressions qui lui sont propres.
Cette anglicisation de notre vie en société est tout à fait concrète. En réalité, la déclaration maladroite du gérant de la boutique Adidas à Montréal, alors qu’il s’excusait pratiquement de devoir passer quelques mots en français pour « accommoder » les médias et les autorités municipales, n’a rien d’un cas isolé ou anecdotique. Aujourd’hui, dans la métropole francophone d’Amérique, tout est mis en place pour qu’il soit tout à fait possible de vivre exclusivement en anglais.
En soit, tout cela démontre qu’il n’y a rien de particulièrement surprenant dans les données du recensement. La table est mise pour un constant recul du français et cette nouvelle donne ne fait que s’inscrire dans une tendance. Pour cette raison, nous appelons à une refonte de la Charte de la langue française afin de l’adapter aux réalités aujourd’hui.
De « Speak White » à « Bonjour/Hi »
Cela nous amène finalement à la dernière controverse linguistique, soit l’utilisation répandue du très bilingue « bonjour/hi » comme formule d’accueil dans les commerces, surtout dans la métropole.
Bien que la formule puisse sembler accommodante au départ, c’est un rappel quotidien qu’on peut bien vivre sa vie en anglais à Montréal, sans s’intéresser une seule seconde de ce qui se passe à l’est de la rue Saint-Laurent. C’est le contraire de la mixité. C’est la version soft de ce « Speak White », injure lancée aux francophones qui osaient s’exprimer en public.
Bien sûr, il peut sembler tout à fait futile que nos institutions s’attardent à débattre d’une formule de salutation. Toutefois, elle est symptomatique de la caution morale qu’on offre au recul du français. Cette caution au nom de la mondialisation et de la prospérité économique.
Speak white!
De Westminster à Washington, relayez-vous!
Speak white comme à Wall Street
White comme à Watts
Be civilized
Et comprenez notre parler de circonstance
Quand vous nous demandez poliment
How do you do?
Et nous entendez vous répondre
We’re doing all right
We’re doing fine
We are not alone
Nous savons que nous ne sommes pas seuls.