Le mois de février est le mois de la carrière et du début de la course aux stages. Période de joie, de dépassement et de découvertes pour certains, mais aussi de détresse et d’angoisse pour d’autres. Ce n’est assurément pas facile de se sentir aussi souvent comparé alors que bon nombre des discussions tournent autour de la moyenne académique (GPA), des retours d’appels, des entrevues et de la surenchère du curriculum vitæ. Ce texte se veut donc un plaidoyer au profit de ces étudiants qui doutent d’eux-mêmes et de leur capacité à réussir une carrière dans le domaine en raison de la survalorisation systémique de l’excellence scolaire, bien souvent au détriment de l’accomplissement personnel.
La session passée, la Faculté de médecine de l’Université Laval annonçait la fin des évaluations notées, afin d’utiliser le système d’évaluation « succès-échec » [1]. Cette mesure s’inscrit dans une politique qui vise à réduire l’anxiété de performance chez les étudiants. Cette transition eut lieu selon ce même article 3 ans après le suicide de l’une des étudiantes de la Faculté. Il y a 2 ans, la Faculté de droit de l’Université Laval vivait un drame similaire. Je me souviendrai toujours d’une de nos dernières conversations que j’ai eue avec lui lorsqu’il m’avait dit qu’avec des notes comme les siennes, il ne lui servait à rien à faire la course aux stages. Sans vouloir politiser la chose, il faut tout de même entretenir une réflexion en profondeur quant au système de notation mis en place à la Faculté. En effet, comme si ce drame ne suffisait pas à démontrer l’ampleur de la problématique, l’année passée, le Comité d’action sociale diffusait un sondage quant niveau de bien-être des étudiants de la Faculté. Les résultats sont alarmants. Une majorité des étudiants se sentent étouffés par la pression, une majorité pense qu’elle n’est pas assez bonne pour être en droit, presque la moitié des étudiants pensent à arrêter leurs études, car la pression est trop forte, et finalement, même si le résultat n’a jamais été publié, certains étudiants pensent au suicide. Bien que les méthodes scientifiques relatives aux sondages n’ont pas été respectées, l’on ne peut nier que de tels résultats démontrent une tendance lourde et l’inaction dans ce cas-ci s’apparente à de l’aveuglement volontaire.
Certes, certains gains ont été faits. Notamment, avec l’augmentation du temps de consultation des examens. Toutefois est-ce suffisant ? L’on peut deviner par un simple syllogisme que cette pression insidieuse provient directement des notes académiques, car ce sont elles qui ouvrent actuellement les portes du marché de l’emploi en tant que juriste. Or, est-ce pertinent ? Je suis de ceux qui croient que les examens normalisés prescrits par la Faculté sont d’une utilité douteuse, car souvent elles ne sont pas assez rapprochées de la pratique réelle du droit. Pour avoir fait quelques stages et recherches juridiques, je peux vous assurer que les questions de droits vus en classe sont loin d’être similaires à celle de la pratique. Ainsi, une note ne fait aucune différence quant à cette aptitude de résoudre des problèmes complexes et impose une qualification indue de la compétence d’un étudiant sur sa capacité à répondre à des problèmes abstraits vus en classe, puis d’y incorporer un amoncellement de jurisprudence dans le temps imparti pour avoir l’ensemble des points. Ce n’est pas ça la pratique. Or, dans bien des cas, l’on nous fait croire que notre carrière et notre intelligence se définissent sur une base 4,33. Ce n’est pas en raison d’une moyenne académique élevée qu’une personne devrait mieux réussir notamment, car la capacité de répondre à une évaluation normalisée ne tient pas compte du vrai potentiel intellectuel de l’étudiant. La notation est donc un mauvais indicateur de la qualité d’un élève.
Enfin, la course aux stages. Je suis loin d’en faire le procès, mais j’ai aussi eu l’occasion de constater durant mon baccalauréat qu’il s’agit d’un objectif [louable] que visent les étudiants. Toutefois, force est de constater qu’il existe un aveuglement quant à celle-ci. Ayant moi-même fait la course aux stages, mais n’ayant pas eu le Graal convoité, je me sentais mis à l’écart lors de certaines discussions avec mes pairs notamment. Honnêtement, je m’y suis découvert, car j’avais d’autres objectifs qu’uniquement me trouver un stage. Contrairement à la vision étriquée que les étudiants accordent à la course aux stages, il ne faut pas que ça devienne l’objectif ultime. Avant tout, il devrait chercher à se réaliser dans sa carrière. Le problème est que lorsque l’on nourrit un système de comparaison noté entre les étudiants, cela crée une surenchère de performance et personne ne s’y sent à l’aise. Il faut être en mesure de promouvoir d’autres portes de sortie qui s’offrent à un étudiant de favoriser la formation pratique et surtout faire connaître une variété de domaines. Bien entendu, il faut des ressources, mais il faut avant tout se fixer des objectifs à long terme.
Actuellement, j’ai amorcé la formation professionnelle au Barreau. Cela me fait étrange de penser que la pression systémique a failli me faire tout lâcher et qu’elle affecte tant d’étudiants au quotidien. Durant les 3 années où j’y ai étudié, j’ai eu la chance d’assister à certains changements qui ont amélioré le bien-être des étudiants. Cependant, j’estime que ces gains demeurent insuffisants pour garantir les meilleures conditions de réussites aux étudiants. Pour ceux qui doutent d’eux-mêmes en ce moment, ayez confiance. Les notes ne veulent absolument rien dire sur votre capacité à devenir d’excellents juristes et à réussir votre carrière.
[1] Arnaud KOENIG-SOUTIÈRE, « Finies les notes pour les futurs médecins », Le Journal de Québec, 9 août 2018, [en ligne], [https://www.journaldequebec.com/2018/08/09/finies-les-notes-pour-les-futurs-medecins], consulté le 12 janvier 2018.