Comment peux-tu bien dormir en sachant que tu permets à quelqu’un qui a tué ses enfants de se promener dans nos rues ? Pourquoi préfères-tu protéger un pédophile que d’offrir réparation à la victime de viol ? Ta rémunération vaut-elle plus que le bien-être de la société à tes yeux ?
Ce sont ci-haut certaines des remarques auxquelles on a droit lorsqu’on exprime notre penchant pour la pratique du côté de la défense. Je ne peux pas blâmer les justiciables ayant ces préconceptions puisque j’avais les mêmes avant de commencer le baccalauréat. La personne moyenne n’a pas nécessairement le temps ni l’intérêt d’interroger quelqu’un qui pratique au côté « des méchants » sur sa motivation. À défaut, on se fie à l’image de l’avocat de la défense dépeint à l’écran et dans les livres, l’avocat sans scrupule et ayant vendu sa morale contre une rémunération considérable.
Ce que je trouve très dommage, en plus du peu de confiance que l’on a pour les avocats en général, c’est que le citoyen moyen ne veut pas apprendre en quoi le rôle des avocats de la défense est indispensable pour qu’il y ait justice. Je me désole de devoir appréhender la réaction de mes proches et de mes collègues lorsque j’aborde cette possibilité de carrière. Les avocats de la défense ne devraient jamais avoir honte de leur profession et je souligne leur courage de faire face à ces remarques réprobatrices de la société. Je suis d’ailleurs reconnaissante que les professeurs nous sensibilisent au fait qu’œuvrer en défense ne signifie pas être l’avocat du diable. Voici comment quelques-unes de mes préconceptions de l’avocat de la défense ont évolué lors de la dernière année.
La toute première personne à m’avoir ouvert l’esprit est Isabelle Hudon, professeure ayant pratiqué du côté de la défense. Souriante, drôle et passionnée par le droit, elle venait déjà démentir que l’avocat de la défense est dénudé de passion ou qu’il ne souhaite pas apporter de changements positifs par sa pratique. En nous présentant plusieurs cas de partage de responsabilité, elle m’a principalement fait réaliser qu’il n’y a souvent pas qu’une seule victime entièrement innocente à chaque histoire.
En effet, certains demandeurs ont une part de responsabilité dans leurs malheurs et en sont parfois même les seuls artisans. J’ai l’impression que, surtout lorsque les chefs d’accusation sont stigmatisés, plusieurs croient que la personne qui poursuit est automatiquement innocente et honnête. Non seulement cela ne reflète pas la réalité, mais ce ne sont pas seulement des « méchants » qui voient leur responsabilité engagée.
J’ai justement pris conscience que l’avocat de la défense ne fait pas uniquement défendre les pédophiles, les agresseurs et les meurtriers. Évidemment, ces cas se présentent parfois lorsque l’on travaille au criminel, mais il n’est pas normal que ce soient les cas qui ressortent toujours pour nous faire culpabiliser de considérer ce choix de carrière. Il est primordial de garder en tête qu’il y a bien plus d’accusations pour des infractions moindres et autres et qu’il y a aussi des avocats de la défense au civil. L’idée que les avocats de la défense ne représentent que les pires monstres nous fait passer à côté de tous les cas où l’accusé n’est pas coupable ou ne mérite pas la sanction se rapportant à l’accusation à laquelle il fait face.
Tristement, seules quelques situations semblent faire reconnaître l’importance du travail de la défense. D’abord, il y a généralement une plus grande empathie envers les médecins et autres professionnels accusés pour des fautes commises dans leur pratique. Ensuite, il y a les cas où l’accusé est un proche ou quelqu’un que nous croyons faussement accusé par un demandeur. Finalement, il semble que nous nous sentions interpellés dans les cas qui pourraient vraisemblablement arriver à chacun d’entre nous.
C’est dommage que ce soit presque exclusivement les cas auxquels on peut se rattacher personnellement ou ceux de l’accusé qui détient un rôle noble dans la société où l’on reconnaît le droit à une défense pleine et entière.
Peu importe le chef d’accusation ou l’identité de l’accusé, les droits de l’accusé et les objectifs de l’avocat ne fluctuent pas. L’avocat de la défense est là pour protéger les citoyens faussement accusés, pour empêcher que soient ruinées des réputations et des vies par des accusations fausses ou indues et afin que les innocents ne se retrouvent pas sanctionnés pour n’importe quelle allégation. J’attends avec impatience que ceux qui aiment tant crier à l’injustice comprennent que l’avocat de la défense est là pour s’assurer que l’accusé jouisse, comme chacun en a le droit, de ses droits et libertés fondamentaux. L’injustice, c’est mettre en prison ou déclarer coupable d’emblée quiconque est accusé, simplement à cause des stigmates liés à l’infraction.
Ayant principalement parlé des cas de responsabilité civile, je ne nie tout de même pas qu’il faille parfois défendre des accusés qui admettent avoir commis l’infraction reprochée ou des accusés contre lesquels la preuve joue. C’est ici que les cours de droits et libertés fondamentaux et de droit pénal sont venus m’aider à comprendre pourquoi ceux qui commettent des crimes ont autant droit à une défense de qualité. J’ai notamment découvert en quoi beaucoup de moyens de défense critiqués ont une place justifiée.
En fait, plusieurs sont rapides à critiquer notre système de justice sans connaître les critères stricts pour se prévaloir de ces moyens. Le premier cas critiqué qui me vient en tête est lorsqu’un accusé est acquitté à la suite du rejet de la preuve obtenue illégalement, notamment dans le cas de Jonathan Bettez en lien avec l’affaire Cédrika Provencher. Ensuite, beaucoup ont vivement manifesté leur désaccord sur la possibilité qu’un accusé puisse invoquer les défenses d’intoxication volontaire ou d’aliénation mentale afin d’être déclaré non criminellement responsable ou de voir sa peine amoindrie (Guy Turcotte par exemple).
Il faut comprendre que notre système de justice est fait ainsi pour une raison et que rien n’est laissé au hasard. Chacune de ces défenses, qui peut sembler incongrue à première vue, a une raison d’être et n’est pas accessible à n’importe qui s’autoproclamant non-responsable de ses gestes. Les moyens de défense sont très bien circonscrits et un accusé qui entre dans les critères pour s’en prévaloir n’est absolument pas relâché dans les rues sans encadrement s’il représente encore un danger pour la société.
Il faut donc se mettre dans les souliers de l’accusé et penser au fait que ce pourrait être vous qui, du jour au lendemain, étiez accusé ou indûment déclaré coupable. Dans ce cas, vous aimeriez sûrement que l’on considère, avant de vous réprimander, la contribution de la victime dans son préjudice, le trouble mental ou la capacité mentale qui vous affectait, l’effet de votre consommation sur vos gestes et votre esprit, l’état de contrainte auquel vous étiez assujetti ou toute autre défense dont bénéficient les accusés qui remplissent les critères préliminaires.
Finalement, aux nombreuses personnes qui me demandent comment je pourrais avoir bonne conscience en pratiquant ce métier, j’aimerais répondre que je ne me sens pas coupable puisque je ne commets aucune infraction. Je ne sens pas que je mets ma communauté en danger puisque celui qui est reconnu comme aliéné mentalement n’est pas directement relâché en toute liberté et n’est pas acquitté comme semble le dicter la croyance populaire. Je ne me sens pas mal puisque si cet individu a bien commis le crime pour lequel tous le pointent du doigt, la poursuite saura présenter la preuve qui démontre sa culpabilité. Je ne suis pas une mauvaise personne simplement parce que je promeus la présomption d’innocence et que j’offre la représentation juste et équitable à laquelle chaque humain a droit. Je n’aurais pas honte de mon métier puisque je sais que les avocats de la défense sont essentiels pour qu’il y ait réellement justice et équilibre.