À l’aube de cette nouvelle année, plusieurs se demandent si le mouvement « me too » a su délivrer justice aux victimes. Les justiciables ont été estomaqués de voir leur système de justice à l’œuvre dans la gestion de ces dossiers. Laissez-moi vous dire que la déception pouvait se lire sur les visages de plusieurs après que le DPCP ait refusé de porter des accusations contre le fondateur du célèbre festival Juste pour rire. La même déception que lorsque l’on apprît que sur les 11 plaintes déposées contre Éric Salvail, seulement un chef d’accusation fût retenu.
La population a su se faire entendre face à ces décisions lourdement médiatisées du DPCP. L’éveil des consciences juridiques de plusieurs n’a pas manqué de faire rejaillir les enjeux de justices qui ont marqué le Québec dans les dernières années. Des dossiers comme l’affaire Vincent Lacroix, l’affaire Guy Turcotte et le très attendu verdict sur la peine du jeune Alexandre Bissonnette sont toutes des affaires qui ont soulevé plusieurs questions importantes pour la société québécoise. Est-ce trop facile de s’en tirer au Québec ? Et même lorsqu’un verdict de culpabilité est prononcé, est-ce que nos peines sont trop laxistes ? Ce sont des questions qui ne cessent d’être soulevées, mais qui ne semble jamais trouver de bonnes réponses.
J’ai reconnu le peuple québécois à travers le déroulement de ces évènements. Un peuple émotif animé par une louable soif de justice. Un trait sociétal qui prend évidemment racine dans son histoire. La défense des incompris et des oubliés a toujours frappé une corde sensible dans le cœur du peuple canadien francophone.
Malgré tout, prudence est de mise lorsque l’on carbure sur l’émotion pour trancher des décisions aussi fondamentales pour la justice. Combien d’entre nous sommes réellement au fait de la preuve aux dossiers ? Combien d’entre nous seraient à même de rendre des peines à vie de prison ou même des peines de mort ? N’oublions pas que le domaine du droit régit les hommes et que cela relève plus d’un art que d’une science. La justice vient à un prix et c’est celui d’un système juste et équitable pour tous. Le système de justice canadien repose sur la présomption d’innocence de l’accusé. Un principe qui malheureusement semble s’effriter au fil de la prolifération médiatique de l’ère numérique où l’information devient simple commodité. Une chose est certaine, c’est que le doute devra toujours profiter à l’accusé. Un principe qui ne plaît pas à plusieurs, mais qui assure l’intégrité d’un système par la consécration d’une philosophie fondamentalement humaniste et qui s’est prouvé être un véritable rempart contre l’injustice.
Comme dirait Voltaire : « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »[1] C’est là une constante qui devra résister aux intempéries malgré les choix déchirants des servants de la justice.
Cette même optique se doit de s’appliquer mutatis mutandis à la question de la peine. Quoique cette question relève plutôt de la morale que de principe de justice, l’enjeu de la sévérité de la peine en est un tout aussi délicat. L’on se doit de prendre en compte l’individu et les stigmates qu’une condamnation apporte inévitablement dans son sillage. Rappelons-nous une fois de plus que ce que l’on est appelé à juger est une personne dans toute sa complexité et sa tragédie. Pour la punir, il faut d’abord juger sa part de liberté. Pour reprendre les mots du grand plaideur Henri Leclerc, ce qui est primordial est qu’une condamnation soit porteuse non pas de désespoir, mais bien d’espoir.
Les remous de l’affaire Bissonnette ont rouvert la question de la peine de mort pour les crimes graves. Un débat sain puisque fruit d’un questionnement de société, mais qui propose une idée tant macabre que désolante. La mise à mort d’un esprit malade ne doit pas être vue comme une fin en soi. L’irréparable ne devrait jamais pousser à l’insensibilité puisque la haine ne peut qu’attiser la haine.
De même, la variante de la prison à vie permise par le cumul des peines est sur la table aujourd’hui depuis sa légalisation par le gouvernement Harper. Le 8 février, l’histoire aura rendez-vous avec la justice alors que le juge prononcera la peine d’Alexandre Bissonnette pour ses crimes odieux. Il ne reste qu’à espérer que la raison humaine prévaudra et que la condamnation sera porteuse d’espoir, et ce, pour le bien de la justice.
Quoi qu’il en soit, la justice continuera son chemin en 2019 et l’évolution du droit se fera indubitablement au gré de l’évolution de notre société ainsi qu’à son image. C’est là la beauté de notre domaine, c’est là toute sa richesse.
[1] Voltaire, Zadig ou la Destinée (1747)