La solidité des immeubles étant d’ordre public, un régime de responsabilité légale s’additionne aux régimes de responsabilité contractuelle et extracontractuelle qui reposent déjà sur les architectes. Cela a pour objectif de s’assurer de la pérennité de cet objectif social[1]. Par le jeu combiné des articles de la Loi sur les architectes et du Code des professions, la profession d’architecte en est une ayant un champ d’exercice exclusif dont le titre est réservé[2]. Ainsi, « tous les plans et devis de travaux d’architecture pour la construction, l’agrandissement, la reconstruction, la rénovation ou la modification d’un édifice, doivent être signés et scellés par un membre de l’Ordre » à l’exception de ceux prévus à l’art. 16.1 de la Loi sur les architectes[3].
Responsabilité extracontractuelle
L’architecte ne fait pas exception au principe que toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui et qu’elle est tenue de réparer ce préjudice si elle en est responsable[4]. Compte tenu que cet article s’intéresse davantage à la responsabilité contractuelle et légale de l’architecte, nous n’élaborerons pas plus loin sur ce sujet. Toutefois, il est à savoir que l’option entre le régime de responsabilité extracontractuelle et contractuelle est interdite; le dernier ayant préséance sur le premier[5].
Responsabilité contractuelle
Lié par un contrat de service, l’architecte s’engage envers son client ; ses principales obligations sont d'agir dans le meilleur intérêt de ce dernier avec prudence et diligence et en conformité avec le contrat qui les unit, les usages et les règles de l'art tout en renseignant son cocontractant[6]. L’obligation d’agir avec prudence et diligence réfère aux choix que l’architecte prend en fonction de son expertise pour s’assurer de respecter les normes règlementaires mais également le contrat et les demandes du client tout en évitant de se mettre dans une situation de conflit d’intérêts entre les siens et ceux de son client. Pour sa part, l’obligation d'agir dans le respect des usages et des règles de l'art prévoit que l’architecte doit utiliser des méthodes actuelles en conformité avec les normes de sa profession au moment de l’exécution du contrat. En ce qui concerne l’obligation de renseignement, l’architecte doit s'assurer que son client comprenne les renseignements qu’il lui fournit.
L’architecte pourra s’exonérer de différentes manières d’une violation à l’une de ses obligations contractuelles en fonction qu’elle en était une de moyens ou de résultat. Dans le premier cas, il n’aura qu’à démontrer son absence de faute. Dans le deuxième, le fardeau sera plus lourd pour s’exonérer, car il devra démontrer soit la force majeure, la faute de son cocontractant ou celle d'un tiers.
Responsabilité professionnelle
Perte de l’ouvrage immobilier
L’architecte engagera sa responsabilité professionnelle différemment du fait qu’il ait surveillé ou dirigé les travaux ou, au contraire, qu’il n’ait fourni que les plans et devis. En effet, à moins qu’il n’arrive à s’exonérer, l’architecte qui aura dirigé ou surveillé les travaux sera solidairement tenu de la perte de l’ouvrage qui surviendra dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol. Cette solidarité interviendra entre l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés tandis que la responsabilité de l’architecte n’ayant pas dirigé ou surveillé les travaux ne sera engagée que si la perte résulte d’un défaut ou d’une erreur dans les plans ou les expertises qu’il a fourni[7]. Il est à savoir que la perte de l’ouvrage immobilier fait autant référence à sa ruine partielle ou totale qu’à une menace sérieuse de ruine[8]. Néanmoins, il est évident que cette perte ne doit pas être de peu d’importance. Il doit plutôt s’agir d’une atteinte à la solidité de l’immeuble sinon il s’agira vraisemblablement d’une malfaçon qui n’est pas visée par ces présomptions de responsabilité.
Compte tenu que la responsabilité de l’architecte s’engagera autrement du fait qu’il ait ou non surveillé ou dirigé les travaux, ses moyens d’exonération le seront également. Toutefois, l’immixtion du client qui impose ses décisions à l’architecte demeure un moyen commun aux deux situations[9]. Toutefois, pour la soulever avec succès, l’architecte devra démontrer qu’il avait respecté son obligation de renseignement tout en la modulant au niveau de connaissance en la matière de la part de son client.
Concernant l’architecte qui a accepté une lourde responsabilité en surveillant ou dirigeant les travaux, il ne pourra s’exonérer et éviter la solidarité en cas de perte de l’immeuble que s’il prouve qu’elle ne résulte pas d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans fournis, ni d'un manquement dans la direction ou dans la surveillance des travaux[10]. L’architecte qui ne les aurait pas surveillé ou dirigé pourra se libérer s’il prouve que la perte ne résulte pas d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans qu’il a fournis[11].
Pour bénéficier de cette présomption de responsabilité envers l’architecte, la perte doit subvenir dans les cinq ans suivant la fin des travaux. Cette durée de présomption conjuguée au délai général de prescription permettra au propriétaire ou au sous-acquéreur d’intenter son action dans les trois ans de la perte ou à compter du jour où le défaut s’est manifesté pour la première fois[12]. Si le délai de présomption est expiré, le propriétaire pourra se rabattre sur un recours en inexécution contractuelle où il devra prouver la faute de l’architecte[13].
Malfaçons
L’architecte qui a dirigé ou surveillé les travaux est également tenu contre les malfaçons qui existaient au moment de la réception ou celles qui apparaissent dans l’année suivante[14]. Toutefois, il n’engagera sa responsabilité que de manière conjointe et non solidaire comme c’est le cas lors de la perte de l’ouvrage immobilier[15]. Bien qu’une malfaçon n’affecte pas la solidité de l’immeuble, il s’agit d’une imperfection qui ne permet pas au propriétaire la pleine jouissance de son bien. N’étant pas d’ordre public, ce régime de responsabilité légale peut être écarté conventionnellement. Ainsi, pour que l’architecte puisse s’exonérer, il faudra porter une attention particulière aux stipulations du contrat.
Pour bénéficier de cette présomption légale de responsabilité envers l’architecte qui a surveillé ou dirigé les travaux, le propriétaire devra intenter son action dans l’année suivant la réception de l’ouvrage. Si le délai de présomption est expiré, le propriétaire pourra se rabattre sur un recours en inexécution contractuelle où il devra prouver la faute de l’architecte[16].
Obligations envers le public
Il est à savoir qu’en plus des obligations envers son client, l’architecte en possède également envers le public. En effet, son code de déontologie lui impose notamment de « respecter l’être humain et son environnement et [de] tenir compte des conséquences que peuvent avoir ses recherches, ses travaux et ses interventions sur la vie, la santé et les biens de toute personne »[17].
_______________________________________________________________________________
[1] BAUDOUIN, J.-L., P. DESLAURIERS et B. MOORE, « La responsabilité civile », 8e éd., vol. 2, Responsabilité professionnelle, Cowansville, Yvon Blais, 2014, par. 2-231.
[2] Loi sur les architectes, RLRQ c A-21, art. 15-17 ; Code des professions, RLRQ c C-26, art. 32.
[3] Id., art. 16 et 16.1.
[4] Code civil du Québec, LQ 1991, c. 64, art. 1457.
[5] Id., art. 1458.
[6] Id., art. 2098 et 2100.
[7] Code civil du Québec, préc., note 4, art. 2118 et 2121.
[8] Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, par. 2496.
[9] Code civil du Québec, préc., note 4, art. 2119, al. 3.
[10] Code civil du Québec, préc., note 4, art. 2119, al. 1.
[11] Id., art. 2121.
[12] Id., art. 1442, 2116, 2118, 2925 et 2926
[13] Id., art. 1590.
[14] Id., art. 2120.
[15] Id., art. 1518
[16] Id., art. 1590.
[17] Code de déontologie des architectes, RLRQ c A-21, r 5.1, art.